SOURCE - Céline Hoyeau - La Croix - 8 juillet 2012
Un chapitre général de la Fraternité Saint-Pie-X s’ouvre lundi 9 juillet à Écône (Suisse), alors que le mouvement lefebvriste est traversé de fortes tensions.
Un chapitre général de la Fraternité Saint-Pie-X s’ouvre lundi 9 juillet à Écône (Suisse), alors que le mouvement lefebvriste est traversé de fortes tensions.
Le
préambule doctrinal proposé par Rome à la discussion fait l’objet de
vifs débats. Un tiers de la Fraternité serait opposé à Mgr Bernard
Fellay, son supérieur général, et à tout accord.
Officiellement, il n’y a « pas de dissensions »
: « Aucun groupe ni prêtre n’a annoncé qu’il quittait la Fraternité »,
affirme l’abbé Grégoire Célier, porte-parole du district de France.
Pourtant, de profondes divisions sont apparues ces dernières semaines
entre la majorité conduite par Mgr Bernard Fellay, le supérieur général,
favorable à un accord avec Rome, et une aile dure qui lui est hostile
et qui pourrait tenter un coup de force pendant le chapitre.En témoigne l’échange de courriers publié le 10 mai sur Internet montrant le vif désaccord entre le chef des lefebvristes et les trois autres évêques de la Fraternité qui ont condamné tout accord pratique. Ou, plus récemment, la mise à l’écart de Mgr Richard Williamson, en raison de « ses prises de position appelant à la rébellion ».
Selon plusieurs observateurs, « Mgr Fellay veut incontestablement un accord et s’est beaucoup avancé ». Dans son sermon du 29 juin, il l’a certes reconnu : « Nous sommes revenus au point de départ, lorsque nous avions dit ne pas pouvoir signer. » Mais il a aussi rappelé : « Nous sommes romains et cela, il ne faut pas le lâcher. Même si nous devons souffrir de la Rome actuelle, il ne faut pas renoncer à Rome, tête de l’Église. »
Un tiers de la Fraternité opposé à l’accordIl semble vouloir donner des gages des deux côtés : à Rome, en écartant Mgr Williamson du chapitre général et en refusant d’ordonner des prêtres dans les communautés « amies » les plus rétives à un accord ; et à ses troupes, en refusant de céder devant les nouvelles conditions posées par la dernière version du préambule doctrinal, amenée par le pape. Dans tous les cas, analyse un proche de la Fraternité Saint-Pie-X, « tout cela sert à préparer psychologiquement les esprits à un accord ».
Aussi, dans ce contexte de pressions et de fuites, ce chapitre général de mi-mandat pour Mgr Fellay, réélu en 2006 pour douze ans, devrait être l’occasion d’évaluer les soutiens dont il bénéficie. Il sait que la plupart des districts lui sont acquis, en particulier les plus importants (l’Allemagne et les États-Unis).
En revanche, ceux d’Irlande et d’Angleterre sont farouchement opposés à tout accord, et la France, qui représente un tiers de la Fraternité, pose elle aussi problème : sur les 37 prieurés français, entre un quart et un tiers y seraient opposés.
Au total, selon plusieurs observateurs interrogés par La Croix, un tiers de la Fraternité serait acquis à Mgr Fellay, un autre tiers, « les légitimistes », le suivrait quoi qu’il arrive, mais un dernier tiers serait hostile à tout accord avec Rome et au supérieur général.
Menace de frondeCette hostilité se greffe plus largement sur le ressentiment d’un bon nombre de prêtres contre la gouvernance jugée autoritaire de Mgr Fellay. Si Mgr Williamson a perdu toute crédibilité, Mgr Alfonso de Galarreta pourrait catalyser une fronde, appuyé par Mgr Bernard Tissier de Mallerais.
Lors de la dernière consultation, l’évêque argentin avait expliqué par le menu pourquoi « aller dans le sens d’un accord pratique serait renier notre parole et nos engagements devant nos prêtres, nos fidèles, Rome et devant tout le monde ». À ses yeux, « il n’y a aucun changement au point de vue doctrinal de la part de Rome qui justifierait le nôtre. Bien au contraire, les discussions ont démontré qu’ils (NDLR : à Rome) n’acceptent en rien nos critiques. »
Si une entente était trouvée, ces opposants feraient-ils sécession ? « Toute une partie ne suivra pas en cas de prélature personnelle », admet l’abbé Célier. Mais après le refus du texte remis par le cardinal William Levada, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le 13 juin, « le processus est de nouveau bloqué ». En ce sens, estime l’abbé Célier, « puisqu’on est revenu à une situation classique, le chapitre général n’en sera que plus simple ».
Les départs seraient minimesDu reste, que deviendraient les opposants, hors de la Fraternité ? D’une part, les prêtres lefebvristes formés dans des séminaires différents ne se connaissent guère d’un pays à l’autre, et s’unir au sein d’une nouvelle structure n’aurait rien d’évident.
Surtout, les questions pratiques et financières risquent de peser lourd. Mgr Fellay, qui fut économe général de la Fraternité Saint-Pie-X pendant douze ans, aurait pris les mesures nécessaires pour que le jour où certains supérieurs de district s’opposeraient à lui, leurs propriétés lui reviennent automatiquement… Beaucoup reconnaissent qu’« entre s’opposer à un accord et faire scission, il y a un fossé ».
« Si je devais quitter du jour au lendemain mon travail, mes paroissiens, mes confrères, que deviendrais-je ? », s’interroge ainsi l’abbé Célier, qui est « depuis trente-deux ans dans la Fraternité ». Un autre proche confirme : « Il y a des divergences, c’est une évidence. Cela dit, il y a peut-être 40 % de mécontents, mais seulement 10 à 15 % qui le manifestent à voix haute et au final 3 % qui partiraient. »
Lorsque l’abbé Philippe Laguérie avait souhaité quitter la Fraternité en 2006, 70 prêtres lui avaient promis de le suivre et moins de 10 avaient finalement franchi le pas. Même l’abbé Xavier Beauvais, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, qui dit haut et fort son opposition à tout accord, aurait confié à son entourage : « Je suis contre, mais je n’irai pas contre. »
CÉLINE HOYEAU