SOURCE - Flavien Blanchon - Novopress - tribune libre - 1er juillet 2012
ROME (NOVOpress) - Les polémiques qui font rage dans la Fraternité Saint-Pie X quant à un éventuel accord avec Rome, les arguments ressassés de part et d’autre à grands coups de citations de Mgr Lefebvre, les accusations de trahison ou de reniement, les aigreurs personnelles qui sont inévitables en pareilles circonstances, la divulgation routinière sur Internet de documents censés confidentiels – fuites dont les coupables ne sont pas forcément ceux que l’on croit –, les excès de langage d’un côté, l’autoritarisme, de l’autre, dans sa forme la plus odieuse, le chantage aux saints ordres, pour punir collectivement des communautés religieuses dont la « loyauté » n’est pas jugée assez « sûre » – ce feuilleton, hors du petit monde traditionaliste, ne suscite guère que l’indifférence. Les adorateurs d’autres dieux que celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob risquent même d’y trouver confirmation une fois de plus, que le monothéisme a apporté au monde la haine théologique.
L’éclatement virtuel de la Fraternité Saint-Pie X n’est pourtant pas sans importance pour tous ceux, catholiques ou non, qui luttent aujourd’hui en France pour leur identité de Français, d’Européens, de Blancs. On ne saurait, sans doute, trouver là des raisons pour ou contre l’accord avec Rome : ces raisons ne sauraient être que religieuses, de même que le combat de Mgr Lefebvre et de ses successeurs n’a jamais pu avoir de légitimité autre que religieuse – la « réduction au politique », utilisée sous la Révolution pour persécuter les prêtres réfractaires, est depuis des lustres la tactique favorite des évêques conciliaires et des journaleux contre la Fraternité Saint-Pie X. Reste que la Fraternité, à côté ou à cause de son combat religieux, joue de fait, en France surtout, un rôle culturel, social, politique, et qu’il serait grave, pour cette raison aussi, qu’elle disparût.
L’essentiel, même dans l’ordre religieux, n’est pas le libellé exact du « préambule doctrinal » que la Fraternité Saint-Pie X, selon toute apparence, signera bientôt et qui, en substance, l’engagera à interpréter le concile Vatican II selon la tradition catholique. Avec un peu de bonne volonté ou de mauvaise foi, un théologien compétent peut interpréter n’importe quoi dans un sens catholique. Le futur cardinal Newman, à l’époque où il était encore clergyman anglican, publia un traité célèbre, le Tract 90, pour essayer de montrer que les Trente-neuf Articles de l’Église anglicane – une confession de foi protestante rédigée au XVIème siècle par des protestants – n’étaient pas incompatibles avec la doctrine catholique. Qui doutera qu’un travail semblable puisse être mené a fortiori avec Vatican II ? Pour qui a lu, par exemple, les décrets – pleins, magnifiques, gravés dans le bronze – du concile de Trente sur la justification ou la pénitence, ce qui frappe d’abord dans les textes de Vatican II n’est pas l’hérésie mais la médiocrité, littéraire et philosophique aussi bien que théologique, le creux, le verbeux, le gnangnan. On peut leur appliquer le mot de Rebatet sur Maritain : ce sont des motions de congrès radical-socialiste mises en latin de séminaire. La palme à cet égard revenant sans doute au message de Vatican II à la jeunesse du monde : « C’est à vous enfin, jeunes gens et jeunes filles du monde entier, que le Concile veut adresser son dernier message. Car c’est vous qui allez recueillir le flambeau des mains de vos aînés et vivre dans le monde au moment des plus gigantesques transformations de son histoire ». Vieux cons!
Il est techniquement possible d’interpréter Vatican II selon la tradition catholique. Toute la question est de savoir pour quoi faire. Pour les Trente-neuf Articles, le but de Newman était de montrer qu’on pouvait être catholique à l’intérieur de l’Église anglicane : condamné en réponse et couvert d’injures par les évêques anglicans, il abandonna l’anglicanisme et se convertit. Dans le cas du préambule doctrinal, s’agit-il de neutraliser le Concile ou de l’accepter finalement ? d’en guérir le venin ou d’en boire soi-même, en l’enduisant de miel, le calice empoisonné ? Tout, à vue humaine, fait penser que, dans les faits, c’est bien de ralliement qu’il s’agira : la Fraternité Saint-Pie X, soumise à la hiérarchie de l’Église conciliaire, contrainte de vivre selon les règles et au rythme de celle-ci, sera absorbée par elle. C’est bien là-dessus que comptent les autorités romaines et, pour qui connaît l’histoire de l’Église, sans parler de l’expérience des communautés dites Ecclesia Dei depuis vingt ans, leur calcul est le bon. Quant à ceux qui refuseront l’accord, exclus de la Fraternité, mis à la porte des lieux de culte, contraints de repartir à zéro, il y a fort à craindre, à vue humaine là encore, qu’ils ne soient réduits à une complète marginalité, proies faciles pour toutes les dérives millénaristes, apparitionnistes, apocalyptiques. Aseptisation de la Fraternité officielle, sectarisation de la Fraternité dissidente, deux voies qui conduiront également à l’insignifiance.
Or la Fraternité Saint-Pie X est une des forces de la résistance française. Elle est l’héritier principal et la plus visible incarnation de la tradition contre-révolutionnaire : courant dont l’éclat est un peu passé, qui peine à se renouveler, mais qui a beaucoup compté dans la culture française et dont l’apport, pour qui veut échapper à la mise au pas idéologique et à tous les lieux communs du politiquement correct médiatique et scolaire, demeure irremplaçable. Il est vital qu’une contestation radicale de la Révolution française puisse continuer à s’exprimer et à se transmettre – que la grande voix de Maistre et de Bonald, du cardinal Pie, de Mgr Freppel, ne se taise pas tout à fait. Si la Fraternité Saint-Pie X n’est plus là pour porter ce refus et cette fidélité, qui le fera ? Faudra-t-il compter sur les évêques conciliaires, thuriféraires de l’abbé Grégoire, figurants dociles des panthéonisations républicaines, chiens crevés au fil de toutes les eaux de la pensée unique ? Est-ce hasard si la France est, de tous les pays d’Europe, celui où la Fraternité est le plus implanté, et si l’accord entre Rome et la Fraternité est promu par des Suisses et des Allemands, gens éminemment respectables par ailleurs mais pour lesquels notre tradition contre-révolutionnaire ne signifie rien ?
Les idées ne sont pas seules en cause. La Fraternité Saint-Pie X est, concrètement et physiquement, un des très rares foyers de la survie française. Avec ses familles nombreuses, ses vocations sacerdotales et religieuses, le réseau de ses monastères, de ses prieurés, de ses écoles, elle a jeté les bases de ce qu’on peut appeler, pour faire vite, un communautarisme des Français de souche ou, si l’on préfère, d’une future Reconquista. Il n’y a plus qu’à la Fraternité Saint-Pie X, non seulement que l’on chante, mais qu’il y ait un sens à chanter, le vieux refrain « Catholiques et Français toujours ! » L’Église conciliaire, du haut jusqu’en bas, est immigrationnisme et métisseuse, elle est, dans le génocide en cours des peuples d’Europe, activement du côté des génocideurs. Il y aura toujours, dans l’espèce particulière des conciliaires conservateurs, des gens pour le nier : suivons à leur égard le conseil de Sieyès, au temps où il était encore vicaire général de l’évêque de Chartres : « Ne perdez pas votre temps à rien discuter avec ces sortes de gens : on ne les persuade point ; livrez-les au fouet des événements pour toute réponse ». À chaque attentat islamique, à chaque affaire d’église brûlée et vandalisée, de tabernacle profané, de fidèles caillassés à la messe, à chaque drame de jeune Française violée, torturée, dépecée, les évêques conciliaires manquent-ils jamais de se précipiter dans les gros médias et de mettre en garde, sans même un mot de pitié pour les victimes, contre « les amalgames » et « la stigmatisation » ? Leur cœur est aux envahisseurs.
On se souvient du mot du prince Salina, au nom de sa classe, dans Le Guépard de Lampedusa : « Croyez-vous que, si l’Église pouvait se sauver en nous sacrifiant, elle hésiterait à le faire ? » Force nous est bien de constater aujourd’hui, Français et Européens, que l’Église nous a sacrifiés. Elle a jugé que son avenir n’était plus parmi nous et, au fond, que nous n’avions plus d’avenir – et peut-être, de son point de vue, a-t-elle eu raison. Il restait la Fraternité Saint-Pie X. Si la Fraternité nous abandonne à son tour, que pourront faire ceux d’entre nous qui sont fidèles à leur baptême, et qui ne se résignent pourtant pas à disparaître comme peuple et comme race, sinon répéter douloureusement la parole de saint Pierre : Domine, ad quem ibimus ? « Seigneur, à qui irons-nous ? »
Flavien Blanchon