Quand on en rencontre un, reconnu et se reconnaissant comme tel, il n’est pas difficile de discuter voire d’échanger : c’est simplement impossible car il vit dans l’absolu, à un étage culturel et surtout affectif de la foi et de la pensée o๠aucun argument théologique, rationnel ou raisonnable ne peut l’atteindre ni le toucher, sauf à venir conforter ses convictions.
La définition du « tradi » n’est pas facile car l’archétype, un tradi lambda, n’existe sans doute pas. Sur un socle commun de « conservatisme » au sens profond du terme, celui de vouloir que rien ne change en refusant toute évolution au nom de valeurs ou de décisions pontificales, récentes ou non, immuables car éternelles, on trouve des types relativement diversifiés, dont les caractéristiques peuvent se recouper sans exclusivité à des degrés d’implication divers.
L˜âge, le sexe, le niveau social, culturel ou professionnel sont des critères parmi d’autres qui se recoupent sans exclusivité.
LE TRADI TRADITIONNEL ou « c’était mieux avant ». La baguette de pain était bien meilleure, elle était moins chère, il n’y avait pas de pollution, on voyait des bidasses en uniforme, il y avait moins de Chinois et de Noirs dans le métro, en hiver il neigeait, les étés étaient chauds mais supportables, les enfants étaient polis et mieux élevés, ils savaient lire et écrire sans fautes d’orthographe, les jeunes moins débraillés et plus respectueux¦ Les curés portaient la soutane, on en voyait souvent dans les rues, les églises étaient fréquentées, les cloches sonnaient, on faisait des processions, les séminaires étaient pleins, chaque clocher avait son curé. Ah, c’était le bon temps ! Et du temps de l’abbé X, mon bon Monsieur, c’était encore mieux, et du temps du chanoine Y, vous ne l’avez pas connu ma brave dame, encore bien mieux
LE TRADI AQUA SIMPLEX : il est resté fidèle au catéchisme diocésain questions-réponses de son enfance comme à la liturgie de sa jeunesse et depuis cette période, son comportement n’a pas évolué. « On nous a changé la religion » dit parfois ce bon chrétien plus tout jeune, mais sa foi tranquille et heureuse ne se pose pas beaucoup de questions. Il voit la preuve de l’éternité de l’Eglise dans la continuité de la messe dominicale en latin o๠enfant, il accompagnait son grand-père qui avait accompagné le sien, il s’y sent rassuré et la messe des Anges qu’il connaît par coeur et quelques cantiques, suffisent à la pérennité de son bonheur et à son sens du sacré. Il resterait volontiers dans sa paroisse géographique s’il y avait une messe en latin de temps en temps avec Asperges me , ce qu’il espère avec le prochain Motu proprio du pape “ qui se fait attendre, en dépit des réticences qu’on prête à l’épiscopat français. Certes, il est loin de tout comprendre et doit recourir aux traductions, tout en se berçant dans la demi compréhension d’une langue sacralisée par son mystère.
LE TRADI ESTHETE : féru des pompes romaines et du chant grégorien, amoureux du rite, adepte exclusif de la chasuble « boite à violon », familier des manuels de liturgie, nostalgique de ce qu’il connaît par ouï dire car il est souvent jeune, il en remontre au cérémoniaire de cathédrale le plus chevronné. Pointilleux sur le moindre détail des ornements, rubriciste intransigeant, il regrette les beaux offices préconciliaires, déplore la rareté des messes « à trois chevaux » comme la disparition des grandes liturgies pontificales. Hors saint Pie V, point de salut, c’est sûr et certain. Incollable sur les cornes des barrettes ou l’usage du manipule, érudit des tunicelles, inflexible sur les baisements et le nombre des encensements, il en est arrivé, en toute bonne foi, à mettre sur le même plan Présence réelle et port de la soutane. Il est même sincèrement malheureux qu’on ne partage pas son point de vue. Au fond, cet ami du Beau (et de l’Ordre) qui trouve à se « réfugier dans les dentelles », aime se sentir et a besoin d’être entouré d’un corset de certitudes avec baleines en acier trempé. Les plus démonstratifs de la catégorie assortissent cravate, pochette et chaussettes aux couleurs liturgiques, blanc, violet et rose compris
LE TRADI PUR ET DUR : ses convictions, théologiques et autres, sont en granit et la Vérité, qu’il est seul à détenir, n’est pas discutable. Il connaît toutes les encycliques et bulles de condamnation de la franc-maçonnerie, des hérésies et déviations diverses, modernisme et autres erreurs, avec les dates de fulmination, toujours prêt à dégainer Pascendi, Lamentabili ouVehementer . Il démontre qu’il ne reste plus que 80 évêques ayant été sacrés validement, source de tous les maux actuels de l’Eglise (Benoît XVI l’a été, heureusement) et surfe sur les sites de l’Internet o๠il retrouve ses congénères. Il fustige volontiers les évêques de France dont beaucoup seraient issus de la succession apostolique de Talleyrand, donc invalides ; quant aux autres, « il y a encore pas mal de marxistes » mais cela change. Il mène la vie dure à son curé qu’il voudrait plus docile à la Vérité, c’est à dire à la sienne, pour son bien et celui de l’Eglise. Il fréquente la plus proche paroisse tradi le dimanche matin quand il y en a une et à Paris ira à saint Nicolas du Chardonnet . Le cas échéant, il participe à une manifestation contre l’avortement organisée par l’association dont il fait partie. C’est un « Catholique et Français toujours », clérical en diable, très attaché à l’Ordre et à l’Autorité quand ils rencontrent ses Vérités.
LE TRADI CHIMERIQUE : il vit à l’ère préconciliaire, non pas celle qui a précédé Vatican II mais plutôt Vatican I . Cultivé, passionné d’histoire, aimable et mondain, souvent bon latiniste et fervent monarchiste (mais légitimiste), il aime et voit dans l’Eglise la gardienne, la garante et la protectrice d’un ordre social immuable voulu par Dieu o๠il figure certes en bonne place (comme Charles Maurras, mais il ne faut pas lui rappeler qu’il était sourd et agnostique). Il a le plus grand respect pour le Prêtre, oint du Seigneur, et s’incline avec déférence quand son curé remonte l’allée pour aller à l’autel. Partisan convaincu du trône et de l’autel, fleur de lys à la boutonnière ou épinglée sur la cravate, il ne manque jamais la messe anniversaire du 21 janvier et voudrait qu’on chante « Domine salvam fac Regem ». Il est dans un monde o๠les pendules semblent arrêtées depuis quelques siècles.
LE TRADI PERSECUTE : martyr immolé sur l’autel de la Tradition à défaut de la Foi, saint Sébastien gémissant ou agnelle doloriste au coeur saignant et à l’âme souffrante, ce type tradi ressasse sans fin les mêmes plaintes mais ne fait que les ressasser ad nauseam. Notre curé n’aime pas les tradis et il s’en vante, il veut nous convertir à la messe Paul VI, il a refusé la Vierge pèlerine, il ne veut pas de vêpres, il ne porte la soutane que le dimanche, l’évêque ne nous aime pas alors que nous sommes ses meilleurs diocésains, il nous refuse une belle et vaste église à peu près vide o๠nous ferions le plein tous les dimanche, il ne veut pas nous donner un curé ou un vicaire de la fraternité Saint Pierre , il n’en veut pas dans son diocèse alors qu’il manque de prêtres, il nous exile à la campagne ou dans des quartiers impossibles¦ On nous condamne aux catacombes ! Qu’avons-nous donc fait pour mériter cela, nous qui conservons le dépôt sacré de la liturgie dans son intégrité, contre vents et marées?
Pour finir, LE TRADI PARTAGE", dont il reste de nombreux exemplaires. En réfléchissant, il ne voit aucun avenir à la messe tridentine à laquelle on ne comprend plus rien : il aime à la fois le rite Paul VI avec des lectures nombreuses, ses prières participatives, l’échange de la paix mais aussi la messe tradi avec Asperges me (beau rite qu’il faudrait rétablir) et quelques chants en latin, patrimoine de l’Eglise. Qu’on en chante une, une fois par mois, ça suffira, si on trouve un prêtre capable et volontaire pour la célébrer, ce qui n’est pas évident.