SOURCE - Pauline Jacot - Le Point - 15 aout 2012
L'église nichée au coeur de Paris récuse la société moderne. Visite guidée par un fidèle, le temps d'une messe... en latin.
10h30 sonnent à
Saint-Nicolas-du-Chardonnet et c'est déjà la troisième messe de ce
dimanche. Deux autres suivront, entrecoupées par les vêpres, à 17
heures. Certains fidèles s'y rendent plusieurs fois par semaine, voire
plusieurs fois dans la journée... "Mais on ne peut communier qu'une
seule fois par jour", sourit Thierry Valadier sur le parvis de l'église.
Ce jeune homme de 29 ans, président du Groupe d'apostolat de la légion
de Marie, est un habitué du lieu. "Rentrons, il faut prendre des
places", conseille-t-il après avoir balayé du regard la foule qui se
presse maintenant sous le porche de l'église.
À
l'intérieur, la plupart des sièges sont déjà occupés. Thierry Valadier
s'avance au centre de la nef. Presque ennuyé, il glisse : "D'habitude il
y a plus de monde, plus de jeunes surtout, mais là on est en pleines
vacances scolaires". Quelques touristes se sont attardés devant
l'entrée, peu ont franchi les portes. "On les repère tout de suite, ils
n'ont pas tellement le look Saint-Nicolas..." Sous la mantille des
femmes, souvent des cheveux gris. Les messieurs grisonnent aussi mais
eux ont la tête nue, en "signe d'humilité".
La
messe commence. Le curé reconnaît ses fautes dans un nuage d'encens,
imité par les fidèles après un kyrie. Le chant grégorien est interprété à
l'unisson ; les missels sont dans chaque main mais servent peu : les
fidèles connaissent la plupart des chants par coeur. L'assemblée a les
yeux rivés sur l'autel. Aujourd'hui, c'est l'abbé Beauvais qui est au
centre du choeur. Vêtu d'une aube, d'une chasuble et d'une étole
croisée, il tourne le dos aux fidèles. Jamais, pendant l'heure et demie
que durera la messe, il ne se retournera pour la célébrer.
Un
éventail s'agite. Même à l'ombre des statues à l'effigie de Marie,
l'air est chaud. L'encens imprègne les châles fleuris des femmes. Ici,
des sandales, là des bérets.
Occupation illégale
Le
curé monte les marches de la chaire. "Il est le seul à pouvoir le faire
car il a autorité sur la paroisse", explique Thierry Valadier. Une
autorité pourtant illégale au regard des tribunaux, mais tolérée par la
Mairie de Paris. Depuis que les adeptes de monseigneur Lefebvre (le
fondateur de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X),
ont investi Saint-Nicolas-du-Chardonnet en 1977, la municipalité n'a
jamais fait procéder à leur expulsion. Il y a trente-cinq ans, un 27
février, la sacristie est envahie par les lefebvristes à l'appel des
abbés Ducaud-Bourget et Grégoire Célier. La messe du curé "officiel" de
Saint-Nicolas, Pierre Bellégo, est interrompue. Pierre Bellégo ne
retrouvera jamais son église. Il meurt en 1995.
Le
sermon commence. "Il faut plaire à Dieu et se conformer à ce qu'il
désire, ce doit être notre seul souci. Le recueillement évite ce que la
société moderne appelle le stress." Sourires entendus et ricanements
dans l'assemblée. Dans la bouche de l'abbé Beauvais, proche de Civitas
("mouvement dont le but est la restauration de la royauté sociale de
Notre Seigneur Jésus-Christ" sur le site de l'association) et régulièrement en tête des cortèges traditionalistes (notamment en 2011 contre les pièces de Roméo Castellucci et Rodrigo Garcia jugées blasphématoires), ces mots deviennent incantations.
Les lefebvristes sont en désaccord avec l'Église de Rome, et rejettent le IIe concile du Vatican
en 1962. La fraternité naît huit ans plus tard sous l'impulsion de
monseigneur Lefebvre. Jugée laxiste sur certaines questions, comme
l'avortement, la contraception ou la liberté religieuse, Rome aurait
laissé derrière elle un "champ de ruines". "On modifie les 10
Commandements pour être en bonne conscience, pour accorder la religion
avec nos actes, ce n'est pas possible, nous refusons ce système",
souligne Wajtek, 28 ans, ancien séminariste de la Fraternité sacerdotale
Saint-Pie X (FSSPX) qui plaide pour de "vraies écoles catholiques, qui
soient clairement contre l'avortement et la contraception". Il dénonce
aussi le comportement de certains évêques : "On s'embrasse avec le
rabbin, on va dans les mosquées, c'est un peu open. Tout cela participe à
une grande confusion. À Saint-Nicolas, certains égarés viennent
retrouver la paix."
Au fond de l'église,
l'orgue gronde, l'offertoire commence. "Le prêtre se lave deux doigts de
chaque main pour laver le corps de Notre Seigneur, ce sont ces deux
doigts qui ont été consacrés lors de son ordination", chuchote Thierry
Valadier, soucieux d'expliquer chaque geste. L'abbé prononce quelques
phrases en latin et "bénit le corps et le sang de Notre Seigneur."
Assis, debout, les genoux de l'assemblée battent le sol. Devant l'autel,
les fidèles reçoivent tour à tour l'hostie directement dans leur
bouche.
"Jeune fille tradi cherche garde d'enfants"
Des
femmes en jupes longues arpentent les allées, corbeille à la main. Des
billets bleus s'amoncellent à mesure que leurs pas progressent. "Notre
communauté est très généreuse", reconnaît Thierry Valadier. Généreuse et
organisée : au fond de l'église, des petites annonces de recherche
d'emploi ou d'appartement. Sur l'une d'elles, on lit "jeune fille tradi
cherche garde d'enfants", sur une autre "loue appartement 12 m² métro
Villiers, sérieuses références demandées"...
Les
cloches sonnent, il est midi. Les enfants de coeur précèdent le curé et
le cortège arpente lentement les travées, cierges à la main. À son
passage, les dos se courbent. On le suit du regard. Un ultime signe de
croix, une dernière génuflexion devant l'autel avant de repartir. Les
cierges se sont éteints. Les religieux préparent déjà la messe suivante,
elle sera basse, non chantée.
"Le poisson pourrit par la tête"
La
messe est finie mais, sur la place, la foule ne s'est pas dissipée.
Quelques jeunes se regroupent : on parle jours fériés, procession du 15
août, et évolution de la société. Thierry Valadier est pessimiste.
"Beaucoup de gens deviennent de plus en plus ignorants, notamment à
cause de la télévision. On prône le mal à l'égal du bien jusqu'au sommet
de l'État. Vous savez, le poisson pourrit par la tête, alors je pense
qu'humainement, c'est foutu."
Il a participé
à plusieurs manifestations traditionalistes et lorsqu'on l'interroge
sur l'utilité de son combat, il répond avec un naturel désarmant : "On
est une société en rupture de ban." Il s'arrête un instant, relève la
tête, le regard droit et la voix franche : "Finalement, on fait notre
boulot, c'est peut-être juste ce que le Bon Dieu nous demande. Avec la
grâce de Dieu, beaucoup de choses peuvent se passer, mais on sait
pertinemment qu'on ne gagnera jamais sur le nombre."