Il nous a quitté pour « la maison du Père», le 31 juillet 2013.
C’était un grand chrétien.
Il a tenu une place importante dans le combat de la foi tout au long du XXème siècle.
Il participa en première ligne à tous les combats.
Aux combats menés d’abord par la Cité Catholique avec Jean Ousset et M de Pentfentaniot, Michel Creuset dans la diffusion de la doctrine sociale de l’Eglise. Il était à tous les Congrès de Lausanne. Toutes les encycliques des papes, de Léon XIII, Pie X, Pie XI, Pie XII étaient diffusées et étudiées.
C’était un homme savant.
Il anima brillamment avec une imposante équipe de collaborateurs, dès l’âge de 36 ans, je crois, pendant de très nombreuses années, la revue Itinéraires qu’il fonda. Cette collection, de parution mensuelle, de plus de 350 numéros aujourd’hui parus, constitue une véritable Somme qui éclaire les esprits tant sur les sujets philosophiques, politiques que théologiques.
Je dévorais ses chroniques.
Parmi ses collaborateurs, je veux citer tout particulièrement le professeur Marcel de Corte qui enseignait à l’université de Liège, et M Louis Salleron, Melle Luce Quenette, les théologiens comme le RP Calmel, M l’abbé Dulac, le RP Dom Guillou, M l’abbé Berto. Je ne saurais oublier les fortes personnalités d’Henri et d’André Charlier, avec son « Que faut-il dire aux hommes » qui faisait la joie et la lumière de mes jeunes années. Que je n’oublie pas non plus Dom Gérard, son ami très intime. Et j’en passe et des meilleurs, comme le professeur Charles de Koninck et ses fameuses études sur le Bien commun..
Alors que Jean Ousset se mit à « trembler » devant « l’œuvre conciliaire », Jean Madiran, lui, tint bon et sut s’y opposer. L’épiscopat français ne le lui pardonna pas. Avec la revue « Nouvelles de Chrétienté » que dirigeait Dom Guillou, Itinéraires fut condamnée et un blâme la frappa. Elle fut interdite de lecture, entre autres, au séminaire français. Nous n’avions plus le droit ni de la lire ni de la garder dans nos cellules. Comment allions nous pouvoir rester informés de « l’évolution » du monde ? Avec quelques séminaristes, nous allions la lire au grand parc de la Panphillie à Rome où les séminaristes français et anglais avaient libres accès. Je confesse que je dois à ces lectures l’amour de la foi et de la doctrine catholique. Sans Itinéraires que serais-je devenu ?
Au cours de cette crise, Jean Madiran ne cessait de fréquenter le cardinal Ottaviani, cette colonne de la foi. Il le visitait encore en 1966 ou 1967. J’étais à cette époque à Rome et à l’issue de cette visite, Madiran nous a fait l’honneur de passer un moment avec nous, séminaristes français. Je me revois avec lui et son épouse ( sa deuxième épouse, je crois) et quelques autres, assis sur l’herbe devant le Latran, l’église du pape, l’Eglise « Mater et Magistra »
Dès 1968, il se dressa contre l’épiscopat français et écrivit son fameux livre « l’hérésie du XX siècle ». Cette hérésie est épiscopale, disait-il et elle consiste en un « éloignement », en un « oubli » de la part de l’épiscopat, d’abord de l’enseignement social de l’Eglise de Rome. Les esprits devenaient de plus en plus étrangers à la doctrine romaine et principalement en matière sociale. Léon XIII, Pie X, Pie XI, Pie XII et leurs encycliques sociales étaient ignorés au profit de Gaudium et Spes…Rome devenait ainsi de plus en plus isolée à l’intérieur de l’Eglise universelle. (L’hérésie du XXè siècle p. 15). « Mais la doctrine sociale de l’Eglise exprimée par ces papes du 19 et 20ème siècle se fonde sur la loi naturelle et la loi naturelle fait partie de l’économie de salut ». C’est ce que rappelait Pie XII. Alors une dissidence concernant la loi naturelle inaugure mal de l’avenir…
Jean Madiran fut le « docteur » de la loi naturelle, de la piété filiale et donc de la nation, de la famille, du mariage, de la nature créée. Il en fut le défenseur.
Il resta toujours fidèle à ces idées. Dans un de ses derniers livres pour ne pas dire le dernier, « Dialogues du Pavillon bleu » publié en 2011 chez Via Romana, on peut lire cette analyse des temps modernes – ce sont les toutes dernières phrases du livre – : « ce que Solange pense, c’est que nous vivons quelque chose de beaucoup plus profond qu’une crise politique, intellectuelle ou morale; de plus profond qu’une crise de civilisation. Nous vivons ce que Péguy voyait naître et qu’il nommait une « décréation« . Dans l’évolution actuelle du monde, on aperçoit la domination à demi souterraine, d’une haine atroce et générale, une haine de la nation, une haine de la famille, une haine du mariage, une haine de l’homme racheté, une haine de la nature créée. La signature devient plus lisible que jamais. Il appartient aux autorités temporelles et aux autorités spirituelles de la dénoncer. Leur carence empêche les peuples de la voir ».
C’est juste! Et c’est cinglant. C’est ce qu’il n’a cessé de dire et d’écrire durant toute sa vie, d’Itinéraires à Présent. C’est ce qu’il aurait voulu dire aux évêques de France réunis en Conférence épiscopale. Il le dit expressément dans la première page de son « Hérésie du XXème siècle » : « l’auteur de ce livre a demandé à être personnellement entendu par l’Assemblée plénière de la Conférence épiscopale française. Première demande le 15 octobre 1966. Seconde demande le 12 juin 1967. Troisième demande le 12 janvier 1968. Ces demandes n’ont eu aucune suite ». « Ils » craignaient de le recevoir. Ils préféraient recevoir « M Delors », le socialiste.
C’est alors que Jean Madiran se leva et écrivit ce fameux livre : «l’hérésie du XXème siècle ». Il justifiait son intervention en tant que laïc en citant Dom Guéranger : « Quand le pasteur se change en loup, c’est au troupeau de se défendre tout d’abord…Régulièrement la doctrine descend des évêques au peuple fidèle et les sujets dans l’ordre de la foi n’ont point à juger leurs chefs. Mais il est dans le trésor de la Révélation des points essentiels dont tout chrétien par le fait même de son titre de chrétien a la connaissance nécessaire et la garde obligé. Et Don Guéranger ajoutait : « Les vraies fidèles sont les hommes qui puisent dans leur seul baptême, en de telles conjonctures, l’inspiration de leur ligne de conduite ; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent pour courir à l’ennemi ou s’opposer à ses entreprises, un programme qui n’est point nécessaire et que l’on ne doit point leur donner »
Ce programme de la défense de la foi sera toute sa vie et fera toutes ses œuvres.
Dès 1969, devant la réforme de la sainte Messe et face à la messe de Paul VI, il prit tout de suite la défense de la messe tridentine, sans hésitation parce qu’elle était une coutume immémoriale de l’Eglise. Il fut un ardent diffuseur du « Bref Examen Critique », le publia de nombreuses fois. C’est un recueil de critiques d’un groupe de théologiens et de pasteurs, de la nouvelle messe. Le cardinal Ottaviani accepta de le présenter au Pape Paul VI.
C’est alors qu’il soutint tout naturellement l’œuvre de Mgr Lefebvre, son séminaire, parce que là se formaient des prêtres qui, leur vie durant, diraient la messe de saint Pie V.
Devant la carence de l’épiscopat français dans la diffusion de la vérité, il prit la responsabilité de rééditer et de diffuser en France et de part le monde le catéchisme du Saint Concile de Trente. Il en recommanda l’étude. Que de familles françaises firent l’acquisition de ce catéchisme et l’étudièrent.
Lorsque Mgr Lefebvre fut attaqué par le Vatican après sa déclaration du 21 novembre 1974, Madiran, prit sa défense, commenta ce texte, l’expliqua et le diffusa lui aussi tel quel, alors que beaucoup voulaient lui le faire modifier. « Avec ce texte, disait-on, il a signé sa propre condamnation ». Ce n’était pas faux ! Mais faut-il taire la vérité quand elle est en danger. Mgr Lefebvre ne le pensa pas. Madiran eut l’honneur de diffuser dans Itinéraires et de commenter des années durant et avec quelle science, tous les documents échangés entre le Vatican et Mgr Lefebvre. Sous ce rapport, Itinéraires reste une mine de documents et de commentaires très heureux qu’il faut lire pour bien comprendre le drame qui se préparait entre Rome et Mgr Lefebvre. Qui voudra préparer une thèse d’histoire sur cette période ne pourra pas ignorer les analyses de Jean Madiran.
C’est en cette même période, un peu avant, c’est dire son acquitté intellectuel, qu’il diffusa sa « Lettre à Paul VI », le 27 octobre 1972. Il l’intitula « Réclamation au Saint Père ». Ce fut aussi l’objet d’un livre qu’il publia un peu plus tard en 1974, aux « Nouvelles Editions Latines ».
« Très Saint Père, Redonnez-nous l’Ecriture le catéchisme, et la messe. Nous en sommes de plus en plus privés par une bureaucratie collégiale, despotique et impie qui prétend à tort ou à raison, mais qui prétend sans être démentie, s’imposer au nom de Vatican II et de Paul VI.
« Rendez nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l’auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d’interdiction le rite millénaire de l’Eglise catholique, canonisée par le Concile de Trente. L’obéissance à Dieu et à l’Eglise serait de résister à un tel abus de pouvoir, s’il s’était effectivement produit, et non pas de le subir en silence. Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de la messe traditionnelle, il n’importe. L’important est que vous, qui pouvez nous la rendre, nous la rendiez. Nous vous la réclamons ».
Et au milieu de toutes ces activités nombreuses, il ne cessa de publier un nombre important de livres aussi intéressants les uns que les autres, très formateurs.
Pour moi, son œuvre majeur est son étude sur la démocratie : « les deux démocraties » publiée aux Nouvelles Editions Latines ainsi que les « Droits de l’homme » sans Dieu. Ces deux livres nous donnent la raison de la « déconfiture occidentale » et nous expliquent le « désastre » de notre temps. Quand vous lisez : « les droits de l’homme eux-mêmes ne sont plus fondés sur rien quand ils ne sont plus fondés sur les droits de Dieu », vous comprenez le drame de la laïcité. C’est un de ses livres : « la Laïcité dans l’Eglise » …Ou encore quand vous lisez : «Si l’homme n’a « ni Dieu ni maître », il est parfaitement libre de ne plus respecter ni son prochain ni lui-même. Et il le fait bien voir », vous comprenez la sagesse de l’auteur et l’intérêt de le lire. Tous ses livres, il me les dédicassait gentiment : « avec ma respectueuse affection »
Il prit, malheureusement, une certaine distance avec Mgr Lefebvre, lors du grand problème des sacres en 1988. Non point qu’il y fut formellement opposé, mais il n’y était pas favorable non plus. Il restait « neutre ». Il craignait la peine d’excommunication. Il pensait à celle qui frappa Charles Maurras. L’Action Française ne s’en releva pas…N’en serait-il pas de même pour la FSSPX. Mgr Lefebvre ne le comprit pas. Ils s’éloignèrent l’un de l’autre. Car il faut savoir que jean Madiran visitait régulièrement Mgr Lefebvre à Suresnes…Jean Madiran lui en garda sinon « rancune » du moins une « forte animosité »…Il lui attribua la ruine d’Itinéraires par le nombre de désabonnement qui s’en suivirent. Toutefois les propos qu’il tint sur ce sujet dans le film récent « Mgr Lefebvre », sur les sacres faits par Mgr Lefebvre corrigent tout à fait sa pensée. Les sacres, reconnait-il, sont la raison de la survie de la FSSPX. Sans ces sacres, l’œuvre de Mgr Lefebvre ne pouvait survivre. Ce fut ma position toujours et même le 30 mai 1988 au Pointet alors que Mgr Lefebvre réunissait tous les responsables des communiqués traditionnalistes.
Ils ne se revirent plus. Mgr Lefebvre mourait en 1991…
Toutefois jean Madiran, au milieu de son travail harassant au journal Présent qu’il avait fondé et où chaque jour, il assurait une chronique des plus passionnante, avait la gentillesse de me visiter. Il venait s’informer aussi de la vie de la Tradition du côté de la FSSPX. J’étais bien placé pour lui en parler. Il venait à la source. J’étais flatté et honoré de sa visite. Je me sentais peu digne de cette visite. Pour moi, Jean Madiran est un maître. Et un élève est toujours un peu impressionné quand son maître le visite. C’était le cas. Nos échanges étaient cordiaux et très amicaux et de ma part, très déférents. Quand je fus envoyé en exil au Canada, il eut l’amabilité de me téléphoner pour prendre de mes nouvelles…Il avait seulement oublié le décalage horaire. Au milieu de la nuit, je fus réveillé. Il me demanda : « j’espère que je ne vous dérange pas… Nullement, cher Monsieur, ai-je été obligé de lui dire. Je n’ai jamais eu un coup de téléphone de mes supérieurs lors de ce séjour. M l’abbé Laguérie philippe fut le seul à penser qu’il avait encore un ami au Canada…Lorsque je revins du Canada, Jean Madiran m’invita à table au « Freine Camillie », un très bon restaurant sur le haut de Suresnes. C’était là encore très aimable de sa part.
J’ai lu avec passion les chroniques qu’il a publiées en 2010 : « Chronique sous Benoît XVI ». Il reprend là les articles qu’il donnait à Présent.
Mais il n’a pas cessé d’adresser des articles à Présent. J’espère que sa charmante épouse fera publier ses écrits de 2010 à 2013. Car il était un écrivain acharné. Nous ne le lisions plus depuis seulement quelques mois. Il m’arrivait de penser à lui, de prier pour lui, de penser à sa santé. Il avait eu une attaque…Mais il s’en était remis…Il y a des liens profonds et mystérieux entre les personnes. Ma pensée était vers lui le jour qui précéda la nouvelle de son décès.
Nous sommes tous mortels.
Requiescat in pace.
PA