J’ai appris avec stupeur, hier matin, par M. l’abbé R.S. Fournié ( !) et non point d’un prêtre de la Fraternité Saint Pie X, le décès de mon ami Daniel Joly, prêtre de la ladite Frat.
Excusez-moi, je suis toujours sous le choc. Et je mesure combien j’étais attaché à cette figure, tout sauf conventionnelle, de prêtre catholique.
Rien ne prédestinait ce banlieusard de Sarcelles ou de Garges-lès-Gonesse (Plutôt) à devenir prêtre de Jésus-Christ…sauf la Providence. Il avait mieux connu les « Sex Pistols » et les trafics de drogue que le Nouveau-Testament. Comme « les copains d’abord » du radeau de la grand’ marre, l’Evangile, il l’avait pas lu.
Sa conversion : mystère de Dieu, comme toujours. Son entrée dans les ordres, sur fond de stoïcisme mal compris (Il admirait les répliques de Diogène à Alexandre, quoiqu’il déplorât les mœurs grecques de l’un comme de l’autre) autre mystère. Mais c’était l’époque de Mgr Lefebvre où la Fraternité admettait les différences, pourvu qu’on eût la Foi chevillée au corps. Et il l’avait, notre Daniel !
Il débarque à Châteauroux en 1981, envoyé par l’abbé Aulagnier, dans ce qu’on appelait alors pompeusement le « pré-séminaire », sous la direction de notre cher abbé Laurençon, qui donnera quand même des abbés Barrère, Joly, Boulet et quelques autres. Stoïcien convaincu, disais-je. Au cours d’une partie de foot sur terrain détrempé et boueux, le ballon pèse une tonne. Je lui casse d’un seul coup, sur Penalty, le radius et le cubitus, sous les applaudissements de ce goal héroïque qui sauve son équipe. Il dit ne pas avoir mal et finit le match sans broncher, en sueur, une heure de rang, une petite grimace de douleur dès qu’on tourne la tête…En arrêtant d’autres buts de son bras intacte.
Il devient prêtre et dans quelle émotion. Le jour de son ordination, un certain 29 juin 1988, il fait une syncope entre les deux impositions de mains, celle qui fait les prêtres et celle qui donne les pouvoirs d’absoudre. Quand il se réveille, au « Te Deum », Mgr Lefebvre se déplace personnellement jusqu’à lui, crossé et mitré, pour parfaire son jeune prêtre dans l’ordre sacerdotal. Il reste fier, mais son cœur fond, avec son stoïcisme.
Il m’a bien aidé à Paris, à la tête de l’école Saint Bernard. Son admiration oscille entre les deux prêtres qu’il croit les plus stoïciens du monde : l’abbé de Jorna et moi-même. Je ne suis pas le moins du monde stoïcien, mais il le croit parce que je détiens l’autorité. Comme si Marc-Aurèle avait été plus stoïcien qu’Epictète ! Je suis plutôt effaré à la pensée qu’on ait pu lire les « Pensées pour moi-même » ou « Le Manuel » chez les premiers cénobites chrétiens…
Il ne passera qu’un an à Bordeaux, prieur de Sainte-Marie. C’y est mon prédécesseur néanmoins. Quand je célèbre dans ma chapelle privée de Solignac, je pense chaque fois à lui, en élevant les yeux, au « Te Igitur », vers le magnifique crucifix qu’il m’offre en quittant Bordeaux. A-t-il jamais su qu’en proposant mon nom pour le remplacer à Bordeaux, il allait changer bien des destinées…Sainte Colombe, Saint Eloi, le Bon-Pasteur et tous ses jeunes prêtres… ?
Bon, il m’a traité, par la suite, de « Grand Rabbin de Bordeaux » dans les colonnes de la feuille de choux de la salle Wagram où il est affecté en 1998. Qu’importe ! Il n’en pensait pas un mot (Et comment le faire croire !). Il avait cru que je pouvais colporter des calomnies sur son compte dont un autre s’était chargé…Le chef a toujours tort, c’est connu. On s’est expliqué, on a fait la paix et, maintenant qu’il est mort, je suis en paix.
Ce n’est pas la peine de lui supposer quelque vice caché pour expliquer sa mort prématurée (54 ans), sales petits bourgeois de Versailles ou de Neuilly. Il n’était pas des vôtres, c’est tout. Sa fidélité au sacerdoce est bien plus héroïque que la vôtre, ne vous déplaise ! La chasteté, on l’apprend pas dans les rues de Garges-Lès-Gonesse, comme vos parents nous l’on apprise ici ou là, sans mérite de notre part, eunuques de naissance. Il a usé sa santé à la conserver et il a bien dû s’apercevoir très vite que le stoïcisme, là, ne sert de rien, au contraire ! Passer de Diogène le Cynique à Jésus de Nazareth, il y faut bien une vie, non ? Passer de la zone à l’autel, ça coute combien, posez-vous la question !
Il ne s’est point assis, au début, pour en mesurer le prix, soit. Mais cette tour, il l’a bâtie, non plus à la force du mépris des autres mais au prix de la patience envers soi qui sauve nos âmes. C’est plus la tour de Pise que les « Twin towers » mais celles-là ne sont plus quand celle-ci tient toujours…Et puis, hier comme aujourd’hui, c’est autrement beau.
Merci à Mgr Fellay de se déplacer personnellement, lundi à Flavigny, pour ses obsèques. En retraite annuelle, je redirai la messe pour lui.
Vous avez bien compris sur quelles tombes j’irais cracher, si une idée aussi dégradante pouvait m’assaillir… Merci, Boris Vian !