27 juin 2012

[charentelibre.fr] Charente: ils prient pour la messe en latin

SOURCE - charentelibre.fr - 27 juin 2012

Le diocèse d'Angoulême est l'un des derniers à ne pas proposer de messe en latin. Un groupe de traditionalistes cognaçais rouvre le débat. En toile de fond, un bras de fer avec l'évêque autour d'un texte de Benoît XVI.

La messe «de toujours». L'office en latin et en grégorien, le prêtre dos aux fidèles, la communion «à genoux et sur la langue». C'est la profession de foi que revendique haut et fort depuis quelques semaines un bastion de «traditionalistes» cognaçais.

Emmenées par le docteur Antoine Pierron, ces «trente-six familles souvent nombreuses et de toutes idées politiques» jurent ne pas flirter avec l'intégrisme. Plutôt vouloir mettre le doigt sur un phénomène qui ne se borne pas aux seules paroisses de Cognac: avec Mende, Viviers, Châlons-en-Champagne, Cambrai et Langres, Angoulême est l'un des six derniers diocèses de France à ne pas appliquer le motu proprio de 2007.
 
Ni loi ni décret de l'Église, cette lettre du pape Benoît XVI largement répandue dans toute la chrétienté française rend possible et encourage - «dans un but de réconciliation» - la célébration, au sein des paroisses, de la messe selon sa forme dite «extraordinaire». C'est-à-dire le culte d'avant Vatican II, «celui qui avait encore le sens du sacré» estime Antoine Pierron.

«Nous ne sommes pas contre la messe ordinaire, nous y assistons même parce que nous n'avons pas d'autre choix. Mais avec elle, nous ne savons jamais à quoi nous attendre. Ça va du grand spectacle, presque aux incantations vaudoues, jusqu'à une forme relativement traditionnelle. La messe en latin, c'est la même partout, le symbole de l'unité et le rappel de ce qui s'est passé sur la croix.»
Fidèles «tradis» contre curés et évêque
À condition que le rite ancien ne se substitue pas à celui instauré dès la fin des années 60 et que le prêtre soit d'accord, cette cohabitation des formes peut se développer, selon le coeur de l'occupant du trône de Saint-Pierre. «Sauf qu'à Cognac, les deux curés sont contre et qu'au niveau du diocèse, l'évêque traîne les pieds», accusent les «tradis du pape» cognaçais. Un jeune Angoumoisin, militaire actuellement en opération extérieure, porte-parole lui aussi de «plusieurs familles» sans qu'on ne sache combien, s'est manifesté voici deux mois pour porter le combat d'autres nostalgiques du latin, dans la capitale charentaise.
 
Un chef-lieu départemental où précisément la Fraternité de la transfiguration, une petite communauté apparentée au mouvement intégriste de la fraternité sacerdotale Saint-Pie X - susceptible de se réconcilier avec Rome -, est la seule en Charente à dire des messes dominicales suivant la forme ancienne, dans la chapelle Saint-Aptone. «Mais nous ne voulons pas aller là-bas, c'est contraire à nos convictions, assure Antoine Pierron. Et puis nous ne demandons pas un lieu de culte à 25 ou 50 kilomètres de chez nous, mais la possibilité que le motu proprio soit respecté dans toute paroisse qui en fait la demande.» 
 
À Cognac, on argue qu'il y a «d'autres priorités dans la vie d'un prêtre». «Notamment aller voir les gens qui ont besoin de nous, dans les maisons de retraite ou ailleurs, des endroits de solitude où l'on ne va pas assez», explique le père Baudoin de Beauvais.
 
Au milieu d'une réponse un peu «langue de buis» sur les bords, comme diraient joliment ses détracteurs, l'évêque académicien, Claude Dagens, relativise de son côté le nombre de traditionalistes dans son diocèse.
 
«Ce que je constate, c'est qu'en 2008, quand j'avais autorisé l'ancien curé de Genac à dire la messe en latin, ils étaient cent fidèles la première année. Plus que quarante la deuxième. Et plus que dix la troisième. Le prêtre a souhaité arrêter, je lui ai dit oui (1)
La crainte d'une récupération idéologique
La seule tentative de poursuite a tourné court. L'abbé Texier, qui officiait en latin le dimanche à Saint-Yrieix entre 2008 et 2010, a quitté le diocèse. Officiellement parce qu'il était «mal intégré». Selon les fidèles «tradis», «parce qu'il dérangeait».
 
En filigrane et plus ou moins par sous-entendus, Mgr Dagens confesse en fait l'inquiétude que les demandes de messes en latin ne cachent autre chose. Selon ses mots, «une souffrance individuelle qui peut trouver une réponse autrement.» Et surtout, une récupération, politique ou idéologique. «Je me demande si d'autres stratégies ne seraient pas à l'oeuvre, qui elles, feraient d'abord valoir des rapports de forces conscients ou inconscients», écrivait-il dès 2007.
 
L'évêque voit d'un mauvais oeil l'arrivée dans le débat de Paix liturgique. Une «association de catholiques» plutôt opaque qui a mené la vie dure à son homologue de Nanterre entre 2001 et 2005, jusqu'à ce qu'il cède finalement sur le premier motu proprio de 1988. Depuis, Paix liturgique ne se revendique plus que «simple soutien aux demandes». Pourtant, la messe est loin d'être dite.
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(1) Plus qu'autorisé à dire une messe en latin, l'abbé René Valtaud y avait été fortement encouragé par Mgr Dagens. Il avait accepté sans conviction, persuadé que c'était «revenir en arrière». L'homme d'église déclarait à l'époque : «L'évêque ne me l'a pas imposé, mais on va dire qu'il a fait en sorte que je ne refuse pas. De toute façon, aucun autre prêtre ne voulait y aller !»

1962. Concile Vatican II. Les grandes réformes durent jusqu'en 1965.
1970. Mgr Lefebvre fonde la Fraternité Saint-Pie X en Suisse. Début de sa rupture avec Rome quant à Vatican II.
1971. Le pape Paul VI impose la messe dans la langue du pays.
1988. « Motu proprio » de Jean-Paul II, qui tolère des messes en latin là où l'évêque est d'accord.
2007. Benoît XVI rédige son « motu proprio », qui laisse désormais aux curés le soin de cette messe.
2008. À Genac, l'abbé Valtaud, 87 ans et en maison de retraite, est invité à célébrer en latin une fois par mois.
2010. Fin de l'expérience de Genac.
2011. Premières demandes à Cognac.
35 messes en latin sont célébrées chaque semaine en Poitou-Charentes.

«Jusqu'à Rome s'il le faut»
Basée à Paris, l'association Paix liturgique «soutient» les demandes de messes en latin en France. Ce lobbying se traduit par des lettres engagées qui seraient diffusées chaque semaine à «300 000 lecteurs» dans le monde, selon Guillaume Ferluc, le responsable de ces éditions internationales. Mais aussi par des sondages visant à mesurer la perception, par les catholiques d'un diocèse, de la messe en latin.
 
«Nous en faisons réaliser quatre à cinq par an, avec une enveloppe approvisionnée par les dons et qui oscille entre 20 000 et 30 000 €», détaille le représentant du mouvement. «En commander un l'année prochaine pour la Charente sera une priorité, si rien n'a bougé d'ici là.»
 
En avril 2011, une enquête de ce type a été réalisée en Charente-Maritime auprès de 964 personnes par un cabinet indépendant, JLM-études. D'après ce travail, 30 % seulement des catholiques interrogés se montreraient hostiles à la messe en latin; 14 % y assisteraient «au moins une fois par mois». Les 56 % restants, de façon occasionnelle. «C'est à peu près la tendance que l'on mesure partout», assure Guillaume Ferluc.
 
De tels résultats viendraient conforter, pense-t-il, la requête des adeptes charentais de la messe «de toujours». Sachant que si cela ne suffit pas, ils peuvent «aller plus loin». Paix liturgique «ne portera pas ce combat» mais rappelle à ses amis qu'il est possible de «saisir la commission Ecclesia Dei ou le tribunal de la préfecture apostolique», des organismes qui comptent des adeptes de la messe en latin. De Cognac, Antoine Pierron s'est dit «prêt à aller jusqu'à Rome, s'il le faut».