SOURCE - Abbé G. de Tanoüarn - MetaBlog - 14 août 2013
Je suis allé mardi dernier aux funérailles de l'abbé Bruno Schaeffer au monastère de Bellaigue, en Combrailles. Nous n'avions - peut-être - pas tout à fait les mêmes positions ecclésiales, mais c'était un homme de Dieu, un homme qui révélait quelque chose de la bonté de Dieu juste dans sa manière d'être, sans phrase, avec une attention mais aussi une discrétion dont on aurait voulu parfois interrompre le cours. Rien du gourou ! Au Parloir chrétien rue du Vieux Colombier, à Saint-Nicolas du Chardonnet, puis dans la grande salle de la Rue Gallande, ce cadeau somptueux qu'il fit à la Fraternité Saint Pie X, il recevait des jeunes, faisant lui même parfois un bout de tambouille, avec une étonnante proximité envers tous, sans distinction de chapelle, montrant un sens du bien commun de l'Eglise dont les prêtres de toutes les tendances pourraient bien s'inspirer. Certains au Vatican même lui ont parfois en douce cherché des noises. Je me souviens, alors que je travaillais au Saulchoir que le Père Gy est venu en bras de chemise me demander d'un ton inquisiteur (le ton qui convint à son ordre au Moyen âge) "ce que je pensais de Bruno Schaeffer". C'est en me remémorant ce pénible épisode de nos toutes récentes guerres de religion que j'écris ces lignes. Pour rendre justice à un prêtre de Jésus Christ, à un homme qui fut père - abba ! - bien plus souvent que le rythme biologique le lui aurait permis si il avait choisi une carrière dans le siècle.
Je suis allé mardi dernier aux funérailles de l'abbé Bruno Schaeffer au monastère de Bellaigue, en Combrailles. Nous n'avions - peut-être - pas tout à fait les mêmes positions ecclésiales, mais c'était un homme de Dieu, un homme qui révélait quelque chose de la bonté de Dieu juste dans sa manière d'être, sans phrase, avec une attention mais aussi une discrétion dont on aurait voulu parfois interrompre le cours. Rien du gourou ! Au Parloir chrétien rue du Vieux Colombier, à Saint-Nicolas du Chardonnet, puis dans la grande salle de la Rue Gallande, ce cadeau somptueux qu'il fit à la Fraternité Saint Pie X, il recevait des jeunes, faisant lui même parfois un bout de tambouille, avec une étonnante proximité envers tous, sans distinction de chapelle, montrant un sens du bien commun de l'Eglise dont les prêtres de toutes les tendances pourraient bien s'inspirer. Certains au Vatican même lui ont parfois en douce cherché des noises. Je me souviens, alors que je travaillais au Saulchoir que le Père Gy est venu en bras de chemise me demander d'un ton inquisiteur (le ton qui convint à son ordre au Moyen âge) "ce que je pensais de Bruno Schaeffer". C'est en me remémorant ce pénible épisode de nos toutes récentes guerres de religion que j'écris ces lignes. Pour rendre justice à un prêtre de Jésus Christ, à un homme qui fut père - abba ! - bien plus souvent que le rythme biologique le lui aurait permis si il avait choisi une carrière dans le siècle.
Disons-le tout net, l'abbé Schaeffer cultiva la thèse sédévacantiste, telle que l'exposa Mgr Guérard des Lauriers, dominicain. Pour lui la papauté était quelque chose de si grand - un droit divin ! - que les papes, depuis Jean XXIII, avaient perdu l'exercice de ce Munus. Le Père Guérard fit sensation au tout début des années 80, en distinguant la papauté "materialiter et la papauté "formaliter". Selon cet intellectuel de haute volée, les papes, après Pie XII, parce qu'il n'avaient pas eu l'intention de recevoir la plénitude de pouvoir qui caractérise la papauté, restaient en-deça du pontificat. Ils étaient pape matériellement, non formellement. Le théologien précautionneux, au moment même où tel l'éléphant, il écrasait allègrement une porcelaine multiséculaire, éprouva le besoin de finasser en précisant que sa thèse, selon laquelle le pape n'était pape que matériellement et non formellement, revêtait une "certitude probable" qui permettait à un chrétien d'agir en conséquence avec une assurance suffisante. C'est ainsi qu'inquiet pour l'avenir de l'Eglise, le Père Guérard des Lauriers se fit lui-même sacrer évêque par un Viêt namien controversé, frère de l'ancien président Diem, archevêque de Saïgon en son temps, qui fit au Concile plusieurs interventions sur le dialogue avec les bouddhistes, Mgr Ngo Dinh Tuc, celui-là même d'ailleurs qui ordonna prêtre Bruno Schaeffer.
Cette thèse sur le pape était lourde et fine en même temps (ce que, hélas, l'abbé de Cacqueray, qui officiait pour les funérailles n'a manifestement pas compris du tout : je parle de la finesse autant que de la lourdeur). A la même époque, le Père Barbara développa une thèse sédévacantiste radicale, sans distinguer le "materialiter" et le "formaliter", qui est celle à laquelle implicitement on se réfère (Cacqueray compris) quand on parle, sans bien les connaître, de tels sujets. Il y a des différences foncières entre les deux hommes. Le Père Barbara était un curé pied-noir au verbe haut qui aimait les simplifications qu'une éloquence ordinaire fait subir à la pensée, qui se souciait de la pratique subtile des distinctions scolastiques comme d'une guigne et qui écrivit une Catéchèse catholique du mariage, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle est fort systématique, soumettant à la Ratio theologica le moindre ébat conjugal... avec l'inconfort que chacun imagine dans ce mélange. Il raisonnait en base 2. Pas Guérard des Lauriers. Et pas l'abbé Schaeffer. La demi-heure de l'abbé de Cacqueray sur la question a été insupportable pour la famille et pour les familiers de l'abbé, qui me l'ont dit. On avait l'impression, en assistant aux obsèques, d'enterrer un Savonarole, ce qui était aux antipodes du caractère et de la perspective de l'abbé Schaeffer, fort dans la foi, comme nous le prescrit saint Pierre, mais se méfiant de tous les prophétismes, jamais raide et qui ne faisait d'ailleurs pas état, quand on ne lui en parlait pas, de cette hypothèse théologique et de la certitude probable qu'elle comportait.
Petite parenthèse : Jean Madiran s'était beaucoup moqué à l'époque de la "certitude probable", dont il disait, si mes souvenirs sont exacts, dans un texte d'Itinéraires, dont la verdeur polémique était digne des Provinciales de Pascal, que c'était un cercle carré. On pense à la deuxième Provinciale : "Qu'est-ce que cette grâce suffisante qui ne suffit pas". Pascal et Madiran sont resté maître du terrain rhétorique. Mais ils avaient tort l'un et l'autre sur le formel de leur attaque, Pascal quant à lui eut le bon goût de le reconnaître peu ou prou dans on dix-huitième petit papier : la grâce suffisante a besoin de la grâce efficace sinon elle ne suffit pas. Quant à la certitude que nous avons du bien que nous accomplissons, ce n'est jamais une certitude apodictique ou démonstrative, c'est toujours une certitude morale. Combien, avec la certitude de faire le bien, accomplissent le mal ! Dieu seul connaît le bien et le mal que nous faisons. Notre conscience, bien éclairée, n'en a qu'un aperçu parfois trompeur (cf. Somme théologique IaIIae Q19 a5), ce qui n'empêche pas que nous devions la suivre (a6) et que nous ne péchons pas le faisant. Tout cela est compliqué : il faudra bien que le Vatican se prononce sur tous ces sujets !
Dans la deuxième partie de son homélie, l'abbé de Cacqueray a très bien parlé de la bonté de l'abbé Schaeffer. Mais il a effectué dans la deuxième partie de sa deuxième partie, un rapprochement proprement stupéfiant. Il a repris l'épître aux Hébreux pour nous expliquer que "la racine" de la sainteté de l'abbé Schaeffer est qu'il était "sans père, sans mère, sans généalogie", comme Melchisédech, le premier de tous les prêtres de l'ordre nouveau. Le Prédicateur a employé le mot "généalogie". Sans doute a-t-il parlé pour lui-même qui, quoi qu'issu d'une noble famille, n'en veut pas faire état. Mais l'abbé Schaeffer, historien et historien du droit, personnage enraciné, arpentant les terroirs français de son pas de chasseur, fut un généalogiste dans l'âme. Il accordait beaucoup d'importance au fait d'avoir une lignée, dont on ne peut et ne doit pas déchoir. Ce n'était pas pour lui une question de titre ou de vantardise, bien évidemment. C'était simplement une question d'honneur, un point terrestre où l'honneur venait s'accrocher. Il mettait en pratique la phrase du Père de Broglie : "La noblesse n'est pas la classe qui dirige mais la classe vers laquelle on se dirige". Ajoutons que sa fidélité à l'ordre de saint Benoît, à l'intérieur duquel il a voulu mourir, a été pour lui une autre manière de cultiver la généalogie. Ce bénédictin actif dans la ligne du Père Emmanuel du Mesnil Saint Loup comptait ces moines de tous les temps comme autant d'ancêtres dans la foi, en communion avec chacun d'entre nous dans le sublime "mystère de la piété" qu'évoque saint Paul. L'esprit monastique de l'abbé Schaeffer, qui aimait tant commenter la Règle de son Bienheureux Père, était, dans tous les sens du terme, un esprit de piété, avec la certitude théologale que, cohéritiers du Christ, nous autres chrétiens,, affrontant chacun les turbulences de l'Histoire dans le moment qu'il nous a été donné de vivre, nous étions tous fils et filles du même Respect viscéral qui avait fait naître en nous cette piété.
Théorie que tout cela ? Non, pas chez l'abbé Schaeffer. Chez lui, à Coulloutre, il recevait comme un Prince, mais non comme un m'as-tu vu. S'il mettait une belle nappe et de beaux couverts, c'était pour que chez lui, chacun se sente reçu comme un Prince. Sa direction spirituelle était, j'allais dire du même bois : jamais interventionniste jamais molle non plus. Il faisait sentir, sans phrase, à qui venait le voir que les chrétiens, devant Dieu, sont un peuple de princes, que ce principat nous fait partager les mêmes devoirs et que les meilleurs en ce Royaume de la grâce sont ceux qui ont la conscience la plus aiguë de ces devoirs.