SOURCE - Propos recueillis par Claire Thomas - Monde et Vie - juin 2012
Pourquoi s'attacher à la forme traditionnelle du rite liturgique? L'abbé Gérald de Servigny est prêtre du diocèse de Versailles. Il vient de publier un livre important Orate fratres pour répondre à cette question, fondamentale pour l'avenir de l'Eglise. Le titre latin de ce petit ouvrage ne doit pas nous cacher l'importance de cette contribution.
Monsieur l'abbé, vous êtes prêtre depuis plusieurs années à Notre-Dame des Armées à Versailles, vous célébrez la messe traditionnelle depuis votre ordination en 1993. Et aujourd'hui vous entreprenez un nouveau livre sur la messe traditionnelle, préface par votre évêque Mgr Aumônier. Que voulez-vous apporter au débat?Sans même parler de la manière dont elle était considérée avant le Motu proprio de 1988, la messe traditionnelle était dans la vie de l'Eglise, il y a 20 ans, soumise au régime de la tolérance, variable selon la bienveillance ou la largesse de l'autorité . Il fallait alors, de la part des clercs comme des laïcs, défendre le bien fondé et la légitimité des demandes d'application de cette miséricorde pastorale. Avec le Motu proprio de Benoît XVI, l'Eglise elle-même se réapproprie cette richesse et en assume la légitimité Même si la mise en oeuvre se fait progressivement, elle permet en beaucoup d'endroits une coexistence pacifique des deux formes Du coup je croîs qu'il était nécessaire, pour expliquer ces richesses aux jeunes générations qui grandissent dans ce contexte pacifie, de l'extraire des querelles du passé difficilement déchiffrables de la part de ceux qui n'ont pas connu ces « années de plomb » Chacun, évidemment, garde la mémoire de son passé, maîs si l'on transmet ses valeurs, on ne transmet pas ses combats C'est un peu cela que j'ai voulu consigner dans ce livre des idées, des convictions certes, mais sereinement et positivement, dégage du contexte polémique d'autrefois.
Qu'est-ce qui a vraiment change selon vous depuis le Motu proprio de Benoît XVI Summorum pontifîcum ?Les hommes changent lentement La vie de l'Eglise se renouvelle surtout par le renouvellement des générations, mais il se fait plus difficilement aujourd'hui les enterrements sont plus nombreux que les baptêmes et les promotions d'ordinations ont été divisées par 10 en 70 ans Tout cela explique un certain immobilisme de la culture ecclésiale en France aujourd'hui Mais Summorum pontificum est comme un point d'inflexion dans l'histoire liturgique récente il a changé le regard de beaucoup sur la liturgie traditionnelle et rend plus accessible ce qui est désormais une richesse pour tous, spécialement pour des fidèles et des clercs éloignes par leur histoire de la contestation traditionnaliste Autrefois certains y venaient, maîs parce qu'ils étaient déçus ou fâches avec la liturgie de leur paroisse et la pastorale qui l'accompagne, aujourd'hui ils viennent s'y nourrir en complément d'une vie paroissiale qu'ils ne renient pas Je croîs qu'en tout cela la patience, la persévérance et la chanté feront le reste à la grâce de Dieu.
Vous parlez d'un "affadissement" de la théologie de la messe dans la deuxième partie du XXe siècle...Oui c'est vrai, dans la confusion de ces dernières décennies la prédication ordinaire avait ignoré ou laissé de côte des aspects centraux de la théologie eucharistique comme la présence réelle, la réalité sacrificielle ou l'importance du sacerdoce ministériel Bien sûr le Magistère de l'Eglise a réaffirmé (spécialement Paul VI dans Mysterium Fidei sur la présence réelle et Jean Paul II dans Ecclesia de Eucharistia sur le sacrifice) la foi inchangée de l'Eglise, mais je croîs que la messe traditionnelle traduit bien par les signes liturgiques simples ces ventés de la foi: marques de respect envers l'eucharistie, génuflexions, silence, orientation de la célébration une authentique pédagogie de la foi '
Quels scénarios vous semblent plausibles pour les deux formes du rite romain dans l'avenir?La première phase, celle que nous vivons actuellement, est une sorte de « paix de l'Eglise » qui permet d'une certaine manière l'application du Motu Propno de 1988. avec largesse et générosité comme y exhortait Jean Paul II En outre se dessine une plus grande collaboration avec les paroisses un certain nombre de prêtres apprennent à célébrer l'ancien missel (ce qui n'est pas facile pour eux quand ils ne sont pas familiers du latin, du grégorien) En commençant par une messe en semaine par exemple cela permet a la paroisse de (re) découvrir progressivement cette forme Ensuite, la messe en forme extraordinaire, tout en étant régulièrement célébrée en certains lieux, pourraient s'intégrer, au fil des années, dans une vie paroissiale (comme la liturgie de Saint Basile et celle de Saint Jean Chrysostome pour les byzantins) par exemple elle serait célébrée pendant l'Avent et le Carême, tandis que la forme ordinaire serait conservée pour les autres temps liturgiques Cela favoriserait l'enrichissement mutuel souhaité par Benoît XVI une plus grande solennité et sacralité pour la liturgie de Paul VI, une certaine sobriété dans le cérémonial et une plus grande diversité (préfaces, lectures) pour la messe de Saint Pie V. C'est alors, dans ce climat pacifie, que pourrait advenir la réforme de la réforme Qui vivra verra.
A qui s'adresse le Motu proprio Summorum pontificum sur la liturgie ? Est-ce le signe d'un nouveau mouvement liturgique dans toute l'Eglise?Jean Paul II comme Benoît XVI ont parlé du renouveau de l'Eglise par le renouveau de la liturgie Après les âpres disputes de l'époque post conciliaire, la question liturgique tout en restant très vive, a été mise sous le boisseau. Aujourd'hui dans un climat plus apaisé, j ai l'impression qu'elle refait surface les publications plus nombreuses en témoignent. Je croîs que le cardinal Ratzinger devenu Benoît XVI n'y est pas pour rien Par ses nombreuses publications il a sorti la liturgie des ornières où les dialectiques passées l'avaient conduite archéologisme, anthropocentrisme, rubricisme.
Propos recueillis par Claire Thomas
Gérald de Servigny, Orate fratres, éditions Ad Solem 2012, 21 euros