SOURCE - Paix Liturgique, lettre n°343 - 10 juillet 2012
Exsangue, l'Église de France a désormais les
yeux rivés sur le chiffre de ses ordinations annuelles qui sont délivrés
au mois de juin de chaque année. Les chiffres de 2012 confirment une
tendance lourde : la diminution du chiffre global des séminaristes et
des ordinations avec l'augmentation continue de la proportion de
candidats et prêtres pour la forme extraordinaire. Au-delà des chiffres,
les analyses montrent aussi quelle tendance de fond le Motu Proprio a
confirmée : une traditionalisation du clergé diocésain français ou plus
exactement de ce qui va en rester.
I – RECUL DU CHIFFRE GLOBAL DES ORDINATIONS, AUGMENTATION CONTINUE DE LA PROPORTION « EXTRAORDINAIRE »
Nous annoncions dans notre lettre n° 325 que l'année 2012 allait malheureusement être pauvre quant au nombre de nouveaux prêtres. Et, en effet, dans son édition du 18 juin 2012, La Croix a publié que, selon les informations fournies par la Conférence des Évêques de France, 97 prêtres diocésains seulement seraient ordonnés cette année, précisant que c'était « un chiffre légèrement en baisse par rapport à 2011 ».
Pour être précis, le chiffre de l'an passé était de 109, soit une baisse de 11 % cette année. Rappelons pour mémoire qu'il y avait 96 ordinations recensées en 2010 pour les diocèses français, 89 en 2009, 98 en 2008, 101 en 2007, 68 en 2006 (pour au moins 800 départs en retraite par an en moyenne).
Du côté des ordinations selon la forme extraordinaire, nous rappelons que les critères de nos enquêtes sont les suivants :
– ne sont comptabilisés que les nouveaux prêtres français des communautés dont le ministère est assimilable à un ministère diocésain, c'est-à-dire en écartant toutes les communautés proprement religieuses ;
– sont distinguées (pour cette fois-ci encore) deux catégories : la Fraternité Saint-Pie X et les traditionalistes « officiels » (communautés Ecclesia Dei, séminaristes « extraordinaires » hors communautés, c'est-à-dire pris en charge par des diocèses) tous confondus.
Il y a donc, cette année, 20 ordinations de prêtres français pour la forme extraordinaire répondant à ces critères, dont 11 pour la FSSPX (10 pour la FSSPX elle-même, et un prêtre pour la communauté de la Transfiguration, dont les services sont assimilables à des services « diocésains »).
En 2011, il y avait 18 nouveaux prêtres français, dont 11 de la Fraternité Saint-Pie X. Soit une croissance absolue notable (11 %) sans être fortement significative sur un chiffre de cet ordre, mais une forte croissance relative par rapport aux ordinations « ordinaires », comme on va le voir.
On retiendra aussi pour mémoire qu'il y avait, en 2010, 16 ordinations de prêtres français pour la forme extraordinaire, dont 8 pour la Fraternité Saint-Pie X et 15 en 2009, dont 6 pour la FSSPX.
La proportion entre les deux catégories de prêtres français ordonnés qui était donc en 2011 de 86 % pour la forme ordinaire et 14 % pour la forme extraordinaire, passe en 2012 à 83 % pour la forme ordinaire et à 17 % pour la forme extraordinaire.
Il faut faire une double pondération : la Communauté Saint-Martin a connu cette année un chiffre record d'ordinations sacerdotales (10 prêtres), qui seront pour une part affectés à des services diocésains ; mais on peut estimer au moins au même nombre, les prêtres diocésains (ou de communautés au service des diocèses, comme la Communauté Saint-Thomas Becket) qui se destinent expressément à une pratique bi-formaliste.
Nous évaluons en outre la proportion des candidats au sacerdoce diocésain que l'on pourrait qualifier d'« esprit Motu Proprio » à 30 % environ des séminaristes diocésains français. Cela signifie que sur la proportion de prêtres français ordonnés pour la forme ordinaire (83 % en 2012), une part non négligeable d'entre eux se reconnaît dans l'esprit du Motu Proprio et entend célébrer également demain – ou célèbre déjà occasionnellement ou régulièrement – la forme extraordinaire du rite romain. Cette proportion de clergé diocésain Motu Proprio ne fait qu'augmenter d'année en année.
II – TRADITIONALISATION DU « PETIT RESTE » DU CLERGÉ DIOCÉSAIN
C'est une donnée qu'enregistrent désormais tous les formateurs diocésains de futurs prêtres : l'attrait vers les formes traditionnelles est de plus en plus explicite chez les séminaristes.
Nous le disions dans notre dernière lettre (n° 342) : si l'effet du Motu Proprio Summorum Pontificum semble avoir été jugulé dans sa version de demandes de groupes de fidèles agréées par les curés, en revanche le nombre de prêtres désireux de répondre à une demande virtuelle, surtout de jeunes prêtres, et plus encore de futurs prêtres actuellement en formation dans les séminaires, représente, à moyen et long termes, un potentiel croissant d'avancée de la messe selon la forme extraordinaire.
Qu'on n'imagine cependant pas qu'on aille vers un « retour » inéluctable. Du point de vue strictement liturgique, il ne faut pas se cacher les difficultés auxquelles ce « retour » se heurte, quel que soit le désir des futurs lévites et des nouveaux prêtres.
a) D'une part, la résistance d'une partie des clercs de tous rangs (y compris de laïcs cléricalisés), voulant conserver les acquis de l'« esprit du Concile », reste encore très puissante.
b) D'autre part, un autre obstacle : celui du hiatus culturel et cultuel qu'a provoqué la réforme sécularisante qui a suivi Vatican II.
La connaissance du latin, dont les cours ne sont plus guère présents dans les séminaires français que comme une espèce de matière à option (un peu pour des raisons idéologiques, beaucoup en raison de l'effondrement général des humanités en France), est devenue très faible pour un certain nombre de séminaristes et de nouveaux clercs.
Plus encore, a disparu dans le jeune corps ecclésiastique français l'habitus rituel immémorial que constituait la liturgie romaine. Il y a donc souvent un handicap à surmonter pour les prêtres qui veulent célébrer la forme extraordinaire ou s'en rapprocher (de même pour les fidèles, même de très bonne volonté) : dès que l'on adopte la forme extraordinaire ou que l'on s'en rapproche, on est en effet immergé dans un univers rituel devenu de fait étrange – ne serait-ce que parce que, à la différence de l'univers liturgique de Vatican II, il est essentiellement et puissamment rituel – même s'il apporte immédiatement et de manière évidente une grande richesse de transcendance, de pédagogie de la foi, de qualité culturelle et le sentiment très fort de s'enter dans une tradition transmise de main en main. C'est cependant un handicap, qu'il n'est nullement impossible de dépasser, mais qui nécessite un effort adéquat.
Quoi qu'il en soit, cet attrait pour les formes traditionnelles favorise une porosité entre « ordinaires » et « extraordinaires » toujours plus grande. Il faut être conscient que celle-ci va être un élément incontournable de la réorganisation réaliste du tissu sacerdotal français en temps d'extrême pénurie.
En France, les prêtres des communautés Ecclesia Dei et de la Fraternité Saint-Pie X – la prochaine Prélature Saint-Pie X – assimilables à des prêtres diocésains (donc non compris les religieux) sont plus de 300, à savoir environ 150 prêtres pour la FSSPX et un nombre sensiblement égal pour les communautés Ecclesia Dei (*). Ces prêtres desservent plus de 400 lieux de culte dominicaux et assurent les aumôneries d'un réseau d'une centaine d'écoles non subventionnées (50 établissements pour le groupe Fraternité Saint-Pie X et 40 environ pour le groupe Ecclesia Dei). Demain, le bon sens va exiger que l'on utilise ces prêtres dans les diocèses, en tenant compte de leur spécialisation pour la célébration de la messe selon la forme extraordinaire.
D'autant que les territoires des diocèses de France comportent de nombreux espaces, de plus en plus vastes, laissés désormais en friche, où la présence de l'Église se raréfie voire disparaît pratiquement, par manque de bras. L'une des dynamiques de la nouvelle évangélisation devrait logiquement consister à réoccuper certains de ces espaces en déshérence en utilisant les forces traditionnelles existantes.
III - LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
Nous ne pouvons que répéter, en substance, et compléter les réflexions, qui nous semblent de bon sens, que nous émettions dans notre lettre 325 sur les statistiques des séminaristes pour les diocèses de France.
1) Il est clair que la croissance des vocations et des ordinations pour la forme extraordinaire, y compris si on lui ajoutait la croissance de la communauté Saint-Martin, les ordinations de la Communauté Saint-Thomas Becket et autres communautés de ce type, ne suffira pas, même de très loin, à combler le déficit sacerdotal en France, qui nécessiterait 20 000 séminaristes en formation, alors qu'ils sont seulement 140 séminaristes pour la forme extraordinaire, dont 50 pour la FSSPX, et 710 au 15 novembre 2011 dans les séminaires diocésains.
Il faudrait plus de vingt fois plus de séminaristes en France pour combler le déficit actuel. Mais les 140 séminaristes traditionnels d'aujourd'hui pourraient être les bienvenus.
2) La liturgie réformée après le Concile, au moins dans l'interprétation qui en est faite, semble un des éléments majeurs ayant permis le raz-de-marée de la sécularisation sur la société chrétienne et l'évanouissement de la mission. Inversement, tout que ce qui « va avec » la liturgie traditionnelle, catéchisme, formation doctrinale des jeunes, écoles, mouvements, et par-dessus tout vocations sacerdotales, ont une valeur missionnaire évidente qui, au minimum, « limite les dégâts ». Les quelques 20 000 jeunes pèlerins des pèlerinages traditionnels de la Pentecôte attestent la vitalité sacramentelle et missionnaire des communautés chrétiennes qui vivent au rythme spirituel de la messe en forme extraordinaire. Elles montrent qu'il y a toujours besoin de prêtres et que ces paroisses et communautés représentent un des moyens privilégiés de les procurer.
3) Plus de 15 % (17 % exactement) des nouveaux prêtres de ce pays sont « engendrés » par à peine 4 % des catholiques pratiquants – ceux qui ont accès chaque dimanche à la liturgie traditionnelle. Le nombre des jeunes gens se destinant à la forme extraordinaire ne demande qu'à s'accroître, si on en prend les moyens (lesquels relèvent en premier lieu de ceux qui sont en charge de la formation des clercs pour la forme extraordinaire, c'est-à-dire des responsables des communautés Ecclesia Dei, ensuite des capacités psychologiques et pastorales d'accueil des responsables diocésains). Et tout d'abord, selon le bon vieux principe que l'on n'aime que ce que l'on connaît et que l'on pratique, nul doute que plus la forme extraordinaire sera proposée dans les paroisses, plus elle sera découverte par de jeunes gens qui jusque-là en ignoraient l'existence et qui seront, le cas échéant, en mesure de faire le choix de la forme extraordinaire. Dans telle grosse métropole française, la paroisse vouée à la forme extraordinaire donne en moyenne 5 vocations par an, dont une partie pour le séminaire diocésain. On ne peut pas affirmer que si toutes les grandes paroisses de la même grande ville pratiquaient la forme extraordinaire, le séminaire diocésain deviendrait bien trop petit mais, à coup sûr, il enregistrerait davantage de rentrées (surtout s'il réservait des « plages » liturgiques à la forme extraordinaire, mais nous rêvons, pour l'instant…).
4) Dit autrement : si 17 % des nouveaux prêtres sont « engendrés » par moins de 4 % des catholiques pratiquants, il faut aussi noter que ce vivier vocationnel exceptionnel (exceptionnel non pas en soi, mais relativement à une situation de faillite), pourrait être nettement plus important. Il est patent que « l'offre » de célébrations traditionnelles devrait mieux répondre à la « demande », car s'il n'y a que moins de 4 % des pratiquants qui peuvent vivre leur foi au rythme de la forme extraordinaire du rite romain, nos sondages indiquent avec une parfaite constance que c'est au moins le tiers des fidèles (et jusqu'aux deux tiers dans le diocèse de Rennes !) qui souhaitent pouvoir assister régulièrement à la liturgie traditionnelle dans leur paroisse. En ouvrant plus de paroisses à la célébration de la forme extraordinaire du rite romain, en satisfaisant le désir des fidèles et en faisant découvrir cette forme liturgique à ceux qui ne la connaissent pas, le nombre des séminaristes Summorum Pontificum continuerait à augmenter, influant immédiatement sur la courbe des vocations diocésaines.
5) Notons pour finir que 43 diocèses français sur un total de 90 n'ordonneront aucun prêtre cette année. Contrairement à des idées reçues, ces diocèses ne sont pas tous des diocèses ruraux mais aussi des diocèses urbains avec une grande tradition sacerdotale, tel le diocèse de Rennes de Mgr d'Ornellas. Parmi ces 43 diocèses, certains n'attendent même aucune ordination dans les prochaines années. Il serait intéressant de se pencher, au cas par cas, sur l'accueil fait au Motu Proprio de Benoît XVI dans ces diocèses. Car, si l'évolution de la société explique une part de ce drame, le rejet voire la persécution des familles attachées à la forme extraordinaire n'y sont sans doute pas tout à fait étrangers.
(*) Notons au passage que le nombre des prêtres qui ont quitté ces communautés pour intégrer les diocèses n'est pas négligeable : il serait même beaucoup plus grand si l'« accueil » diocésain était plus généreux, et les conditions posées à ces prêtres moins onéreuses.
I – RECUL DU CHIFFRE GLOBAL DES ORDINATIONS, AUGMENTATION CONTINUE DE LA PROPORTION « EXTRAORDINAIRE »
Nous annoncions dans notre lettre n° 325 que l'année 2012 allait malheureusement être pauvre quant au nombre de nouveaux prêtres. Et, en effet, dans son édition du 18 juin 2012, La Croix a publié que, selon les informations fournies par la Conférence des Évêques de France, 97 prêtres diocésains seulement seraient ordonnés cette année, précisant que c'était « un chiffre légèrement en baisse par rapport à 2011 ».
Pour être précis, le chiffre de l'an passé était de 109, soit une baisse de 11 % cette année. Rappelons pour mémoire qu'il y avait 96 ordinations recensées en 2010 pour les diocèses français, 89 en 2009, 98 en 2008, 101 en 2007, 68 en 2006 (pour au moins 800 départs en retraite par an en moyenne).
Du côté des ordinations selon la forme extraordinaire, nous rappelons que les critères de nos enquêtes sont les suivants :
– ne sont comptabilisés que les nouveaux prêtres français des communautés dont le ministère est assimilable à un ministère diocésain, c'est-à-dire en écartant toutes les communautés proprement religieuses ;
– sont distinguées (pour cette fois-ci encore) deux catégories : la Fraternité Saint-Pie X et les traditionalistes « officiels » (communautés Ecclesia Dei, séminaristes « extraordinaires » hors communautés, c'est-à-dire pris en charge par des diocèses) tous confondus.
Il y a donc, cette année, 20 ordinations de prêtres français pour la forme extraordinaire répondant à ces critères, dont 11 pour la FSSPX (10 pour la FSSPX elle-même, et un prêtre pour la communauté de la Transfiguration, dont les services sont assimilables à des services « diocésains »).
En 2011, il y avait 18 nouveaux prêtres français, dont 11 de la Fraternité Saint-Pie X. Soit une croissance absolue notable (11 %) sans être fortement significative sur un chiffre de cet ordre, mais une forte croissance relative par rapport aux ordinations « ordinaires », comme on va le voir.
On retiendra aussi pour mémoire qu'il y avait, en 2010, 16 ordinations de prêtres français pour la forme extraordinaire, dont 8 pour la Fraternité Saint-Pie X et 15 en 2009, dont 6 pour la FSSPX.
La proportion entre les deux catégories de prêtres français ordonnés qui était donc en 2011 de 86 % pour la forme ordinaire et 14 % pour la forme extraordinaire, passe en 2012 à 83 % pour la forme ordinaire et à 17 % pour la forme extraordinaire.
Il faut faire une double pondération : la Communauté Saint-Martin a connu cette année un chiffre record d'ordinations sacerdotales (10 prêtres), qui seront pour une part affectés à des services diocésains ; mais on peut estimer au moins au même nombre, les prêtres diocésains (ou de communautés au service des diocèses, comme la Communauté Saint-Thomas Becket) qui se destinent expressément à une pratique bi-formaliste.
Nous évaluons en outre la proportion des candidats au sacerdoce diocésain que l'on pourrait qualifier d'« esprit Motu Proprio » à 30 % environ des séminaristes diocésains français. Cela signifie que sur la proportion de prêtres français ordonnés pour la forme ordinaire (83 % en 2012), une part non négligeable d'entre eux se reconnaît dans l'esprit du Motu Proprio et entend célébrer également demain – ou célèbre déjà occasionnellement ou régulièrement – la forme extraordinaire du rite romain. Cette proportion de clergé diocésain Motu Proprio ne fait qu'augmenter d'année en année.
II – TRADITIONALISATION DU « PETIT RESTE » DU CLERGÉ DIOCÉSAIN
C'est une donnée qu'enregistrent désormais tous les formateurs diocésains de futurs prêtres : l'attrait vers les formes traditionnelles est de plus en plus explicite chez les séminaristes.
Nous le disions dans notre dernière lettre (n° 342) : si l'effet du Motu Proprio Summorum Pontificum semble avoir été jugulé dans sa version de demandes de groupes de fidèles agréées par les curés, en revanche le nombre de prêtres désireux de répondre à une demande virtuelle, surtout de jeunes prêtres, et plus encore de futurs prêtres actuellement en formation dans les séminaires, représente, à moyen et long termes, un potentiel croissant d'avancée de la messe selon la forme extraordinaire.
Qu'on n'imagine cependant pas qu'on aille vers un « retour » inéluctable. Du point de vue strictement liturgique, il ne faut pas se cacher les difficultés auxquelles ce « retour » se heurte, quel que soit le désir des futurs lévites et des nouveaux prêtres.
a) D'une part, la résistance d'une partie des clercs de tous rangs (y compris de laïcs cléricalisés), voulant conserver les acquis de l'« esprit du Concile », reste encore très puissante.
b) D'autre part, un autre obstacle : celui du hiatus culturel et cultuel qu'a provoqué la réforme sécularisante qui a suivi Vatican II.
La connaissance du latin, dont les cours ne sont plus guère présents dans les séminaires français que comme une espèce de matière à option (un peu pour des raisons idéologiques, beaucoup en raison de l'effondrement général des humanités en France), est devenue très faible pour un certain nombre de séminaristes et de nouveaux clercs.
Plus encore, a disparu dans le jeune corps ecclésiastique français l'habitus rituel immémorial que constituait la liturgie romaine. Il y a donc souvent un handicap à surmonter pour les prêtres qui veulent célébrer la forme extraordinaire ou s'en rapprocher (de même pour les fidèles, même de très bonne volonté) : dès que l'on adopte la forme extraordinaire ou que l'on s'en rapproche, on est en effet immergé dans un univers rituel devenu de fait étrange – ne serait-ce que parce que, à la différence de l'univers liturgique de Vatican II, il est essentiellement et puissamment rituel – même s'il apporte immédiatement et de manière évidente une grande richesse de transcendance, de pédagogie de la foi, de qualité culturelle et le sentiment très fort de s'enter dans une tradition transmise de main en main. C'est cependant un handicap, qu'il n'est nullement impossible de dépasser, mais qui nécessite un effort adéquat.
Quoi qu'il en soit, cet attrait pour les formes traditionnelles favorise une porosité entre « ordinaires » et « extraordinaires » toujours plus grande. Il faut être conscient que celle-ci va être un élément incontournable de la réorganisation réaliste du tissu sacerdotal français en temps d'extrême pénurie.
En France, les prêtres des communautés Ecclesia Dei et de la Fraternité Saint-Pie X – la prochaine Prélature Saint-Pie X – assimilables à des prêtres diocésains (donc non compris les religieux) sont plus de 300, à savoir environ 150 prêtres pour la FSSPX et un nombre sensiblement égal pour les communautés Ecclesia Dei (*). Ces prêtres desservent plus de 400 lieux de culte dominicaux et assurent les aumôneries d'un réseau d'une centaine d'écoles non subventionnées (50 établissements pour le groupe Fraternité Saint-Pie X et 40 environ pour le groupe Ecclesia Dei). Demain, le bon sens va exiger que l'on utilise ces prêtres dans les diocèses, en tenant compte de leur spécialisation pour la célébration de la messe selon la forme extraordinaire.
D'autant que les territoires des diocèses de France comportent de nombreux espaces, de plus en plus vastes, laissés désormais en friche, où la présence de l'Église se raréfie voire disparaît pratiquement, par manque de bras. L'une des dynamiques de la nouvelle évangélisation devrait logiquement consister à réoccuper certains de ces espaces en déshérence en utilisant les forces traditionnelles existantes.
III - LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
Nous ne pouvons que répéter, en substance, et compléter les réflexions, qui nous semblent de bon sens, que nous émettions dans notre lettre 325 sur les statistiques des séminaristes pour les diocèses de France.
1) Il est clair que la croissance des vocations et des ordinations pour la forme extraordinaire, y compris si on lui ajoutait la croissance de la communauté Saint-Martin, les ordinations de la Communauté Saint-Thomas Becket et autres communautés de ce type, ne suffira pas, même de très loin, à combler le déficit sacerdotal en France, qui nécessiterait 20 000 séminaristes en formation, alors qu'ils sont seulement 140 séminaristes pour la forme extraordinaire, dont 50 pour la FSSPX, et 710 au 15 novembre 2011 dans les séminaires diocésains.
Il faudrait plus de vingt fois plus de séminaristes en France pour combler le déficit actuel. Mais les 140 séminaristes traditionnels d'aujourd'hui pourraient être les bienvenus.
2) La liturgie réformée après le Concile, au moins dans l'interprétation qui en est faite, semble un des éléments majeurs ayant permis le raz-de-marée de la sécularisation sur la société chrétienne et l'évanouissement de la mission. Inversement, tout que ce qui « va avec » la liturgie traditionnelle, catéchisme, formation doctrinale des jeunes, écoles, mouvements, et par-dessus tout vocations sacerdotales, ont une valeur missionnaire évidente qui, au minimum, « limite les dégâts ». Les quelques 20 000 jeunes pèlerins des pèlerinages traditionnels de la Pentecôte attestent la vitalité sacramentelle et missionnaire des communautés chrétiennes qui vivent au rythme spirituel de la messe en forme extraordinaire. Elles montrent qu'il y a toujours besoin de prêtres et que ces paroisses et communautés représentent un des moyens privilégiés de les procurer.
3) Plus de 15 % (17 % exactement) des nouveaux prêtres de ce pays sont « engendrés » par à peine 4 % des catholiques pratiquants – ceux qui ont accès chaque dimanche à la liturgie traditionnelle. Le nombre des jeunes gens se destinant à la forme extraordinaire ne demande qu'à s'accroître, si on en prend les moyens (lesquels relèvent en premier lieu de ceux qui sont en charge de la formation des clercs pour la forme extraordinaire, c'est-à-dire des responsables des communautés Ecclesia Dei, ensuite des capacités psychologiques et pastorales d'accueil des responsables diocésains). Et tout d'abord, selon le bon vieux principe que l'on n'aime que ce que l'on connaît et que l'on pratique, nul doute que plus la forme extraordinaire sera proposée dans les paroisses, plus elle sera découverte par de jeunes gens qui jusque-là en ignoraient l'existence et qui seront, le cas échéant, en mesure de faire le choix de la forme extraordinaire. Dans telle grosse métropole française, la paroisse vouée à la forme extraordinaire donne en moyenne 5 vocations par an, dont une partie pour le séminaire diocésain. On ne peut pas affirmer que si toutes les grandes paroisses de la même grande ville pratiquaient la forme extraordinaire, le séminaire diocésain deviendrait bien trop petit mais, à coup sûr, il enregistrerait davantage de rentrées (surtout s'il réservait des « plages » liturgiques à la forme extraordinaire, mais nous rêvons, pour l'instant…).
4) Dit autrement : si 17 % des nouveaux prêtres sont « engendrés » par moins de 4 % des catholiques pratiquants, il faut aussi noter que ce vivier vocationnel exceptionnel (exceptionnel non pas en soi, mais relativement à une situation de faillite), pourrait être nettement plus important. Il est patent que « l'offre » de célébrations traditionnelles devrait mieux répondre à la « demande », car s'il n'y a que moins de 4 % des pratiquants qui peuvent vivre leur foi au rythme de la forme extraordinaire du rite romain, nos sondages indiquent avec une parfaite constance que c'est au moins le tiers des fidèles (et jusqu'aux deux tiers dans le diocèse de Rennes !) qui souhaitent pouvoir assister régulièrement à la liturgie traditionnelle dans leur paroisse. En ouvrant plus de paroisses à la célébration de la forme extraordinaire du rite romain, en satisfaisant le désir des fidèles et en faisant découvrir cette forme liturgique à ceux qui ne la connaissent pas, le nombre des séminaristes Summorum Pontificum continuerait à augmenter, influant immédiatement sur la courbe des vocations diocésaines.
5) Notons pour finir que 43 diocèses français sur un total de 90 n'ordonneront aucun prêtre cette année. Contrairement à des idées reçues, ces diocèses ne sont pas tous des diocèses ruraux mais aussi des diocèses urbains avec une grande tradition sacerdotale, tel le diocèse de Rennes de Mgr d'Ornellas. Parmi ces 43 diocèses, certains n'attendent même aucune ordination dans les prochaines années. Il serait intéressant de se pencher, au cas par cas, sur l'accueil fait au Motu Proprio de Benoît XVI dans ces diocèses. Car, si l'évolution de la société explique une part de ce drame, le rejet voire la persécution des familles attachées à la forme extraordinaire n'y sont sans doute pas tout à fait étrangers.
(*) Notons au passage que le nombre des prêtres qui ont quitté ces communautés pour intégrer les diocèses n'est pas négligeable : il serait même beaucoup plus grand si l'« accueil » diocésain était plus généreux, et les conditions posées à ces prêtres moins onéreuses.