SOURCE - Lettre de Paix Liturgique - n°394 - 2 juillet 2013
Affirmer les droits de Dieu dans la liturgie : telle pourrait être la synthèse lapidaire du colloque Sacra Liturgia qui vient de se tenir à Rome sous la houlette de l'évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey. Il était le deuxième de ce type, le premier s’étant déroulé il y a deux ans, sous le titre d’Adoratio. L’organisation était de grande qualité : le colloque avait lieu à l’Université Santa Croce, de l’Opus Dei, près de la place Navone ; les interventions étaient traduites simultanément en plusieurs langues.
Le colloque était « biformaliste », c'est-à-dire que la liturgie était célébrée en la très belle basilique Saint-Apollinaire tant dans la forme ordinaire du rite romain (comme la messe pontificale, très solennelle, en latin et grégorien, du cardinal Cañizares, Préfet du Culte divin), que dans la forme extraordinaire (comme la messe pontificale du cardinal Brandmüller).
Ouvert par une conférence du cardinal Ranjith et conclu par une conférence du cardinal Burke, ce congrès international a été un franc succès. Non seulement par le nombre et la qualité des intervenants comme des participants (pas loin de 350) mais aussi par l'ambiance sereine et non polémique qui présidait à ces journées.
Bien loin de vouloir « donner des leçons » à qui que ce soit, surtout à Rome, les intervenants et les assistants s’exprimaient paisiblement, avec cette liberté intellectuelle qui s’établit sous le nouveau pontificat, dont la liturgie n’est manifestement pas la priorité mais qui laisse un paisible espace à tous ceux qui œuvrent dans la vigne du Seigneur et qui portent du fruit. « Dès le départ, a dit avec force Mgr Rey, ce fut mon souhait que nous nous rencontrions ici, à Rome, pendant l’année de la Foi, afin d’être proches de Pierre, de lui manifester notre communion et de prier avec lui en la grande fête des saints Pierre et Paul. Que nous ayons l'occasion de le faire avec notre nouveau Saint-Père est une bénédiction de la Providence. »
Nous reviendrons dans une prochaine lettre sur l'intervention de ce colloque la plus marquante à nos yeux, celle de Mgr Alexander K. Sample, archevêque de Portland, qui a reçu le pallium des mains du Saint-Père ce 29 juin, lors de la fête des saints Pierre et saint Paul. Pour l'heure, nous souhaitons retranscrire le mot d'ouverture prononcé par Mgr Rey, suivi de ses commentaires en conclusion de cet événement important que Paix liturgique a pu couvrir dans son intégralité.
I – SACRA LITURGIA 2013 : DISCOURS D'INTRODUCTION DE MGR DOMINIQUE REY
C’est une grande joie pour moi de vous accueillir dans cette Université pontificale de la Sainte-Croix pour Sacra Liturgia 2013. Plus de 35 pays sont ici représentés. Bienvenue à tous !
Notre travail, en réalité, a déjà commencé avec la célébration solennelle des Vêpres dans la basilique de Saint-Apollinaire. Nous l’avons fait à dessein car, avant de débattre sur la sainte liturgie, nous devons nous immerger dans la vie liturgique de l'Église. La réalité de la liturgie dans laquelle nous sommes introduits au moment de notre baptême, précède toute étude de la liturgie. Être liturgique vient d’abord, parler de la liturgie suit.
Et pourtant, il importe d’en parler et d'étudier la liturgie ! Ici, dans l'aula magna, nous écouterons de nombreux experts et responsables en ce domaine. Je suis particulièrement reconnaissant envers Leurs Éminences les cardinaux Ranjith et Burke, et envers mes frères évêques, qui donnent de leur temps pour nous enseigner. De même, je tiens à remercier Leurs Éminences les cardinaux Cañizares et Brandmüller qui célèbreront la messe et prêcheront pour nous. Je remercie également tous nos intervenants, en particulier ceux qui sont venus de très loin pour nous communiquer leur savoir avec perspicacité.
Sacra Liturgia 2013 fut inspiré par l'enseignement liturgique et l'exemple de Sa Sainteté le pape Benoît XVI. Il nous a enseigné l'importance de l'ars celebrandi, nous rappelant que « tout ce qui touche à l'Eucharistie devrait être marqué par la beauté » (Sacramentum Caritatis, n. 41). Il nous a démontré qu'il ne doit y avoir aucune opposition entre les formes anciennes et nouvelles du rite romain – qui ont toutes les deux leur place dans l'Église de la nouvelle évangélisation. Il nous a assuré que, dans l’Église catholique, d'autres traditions liturgiques peuvent être accueillies comme des « dons précieux » et autant de « trésors à partager » (cf. Anglicanorum cœtibus, § 5, III). C’est pour cette raison que je suis particulièrement heureux de relever que l’ordinaire de l'ordinariat Notre-Dame de Walsingham, Mgr Keith Newton, sera présent parmi nous.
Je souhaite que cette conférence soit un hommage à la vision et aux réalisations liturgiques de notre bien-aimé évêque émérite de Rome, Benoît XVI : Que Dieu le récompense pour tout ce qu'il nous a donné, et lui accorde santé et longue vie !
Le pape Benoît XVI avait lancé l'année de la Foi, pendant laquelle nous nous réunissons, pour commémorer le 50ème anniversaire du Concile Vatican II. Notre Saint-Père, le pape François, a poursuivi cette initiative. Dès le départ, ce fut mon souhait que nous nous rencontrions ici, à Rome, pendant l’année de la Foi, afin d’être proches de Pierre, de lui manifester notre communion avec lui et de prier avec lui en la grande fête des saints Pierre et Paul. Que nous ayons l'occasion de le faire avec notre nouveau Saint-Père est une bénédiction de la Providence.
Il y a cinquante ans, en juin 1963, la première session du Concile Vatican II se terminait. Au bienheureux Jean XXIII venait de succéder le vénérable Paul VI, qui a poursuivi les travaux du Concile. C'est Paul VI qui promulgua sa constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium, le 4 décembre 1963, à la fin de la deuxième session du Concile.
Cinquante ans plus tard, nous devons relire Sacrosanctum Concilium. La réforme liturgique qui a suivi la promulgation de la constitution nous a beaucoup enrichis, en particulier dans sa promotion de la participation à la liturgie. Mais elle a aussi provoqué des controverses, tant par ses réformes officielles, que par sa traduction dans les langues vernaculaires, ou bien par ses mises en œuvre locales disparates.
Nous devons reconnaître, comme l'a fait le bienheureux Jean-Paul II, qu'il y eut à la fois des « lumières » et des « ombres » dans la vie liturgique de l'Église au cours des 50 dernières années (cf. Ecclesia de Eucharistia, n. 10). Nous devons nous réjouir des progrès légitimes qui ont été accomplis. Nous devons aussi tenir compte des leçons que nous enseignent les erreurs commises durant ces cinquante dernières années. C’est pourquoi nous devons reconsidérer la constitution liturgique et redécouvrir sa véritable signification. Peut-être devons-nous, à travers ce que le cardinal Ratzinger a appelé une « réforme de la réforme », corriger certaines pratiques ou récupérer certains éléments que nous avons perdus. Peut-être que certains aspects nécessiteraient d’être travaillés selon la dynamique d’enrichissement mutuel que suggérait Benoît XVI.
Par-dessus tout, nous devons promouvoir un authentique renouveau liturgique dans toute sa richesse et sa diversité catholiques. Nous devons promouvoir la liturgie telle que l'Église nous la donne, ce que les Pères et les Papes du Concile Vatican II ont désiré.
Ce travail liturgique ne peut pas être laissé de côté comme s’il s’agissait d’une préoccupation marginale. La liturgie n'est pas une question périphérique pour l'Église. Comme le cardinal Ratzinger l’écrivait en 1997 : « La vraie célébration de la sainte Liturgie est le centre de tout renouvellement de l'Église. » Et commeSacrosanctum Concilium nous l’enseigne, la sainte Liturgie est le culmen et fons, « la source et le sommet » de la vie et de la mission de toute l'Église (cf. n. 10).
Chers amis, la liturgie n'est pas un passe-temps pour les spécialistes. Elle est au centre de tous nos engagements en tant que disciples de Jésus-Christ. Cette réalité profonde ne peut pas être sous-estimée. Nous devons reconnaître la primauté de la grâce dans notre vie chrétienne, et nous devons respecter le fait que, pour un chrétien, c’est dans la sainte Liturgie que la rencontre avec le Christ se réalise de la manière la plus haute.
En tant qu'évêque, il est de mon devoir de faire tout mon possible pour promouvoir la nouvelle évangélisation engagée par le bienheureux Jean-Paul II. Je tiens à affirmer très clairement que la nouvelle évangélisation doit être fondée sur la célébration fidèle et féconde de la sainte liturgie, telle que nous la recevons de l’Église dans sa tradition orientale et occidentale.
Pourquoi ? Parce que c'est dans la liturgie que nous recevons l'action salvifique de Jésus-Christ dans son Église aujourd'hui, d'une manière que nous ne rencontrons nulle part ailleurs. Dans la liturgie, le Christ nous touche, nous nourrit et nous guérit. Il nous renforce et nous conduit par des grâces particulières. Quand nous prions liturgiquement, nous le faisons en communion avec toute l'Église, des présents, des absents, des vivants ou des morts. Bien sûr, il y a d'autres pratiques spirituelles bonnes et de grande valeur, mais aucune ne bénéficie de l'objectivité et de l'efficacité singulière de la liturgie (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 7).
La nouvelle évangélisation n'est pas une idée ni un programme : c'est une nécessité que chacun de nous parvienne à connaître plus profondément la personne du Christ et, ce faisant, devienne davantage capable de conduire les autres vers Lui. Pour cela, le meilleur moyen est de commencer par la sainte Liturgie, et si elle n’est pas célébrée correctement de quelque manière que ce soit, ou si je n’y suis pas convenablement préparé, cette rencontre avec le Christ sera entravée, la nouvelle évangélisation en souffrira.
C'est pourquoi notre célébration de la liturgie est si importante. Nous devons laisser le plus de place possible à l'action du Christ dans la liturgie, et non pas la limiter. Si je change ou refonde la liturgie de l'Église selon mes propres désirs ou une idéologie subjective, comment puis-je être sûr que ce que je fais est en vérité son œuvre ? Alors que, si je célèbre fidèlement ce que l'Église nous a donné – et que je le célèbre aussi magnifiquement que possible –, je puis être assuré de me mettre au service de l'action du Christ, d’être un ministre de ses mystères sacrés, et non pas un obstacle sur son chemin (cf. Mt 16, 23). Chacun d'entre nous – ministres ordonnés, religieux et laïcs – est appelé à cette fidélité et à ce respect pour le Christ, pour son Église et pour ses rites liturgiques.
Et c'est pourquoi la formation liturgique est cruciale. Je dois obtenir, « de l'intérieur » en quelque sorte, la conviction que le Christ est en effet à l'œuvre dans les rites sacrés de l'Église. Je dois me plonger dans cette dynamique privilégiée et découvrir ses chemins. Cela m'amènera à la personne de Jésus-Christ, encore et encore. Et cela me permettra de porter le Christ aux autres.
La formation, la célébration liturgique et la mission de l'Église sont toutes les trois intrinsèquement liées. C'est pourquoi nous sommes ici : pour examiner cette relation et examiner sa signification et son importance pour l'Église au début du XXIe siècle. Si nous le faisons bien, nous construirons vraiment des bases très solides pour la nouvelle évangélisation.
Sacra Liturgia 2013 n’aurait pas pu avoir lieu sans le soutien de nombreuses personnes. Je suis grandement reconnaissant envers le recteur de la belle basilique de Saint-Apollinaire, Mgr Pedro Huidobro, de bien vouloir nous accueillir. Je suis également profondément reconnaissant envers nos nombreux soutiens pour leur aide matérielle : les Chevaliers de Colomb, Ignatius Press, CIEL Royaume-Uni, Granda, The Cardinal Newman Society, Human Life International, De Montfort Musique, Arte Poli, Una Voce international, Ars Sacra, La Nef, Libreria Leoniana et Éditions Artège. Pour l'accueil qui nous a été réservé ici à l'Université Pontificale Santa Croce, pour ses excellentes installations, nous sommes tous redevables. De même, je remercie l'équipe des organisateurs et des bénévoles qui ont tant fait pour préparer cet événement.
Chers amis, nous sommes ici pour écouter, apprendre et partager les uns avec les autres, mais nous sommes aussi ici pour prier – ici, dans la basilique de Saint-Apollinaire, et aussi avec le Saint Père, le pape François, dans la basilique Saint-Pierre samedi. Si nous nous acquittons bien de tout cela, nous nous rapprocherons du Christ que nous adorons dans la sainte liturgie, et nous serons en mesure de devenir les évangélisateurs dont notre monde a tant besoin.
Que Dieu bénisse nos efforts !
Mgr Dominique Rey
II – RÉACTIONS DE MGR REY EN CONCLUSION DE SACRA LITURGIA
Les questions 1 et 2 sont issues d'un entretien donné au correspondant de Paix liturgique à Rome le 28 juin 2013. Les questions 3 et 4 proviennent d'un entretien donné le même jour à Jean-Marie Dumont deFamille chrétienne.
1) Mgr Rey, comme organisateur de cette conférence, quel premier bilan faites-vous de ces journées ?
Mgr Rey : Tout d'abord, j'ai été très touché par le nombre de participants puisque nous dépassons les 300 participants, ce qui, pour ce genre de congrès, est très intéressant. ça montre l'intérêt de ces questions.
J'ai été aussi favorablement impressionné par le bon climat. Les prêtres, les évêques, les laïcs venaient d'horizons géographiques et spirituels extrêmement diversifiés mais ont, avec beaucoup de sérénité, partagé leurs opinions et essayé de retrouver ensemble le fond de la vie liturgique. J'ai été impressionné encore par le climat de prière qui a été nourri par le fait que l'on ait pu célébrer ensemble les célébrations liturgiques sous les deux formes du rite d'une manière très paisible, dans ce souci qui nous habite tous de porter la mission de l'Église dans un monde qui est sécularisé et qui a besoin de retrouver la symbolique chrétienne et le sens du sacré.
Pour toutes ces raisons, je suis heureux de ces quelques jours passés au cœur de Rome.
2) Mgr Sample a rappelé que la formation des prêtres ne s'arrêtait pas le jour où ils devenaient évêques. Avez-vous, à titre personnel, retiré des lumières, des enseignements particuliers pour votre vie de prêtre et d'évêque ?
Mgr Rey : Cela m'a conforté dans un certain nombre d'orientations que j'ai prises dans mon diocèse. Notamment, j'ai ouvert la première paroisse personnelle attachée à la forme extraordinaire du rite. J'ai accueilli aussi une communauté, la Société des Missionnaires de la Miséricorde Divine, qui est parfaitement insérée dans mon diocèse et qui, à l'occasion, participe aussi à la forme ordinaire lorsque les cérémonies sont célébrées par l'évêque, en étant attachée aussi à l'enseignement du Concile.
Je dirais que cela m'a conforté aussi dans le fait que, au niveau de la formation au séminaire, nous avons pris la décision de créer une maison pouvant accueillir des jeunes qui, tout en étant rattachés au séminaire, puissent prier selon la forme extraordinaire dans la liturgie.
J'ai été conforté dans les orientations que j'ai prises. Nous avons affaire maintenant à de nouvelles générations de jeunes, de prêtres et d'évêques qui, sur ces questions-là, dépassent les antagonismes et les cassures du passé.
Je crois que cela ne peut que me renforcer dans cette recherche, comme le disait le Motu Proprio, d'un enrichissement mutuel au service du témoignage de la foi et de l'annonce de l'évangile.
3) Quelles suites concrètes espérez-vous de ce colloque ?
Mgr Rey : Ce congrès est l’occasion de nombreuses rencontres et d’une grande richesse dans les échanges. Il ouvre ainsi une voie qui, je l’espère, pourra être déclinée dans des pays comme la France, mais aussi ailleurs. Nos échanges ont également ouvert différentes perspectives, qu’il me semble souhaitable de voir maintenant approfondies. Il en va ainsi du rapport entre musique et architecture, et de la place que peut jouer la liturgie dans l’œcuménisme, puisqu’a été évoquée la question anglicane.
4) Ce congrès contribue-t-il à l’apaisement des catholiques sur les questions de liturgie ?
Mgr Rey : L’intérêt de ce congrès est également de casser les barrières, notamment grâce à la diversité des participants. Je pense qu’avec les nouvelles générations il y a des dialectiques, dans lesquelles nous avons été enfermés, qui tombent. D’autres dans lesquelles nous nous sommes placés, qui évoluent. Aujourd’hui, vous pouvez avoir un jeune prêtre diocésain qui célèbre régulièrement la forme extraordinaire, accompagne un groupe de prière charismatique, s’informe sur des sites internet « tradi » et participe plein d’enthousiasme aux JMJ. La nouvelle génération est en pleine évolution et ce congrès participe à ce mouvement.