Question : On n’entend plus beaucoup parler des échanges entre la Fraternité Saint-Pie X et Rome. Le Chapitre Général d’Ecône est le dernier événement important en date. En tant que supérieur de district, vous y avez participé. Comment jugeriez-vous l’impact qu’il a eu tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Fraternité ?
Abbé Schmidberger : Tout d’abord, ce Chapitre
Général a renforcé l’unité dans nos rangs, laquelle avait un peu
souffert au cours des derniers mois. Je considère comme une grande grâce
que nous ayons pu trouver un terrain d’entente. Cela nous aidera à
continuer notre œuvre pour l’Eglise avec une force et une détermination
renouvelées. Cela est à mon avis l’effet interne (du Chapitre). A
l’extérieur, je pense que nous pourrions nous concentrer sur ces
éléments importants qu’il nous faut absolument demander à Rome dans le
cas d’une normalisation. Ces éléments peuvent être formulés en trois
points : premièrement, qu’il nous soit permis de continuer à dénoncer
certaines erreurs du concile Vatican II, c’est-à-dire d’en parler
ouvertement ; deuxièmement, qu’il nous soit accordé de n’utiliser que
les livres liturgiques de 1962, en particulier le missel ;
troisièmement, qu’il y ait toujours un évêque dans les rangs de la
Fraternité, choisi dans son sein.
Aux alentours de la Pentecôte, il semblait qu’une reconnaissance légale était imminente. Il apparaît à présent que nous nous trouvons bien éloignés d’un tel dénouement. Que s’est-il passé au cours des dernières semaines ? Quand et comment ce changement est-il survenu ?
Ce changement est survenu le 13 juin à Rome, lors de la rencontre
entre notre Supérieur général, Mgr Fellay et le cardinal Levada, alors
Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce jour-là, le
cardinal Levada présenta à Mgr Fellay un nouveau document doctrinal,
qui, d’un côté, acceptait le texte proposé par Mgr Fellay, mais de
l’autre, contenait des changements significatifs qui nous posent un vrai
problème – ce qui créait une situation entièrement nouvelle.
Des bruits courent sur une lettre que le pape a personnellement écrite au Supérieur général.
Cette lettre est très probablement la réponse à une demande que nous
avons faite au pape, où nous voulions savoir si ces nouvelles exigences
avaient réellement été ajoutées avec son approbation, si elles étaient
vraiment de lui ou de certains de ses collaborateurs. Il nous assura que
c’était son souhait propre que nous acceptions ces nouvelles exigences.
Et quelles sont ces nouvelles exigences du 13 juin ?
En particulier, il nous est demandé que nous reconnaissions la
licéité de la nouvelle liturgie. Je crois que l’on entend par là la
légitimité de la nouvelle liturgie. Également, qu’il soit possible de
poursuivre les discussions sur certaines nuances du concile Vatican II,
mais aussi que nous soyons prêts à accepter sa continuité tout
simplement, c’est-à-dire à considérer le concile Vatican II dans la
ligne ininterrompue des autres conciles et enseignements de l’Eglise. Et
cela pose problème. Il y a des incohérences dans le concile Vatican II
qui ne peuvent être niées. Nous ne pouvons reconnaître une pareille
herméneutique de continuité.
Quelle sera la réaction de la Fraternité face à ces nouvelles exigences, inacceptables ?
Je pense que nous dirons aux autorités romaines que nous pouvons
difficilement les accepter et qu’il leur faudra les abandonner s’ils
souhaitent réellement une normalisation. Il est apparu évident, au cours
des entretiens qui se sont déroulés d’octobre 2009 à avril 2011, qu’il y
a des points de vue très différents au sujet du concile Vatican II,
certains textes du concile et le magistère postconciliaire. Tous ont
reconnu qu’il ne serait pas aisé de trouver un accord entre les vues du
magistère postconciliaire et celles que nous soutenons avec les papes du
XIXe siècle et les enseignements constants de l’Eglise. Et je pense que
tant que ces blessures n’auront pas été soignées avec le remède
adéquat, qui serait de parler ouvertement de ces points qui ne
s’accordent pas, il n’y aura aucune solution réelle à la crise dans
l’Eglise.
Mgr Müller a été nommé Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. On connaît son antipathie à l’égard de la Fraternité. Ses opinions très discutables sur certaines questions dogmatiques rentrent aussi en jeu. Quelle position prend-il dans le cadre des négociations de la Fraternité avec Rome ?
En effet, Mgr Müller a été récemment nommé Préfet de la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi. Cela fait de lui, après le pape, l’homme qui
assume la responsabilité finale de ces négociations. Bien sûr, c’est
avec Mgr Di Noia que nous sommes directement en contact, désigné
personnellement par le pape, peut-être pour contrebalancer la position
constamment hostile que Mgr Müller a affichée à notre égard. Mais ce que
je trouve bien plus problématique, ce sont ses enseignements
hétérodoxes sur certaines questions d’importance telles que la
transsubstantiation, le changement de substance qui s’opère pendant la
messe, qui fait que le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang de
Jésus-Christ. Il remplace plus ou moins cela par ce qu’il appelle la «
transfinalisation », ce qui signifie que le pain et le vin reçoivent une
finalité nouvelle. Vous pouvez lire cela dans ses écrits dogmatiques.
Un autre exemple : il n’affirme pas clairement que la consécration se
produit précisément à travers les mots prononcés par le prêtre. En ce
qui concerne la mariologie, il ne semble pas avoir une idée très nette
de la virginité constante de Notre Dame, ou en tout cas c’est ce qui en
ressort lorsqu’on lit ses écrits. Au contraire, on peut affirmer que,
par moments, il se sépare de la doctrine que l’Eglise a toujours crue,
ou au mieux qu’il permet une certaine ambigüité. Et cela est en effet
très grave et très regrettable, car le Préfet de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi doit être le gardien suprême de la foi ; le gardien
de la pureté de la foi, de son intégrité, de sa virginité. Il doit aussi
transmettre cette foi dans toute sa beauté, sa profondeur et sa
grandeur aux fidèles. Il ne devrait jamais avoir là le moindre doute ni
la moindre ambigüité concernant tout ce que l’Eglise a toujours cru et
prêché.
D’un côté, on exige sans cesse de la Fraternité qu’elle reconnaisse
la papauté, ce qui n’a jamais été un problème, mais aussi la continuité
de l’enseignement doctrinal. De l’autre côté, au nom de l’œcuménisme, on
invite les protestants dans les églises sans la moindre condition,
alors même que le protestantisme rejette en bloc la papauté. Quel
commentaire pouvez-vous faire sur cette situation?
Il y a là bien sûr une contradiction. On pratique l’œcuménisme avec
des personnes qui nient le dogme catholique, nient la papauté, et qui
déjà à la base ont une position totalement différente.
Nous acceptons la totalité de la doctrine catholique, la totalité de
la foi catholique. Nous serions heureux de signer le Credo de notre
propre sang, la foi de notre Eglise. Et on nous accuse de ne pas
accepter ceci ou cela… Les protestants acceptent-ils Vatican II? Voilà
la question qu’il faudrait se poser. Si aujourd’hui, chacun peut faire
ce qu’il veut en matière de liturgie, pourquoi ne pas permettre de
manière générale l’ancienne liturgie?
Bien sûr, il y a eu une nouvelle ouverture avec le pape actuel, et
nous remercions Dieu que cela se soit produit, avec le Motu Proprio de
2007. Mais à présent, par exemple, un nouveau secrétaire a été nommé à
la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, Mgr
Roch, venu d’Angleterre, dont on sait pourtant qu’il est un adversaire
du Motu Proprio et qu’il a tout tenté pour faire obstacle à la messe
ancienne dans son diocèse, plutôt que de l’encourager. Ce genre de faits
est très étrange.
Comment pensez-vous que Rome réagira si la Fraternité répond négativement à ces deux points (la licéité de la nouvelle messe et la continuité de la doctrine) en affirmant qu’il y a eu un changement avec Vatican II ? Envisageons la pire possibilité : pensez-vous qu’une nouvelle excommunication pourrait être possible ?
Personnellement, je ne le pense pas. Le pape ayant lui-même en 2009
levé l’excommunication qui pesait sur les quatre évêques de la
Fraternité, cela passerait pour un manque de cohérence dans sa pensée et
ses actes. Cela ne jouerait pas vraiment en faveur de l’Eglise. Il faut
aussi se rappeler que la Fraternité n’est pas simplement une communauté
de 560 ou 570 prêtres, de quelques sœurs et frères, et même de quelques
écoles. Elle a aussi une influence très étendue, et – cela est
peut-être un peu impudent de le dire, mais je le pense – elle est, d’une
certaine manière, la colonne vertébrale, le point de référence de tous
ceux qui soutiennent la tradition dans l’Eglise. Si ce point de
référence venait à être discrédité de cette manière, cela aurait pour
effet un découragement d’une ampleur sans pareille de toutes les forces
restauratrices et conservatrices dans l’Eglise. Ce serait une
catastrophe. Non pas tant pour la Fraternité que pour l’Eglise. Je
verrais cela comme un grand dommage.
Il y a aussi quelques critiques de la part de certains qui disent que les négociations ont échoué à cause de l’entêtement et de la rigidité de la Fraternité. D’autres remettent en question les discussions en soi, en disant « Cela ne sert à rien dans tous les cas. Pourquoi se donner la peine de discuter avec Rome ? » Voici donc notre dernière question : Ces discussions nous ont-elles apporté quelque chose ?
Elles ont été d’une grande utilité. A mon avis, elles ont montré que
nous avons de l’intérêt pour une normalisation de la situation, que nous
considérons notre situation comme le résultat de la crise dans
l’Eglise, et que c’est une situation anormale. Nous avons montré que
cela nous conduit à aspirer à une régularisation, mais aussi que cette
situation n’est pas de notre faute. Nous voulons vraiment insister sur
ce point.
C’est nécessaire à cause de la situation actuelle, si l’on veut
conserver l’ancienne doctrine, l’ancienne liturgie, l’ancienne
discipline de l’Eglise dans son intégralité, et si l’on veut vivre une
vie de catholique en se nourrissant de cette richesse. Cela est un
premier point.
D’autre part, les discussions ont démontré que nous nous accrochons à
Rome, que nous aussi, nous reconnaissons le pape, cela va de soi à nos
yeux. D’un autre côté, les discussions ont mis en évidence l’existence
de différences doctrinales, et que ces différences ne viennent pas de
nous, mais – on est malheureusement contraints de le dire – qu’on les
trouve du côté des actuels représentants officiels de l’Eglise, lesquels
organisent les réunions d’Assise et pratiquent ce qui a été condamné
par l’Eglise, les papes et les conciles par le passé. Et tout cela est
fait explicitement ! C’est le second point.
Les discussions ont eu une troisième utilité. Elles nous ont révélé
une certaine faiblesse dans nos rangs. Nous devons avoir l’humilité de
l’admettre. Nous avons donc également expérimenté un processus de
clarification à l’intérieur. Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui
rejettent toute discussion avec Rome. Je présenterais les choses ainsi :
la Fraternité n’a jamais travaillé pour elle-même, elle n’a jamais été
sa propre fin, mais au contraire elle a toujours voulu servir l’Eglise,
servir les papes.
C’est ce que Mgr Lefebvre a toujours dit. Nous voulons être à la
disposition des évêques, du pape, nous voulons les servir, et nous
voulons les aider à sortir l’Eglise de sa crise, afin qu’Elle se
renouvelle dans toute sa beauté, dans toute sa sainteté. Mais bien sûr,
cela ne peut se produire qu’à la condition qu’il n’y ait aucun
compromis, aucun faux compromis. Cela est d’une grande importance à nos
yeux. En effet nous avons essayé – c’est tout ce que nous voulions – de
rétablir officiellement ce trésor dans l’Eglise, de lui rendre ses
droits, et peut-être y sommes-nous parvenus à une certaine échelle.
Grâce à ces discussions doctrinales, la Fraternité a contribué à
l’impulsion d’un nouvel élan de réflexion sur Vatican II et certaines de
ses déclarations.