SOURCE - latribunedelart.com - 30 juillet 2012
La vague de vandalisme qui a touché les églises françaises dans les années 1960 jusqu’au début des années 1970 a été terrible. Le prétexte de l’application des consignes du concile Vatican II était bien pratique, alors que l’Italie, par exemple, n’a rien connu de tel. Pour soi-disant correspondre à la nouvelle liturgie, le clergé s’est attaqué au mobilier des églises sous l’œil au mieux indifférent de l’administration des monuments historiques. Des milliers d’objets (chaires, maîtres-autels, bancs d’œuvre...) ont été parfois déplacés, souvent simplement détruits. La mode était au retour à la « pureté » des édifices religieux...
Ce type de pratique est-il à nouveau d’actualité ? On peut le craindre, lorsque l’on voit ce qui se passe dans certaines églises d’Auvergne, avec parfois l’assentiment du ministère de la Culture.
Il y a deux ans, dans le cadre d’une campagne de travaux de restauration des grandes églises romanes d’Auvergne, celle de Saint-Nectaire avait vu l’élimination de son autel néoroman dû à l’architecte Victor Ruprich-Robert et qui datait du XIXe siècle. Celui-ci avait été remplacé par un autel et des bancs d’un très seyant vert pistache comme on peut le voir sur la photo [illustration dans l'article original]. On appréciera aussi la mention « ESPACE SACRÉ CHŒUR », assez nécessaire effectivement puisque plus rien d’autre ne vient rappeler ici le rôle du chœur qui était normalement d’abriter le tabernacle. L’autel de la petite église de Ponteix [illustration dans l'article original] avait subi récemment le même sort. Les photos montrent le massacre : un beau maître-autel est remplacé par un cube et relégué dans un bas-côté, mutilé et privé de ses sculptures (où sont-elles passées ?). L’église Notre-Dame-du-Port, à Clermont-Ferrand, et celle d’Orcival avaient été soumises à la même punition dans les années 1970.
C’est aujourd’hui dans l’église de Saint-Saturnin [illustration dans l'article original], en cours de restauration, que l’on souhaite retrouver la « pureté romane » (vert pistache, sans aucun doute). Et pour cela, il faut donc se débarrasser du maître-autel qui encombre le chœur ! Le prêtre de la paroisse et la commission diocésaine d’art sacré ont donc décidé de déplacer celui-ci pour le remplacer par un nouvel autel contemporain sans d’ailleurs pour l’instant qu’aucun projet précis n’existe, comme nous l’a confirmé Didier Repellin, qui agit ici en tant qu’Inspecteur des monuments historiques.
Seul petit problème : l’église a été classée en totalité en 1862, et le maître-autel en 1875 [illustration dans l'article original]. Très ancien, il est composé d’un autel datant de la fin du XVIIIe siècle, surmonté d’un retable plus ancien (XVIe ou XVIIe siècle) comprenant un tabernacle. Selon la fiche Palissy, il s’agirait d’un don de la reine Marguerite de Valois à l’époque où elle habitait le château d’Usson. En réalité, on ne sait pas grand chose de son historique. Certains prétendent sans preuve qu’il proviendrait de la chapelle du château local mais il est tout à fait possible qu’il ait été créé pour cet endroit où il s’insère très heureusement, même si son fond plat laisse penser à certains qu’il a été conçu pour un autre emplacement, contre un mur. Quoi qu’il en soit, il est historiquement (au moins depuis le XIXe siècle) lié à cette église, à cet endroit précis.
Pour bouger ce maître-autel, il faut obtenir l’autorisation de la Direction Régionale des Affaires Culturelles. C’est là qu’intervient Madame Marie-Claude Hortefeux. Le nom semble familier ? Normal, il s’agit de la mère de l’ancien ministre de l’Intérieur. Rien d’étonnant, donc, que le ministre lui-même, à l’époque, ait décidé d’appeler Arnaud Littardi, le directeur régional des affaires culturelles, ainsi que le ministre de la Culture. Qui lui-même appela le directeur. L’enlèvement du retable devenait donc une affaire d’État et, le 8 février 2011, la DRAC 1, représentante du ministre de la Culture, donna donc un avis de principe autorisant le déplacement de cet autel, en place au moins depuis 1875, et certainement depuis bien plus longtemps encore. Nous avons à plusieurs reprises interrogé cette direction qui semblait refuser obstinément de nous répondre. A la suite d’un mail envoyé directement au directeur des affaires culturelles le jour même de la parution de cet article, lui demandant notamment s’il était vrai qu’il avait donné l’autorisation de ce déplacement et quelle était la raison de cette mise au rebut d’un maître-autel protégé au titre des monuments historiques, celui-ci nous a enfin répondu : « Déplacer un objet classé ne signifie pas le mettre au rebut, mais le changer de place. Jamais la DRAC n’autoriserait un déplacement d’objet classé sans s’assurer de sa sécurité et de sa conservation ».
Personne n’a jamais prétendu que la DRAC ne se préoccupait pas de la sécurité et de la conservation du maître-autel. Mais le directeur feint de croire qu’un retable en place in situ dans une église est un objet de musée que l’on peut déplacer en fonction de tel ou tel desiderata, et non un objet immobilier par destination, dont l’emplacement a un sens.
Fin janvier 2012, des habitants, agacés par ce projet, ont créé l’association Sauvegarde de l’église Saint-Saturnin, bien décidée à s’y opposer.
La situation sur place est particulièrement tendue entre, d’une part cette association, et de l’autre les quelques partisans de Mme Hortefeux, du prêtre et de la Commission d’art sacré. Coincé entre les deux partis, le maire de la ville, Mme Nicole Pau, semble très agacé. Nous l’avons contactée pour connaître son opinion. Elle nous a dit ne pas vouloir « être mêlée à une politique qui ne la regarde pas ». Comme nous lui faisions remarquer que celle-ci la regardait tout à fait puisque la mairie est propriétaire de l’église et qu’en tout état de cause elle serait maître d’ouvrage en cas de déplacement du retable (ce qui nécessite au moins son accord), elle nous a déclaré : « je vous interdis de me citer car je peux aussi attaquer »!
On pourrait se croire à Clochemerle, mais les enjeux sont en réalité très importants. Ce qui fait l’intérêt de nos églises, ce n’est pas seulement la qualité de leur architecture. Le mobilier ancien accumulé au cours des siècles, lorsqu’il n’a pas été stupidement détruit, est un élément essentiel de leur charme et de leur histoire que l’on doit conserver à leur emplacement d’origine. Le ministère de la Culture est le garant de cette conservation. Une fois de plus c’est peut-être une mobilisation citoyenne qui permettra la sauvegarde du patrimoine : Saint-Saturnin compte environ 900 habitants et l’association compte déjà 300 membres. Le 14 septembre, une réunion « d’information » réunissant la DRAC et les promoteurs du projet doit avoir lieu, le maire ayant déjà dit qu’elle refusait d’y participer. On attend désormais que le ministère de la Culture joue son rôle et refuse, une fois pour toute, le déplacement du retable. Rappelons-lui qu’il avait su le faire lorsque le clergé, en 2010, avait souhaité se débarrasser du maître-autel baroque de la cathédrale de Saint-Flour [illustration dans l'article original], dans le Cantal. Peut-être aucune mère de ministre n’était-elle alors intervenue...
Didier Rykner, lundi 30 juillet 2012
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La vague de vandalisme qui a touché les églises françaises dans les années 1960 jusqu’au début des années 1970 a été terrible. Le prétexte de l’application des consignes du concile Vatican II était bien pratique, alors que l’Italie, par exemple, n’a rien connu de tel. Pour soi-disant correspondre à la nouvelle liturgie, le clergé s’est attaqué au mobilier des églises sous l’œil au mieux indifférent de l’administration des monuments historiques. Des milliers d’objets (chaires, maîtres-autels, bancs d’œuvre...) ont été parfois déplacés, souvent simplement détruits. La mode était au retour à la « pureté » des édifices religieux...
Ce type de pratique est-il à nouveau d’actualité ? On peut le craindre, lorsque l’on voit ce qui se passe dans certaines églises d’Auvergne, avec parfois l’assentiment du ministère de la Culture.
Il y a deux ans, dans le cadre d’une campagne de travaux de restauration des grandes églises romanes d’Auvergne, celle de Saint-Nectaire avait vu l’élimination de son autel néoroman dû à l’architecte Victor Ruprich-Robert et qui datait du XIXe siècle. Celui-ci avait été remplacé par un autel et des bancs d’un très seyant vert pistache comme on peut le voir sur la photo [illustration dans l'article original]. On appréciera aussi la mention « ESPACE SACRÉ CHŒUR », assez nécessaire effectivement puisque plus rien d’autre ne vient rappeler ici le rôle du chœur qui était normalement d’abriter le tabernacle. L’autel de la petite église de Ponteix [illustration dans l'article original] avait subi récemment le même sort. Les photos montrent le massacre : un beau maître-autel est remplacé par un cube et relégué dans un bas-côté, mutilé et privé de ses sculptures (où sont-elles passées ?). L’église Notre-Dame-du-Port, à Clermont-Ferrand, et celle d’Orcival avaient été soumises à la même punition dans les années 1970.
C’est aujourd’hui dans l’église de Saint-Saturnin [illustration dans l'article original], en cours de restauration, que l’on souhaite retrouver la « pureté romane » (vert pistache, sans aucun doute). Et pour cela, il faut donc se débarrasser du maître-autel qui encombre le chœur ! Le prêtre de la paroisse et la commission diocésaine d’art sacré ont donc décidé de déplacer celui-ci pour le remplacer par un nouvel autel contemporain sans d’ailleurs pour l’instant qu’aucun projet précis n’existe, comme nous l’a confirmé Didier Repellin, qui agit ici en tant qu’Inspecteur des monuments historiques.
Seul petit problème : l’église a été classée en totalité en 1862, et le maître-autel en 1875 [illustration dans l'article original]. Très ancien, il est composé d’un autel datant de la fin du XVIIIe siècle, surmonté d’un retable plus ancien (XVIe ou XVIIe siècle) comprenant un tabernacle. Selon la fiche Palissy, il s’agirait d’un don de la reine Marguerite de Valois à l’époque où elle habitait le château d’Usson. En réalité, on ne sait pas grand chose de son historique. Certains prétendent sans preuve qu’il proviendrait de la chapelle du château local mais il est tout à fait possible qu’il ait été créé pour cet endroit où il s’insère très heureusement, même si son fond plat laisse penser à certains qu’il a été conçu pour un autre emplacement, contre un mur. Quoi qu’il en soit, il est historiquement (au moins depuis le XIXe siècle) lié à cette église, à cet endroit précis.
Pour bouger ce maître-autel, il faut obtenir l’autorisation de la Direction Régionale des Affaires Culturelles. C’est là qu’intervient Madame Marie-Claude Hortefeux. Le nom semble familier ? Normal, il s’agit de la mère de l’ancien ministre de l’Intérieur. Rien d’étonnant, donc, que le ministre lui-même, à l’époque, ait décidé d’appeler Arnaud Littardi, le directeur régional des affaires culturelles, ainsi que le ministre de la Culture. Qui lui-même appela le directeur. L’enlèvement du retable devenait donc une affaire d’État et, le 8 février 2011, la DRAC 1, représentante du ministre de la Culture, donna donc un avis de principe autorisant le déplacement de cet autel, en place au moins depuis 1875, et certainement depuis bien plus longtemps encore. Nous avons à plusieurs reprises interrogé cette direction qui semblait refuser obstinément de nous répondre. A la suite d’un mail envoyé directement au directeur des affaires culturelles le jour même de la parution de cet article, lui demandant notamment s’il était vrai qu’il avait donné l’autorisation de ce déplacement et quelle était la raison de cette mise au rebut d’un maître-autel protégé au titre des monuments historiques, celui-ci nous a enfin répondu : « Déplacer un objet classé ne signifie pas le mettre au rebut, mais le changer de place. Jamais la DRAC n’autoriserait un déplacement d’objet classé sans s’assurer de sa sécurité et de sa conservation ».
Personne n’a jamais prétendu que la DRAC ne se préoccupait pas de la sécurité et de la conservation du maître-autel. Mais le directeur feint de croire qu’un retable en place in situ dans une église est un objet de musée que l’on peut déplacer en fonction de tel ou tel desiderata, et non un objet immobilier par destination, dont l’emplacement a un sens.
Fin janvier 2012, des habitants, agacés par ce projet, ont créé l’association Sauvegarde de l’église Saint-Saturnin, bien décidée à s’y opposer.
La situation sur place est particulièrement tendue entre, d’une part cette association, et de l’autre les quelques partisans de Mme Hortefeux, du prêtre et de la Commission d’art sacré. Coincé entre les deux partis, le maire de la ville, Mme Nicole Pau, semble très agacé. Nous l’avons contactée pour connaître son opinion. Elle nous a dit ne pas vouloir « être mêlée à une politique qui ne la regarde pas ». Comme nous lui faisions remarquer que celle-ci la regardait tout à fait puisque la mairie est propriétaire de l’église et qu’en tout état de cause elle serait maître d’ouvrage en cas de déplacement du retable (ce qui nécessite au moins son accord), elle nous a déclaré : « je vous interdis de me citer car je peux aussi attaquer »!
On pourrait se croire à Clochemerle, mais les enjeux sont en réalité très importants. Ce qui fait l’intérêt de nos églises, ce n’est pas seulement la qualité de leur architecture. Le mobilier ancien accumulé au cours des siècles, lorsqu’il n’a pas été stupidement détruit, est un élément essentiel de leur charme et de leur histoire que l’on doit conserver à leur emplacement d’origine. Le ministère de la Culture est le garant de cette conservation. Une fois de plus c’est peut-être une mobilisation citoyenne qui permettra la sauvegarde du patrimoine : Saint-Saturnin compte environ 900 habitants et l’association compte déjà 300 membres. Le 14 septembre, une réunion « d’information » réunissant la DRAC et les promoteurs du projet doit avoir lieu, le maire ayant déjà dit qu’elle refusait d’y participer. On attend désormais que le ministère de la Culture joue son rôle et refuse, une fois pour toute, le déplacement du retable. Rappelons-lui qu’il avait su le faire lorsque le clergé, en 2010, avait souhaité se débarrasser du maître-autel baroque de la cathédrale de Saint-Flour [illustration dans l'article original], dans le Cantal. Peut-être aucune mère de ministre n’était-elle alors intervenue...
Didier Rykner, lundi 30 juillet 2012
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Notes
1. Rappelons que le DRAC est le Directeur régional des affaires culturels, tandis que la DRAC est la Direction régionale des affaires culturelles.