Abbé de Tanoüarn, ibp - Centre St Paul - "Saint Paul par lettre" - 16 décembre 2012
Ah ! La joie chrétienne. Notre pape nous en parle sans cesse. Il nous exhorte, en cette année de la foi et de la nouvelle évangélisation, à manifester notre «joie de croire». Reste à savoir de quoi il s’agit. Lorsque saint Paul commande aux Philippiens: «Réjouissez-vous!» qu’entend-il par là ? Pourquoi donne-t-il à ses fidèles comme un ordre de se réjouir ? Peut-on présenter cela comme un ordre? Qu’est-ce qui suscite notre joie? Il me semble que l’on peut donner deux réponses, l’une qui est liée à l’appréhension de l’esprit, à la conscience que nous avons des motifs de notre joie ; l’autre qui semble plus « brute », et qui ne passe pas nécessairement par une conscience claire. Nous nous sentons joyeux parfois sans savoir pourquoi…
La première de ces deux joies est celle que les scolastiques ont retenue : ils la définissent comme la certitude du bien possédé. Elle suppose que nous connaissions ce bien et que nous sachions pourquoi nous le possédons de manière stable. Cette joie acquise n’est pas forcément très démonstrative, elle est profonde et silencieuse. Elle intervient dans le fil de la conversation que nous entretenons sans cesse avec nous-mêmes, comme un don de Dieu. Nous pouvons nous la représenter, nous sentir dans la main de Dieu, lui dire comme le Psalmiste lui a dit : « Tu as voulu me tenir par la main ». Nous pouvons ainsi nous répéter que « les cheveux de notre têtes sont tous comptés ». Nous pouvons nous souvenir du beau vers de Péguy : « Les événements, dit Dieu, c’est moi, c’est moi qui vous aime ». La considération attentive de la Providence de Dieu, la contemplation de l’ordre et de la beauté du monde sont autant de raisons de notre joie. Elles nous rendent certains du Bien infini que nous possédons.
La seconde de ces deux joies est moins consciente et plus physique. Je pense à Jean-Baptiste, l’enfant qui danse d’allégresse dans le sein de sa mère, au moment où Marie secrètement enceinte vient les visiter. Il serait absurde de voir dans cette joie de Jean-Baptiste un subit accès du foetus à la conscience. Non, simplement, comme disent les médiévaux, l’enfant est purifié du péché originel et il éprouve, de cette purification une sorte de soulagement, de délivrance. Quelque chose a cessé de lui peser. Sans le péché d’Adam, il est devenu léger, comme nous pouvons l’être après avoir reçu le pardon de Dieu dans une bonne confession. Cette joie qui s’empare d’un enfant dans le sein de sa mère dépasse la conscience que l’on peut en avoir. Elle est l’apanage du chrétien, de celui qui veut vivre non pas sans péché mais sans le poids que le péché fait peser sur lui. Elle est le propre de l’humanité rachetée, elle est la bonne nouvelle, oui l’Evangile de Noël. « Je vous évangélise une grande joie, elle sera pour vous et pour tout le peuple » dit l’ange de la nativité.
Si nous envisageons la première joie, nous pouvons être plus ou moins heureux selon le degré de conscience que nous en avons. Mais si nous envisageons la deuxième joie, cette joie-là, elle fait partie du message et elle fait partie de notre être, elle renvoie à la lumière qui pénètre la créature rachetée. Elle est la bonne nouvelle que nous entendons et qui nous transforme au point, dira Notre Seigneur, que cette joie puisse être parfaite. Comme avant la Chute originelle. Comme lorsque Adam et Eve étaient dans le Jardin et qu’ils parlaient avec Dieu comme avec un ami dans la brise du soir.
Abbé G. de Tanoüarn