SOURCE - Olivier Figueras - Présent - 23 novembre 2013
25 ans de la Fraternité Saint-Pierre
Entretien avec M. l’abbé Ribeton, supérieur du district de France
«La liturgie traditionnelle est un moyen très efficace de ramener les hommes vers Dieu»
A l’occasion du 25e anniversaire de la Fraternité Saint-Pierre, et au lendemain de la messe célébrée à Paris, en l’église Saint-Sulpice, à cette occasion (Présent du 19 novembre), l’abbé Ribeton, supérieur du district de France, a accepté de répondre à nos questions.
— 25 ans : est-ce l’âge de la maturité, et comment s’exprime-t-elle ?
— Je ne sais si l’on peut parler d’âge de maturité. La Fraternité Saint-Pierre demeure une jeune communauté, de fondation récente, qui compte des prêtres souvent très jeunes. Leur moyenne d’âge est de 37 ans. C’est une force incontestable, et c’est l’un des signes de la vitalité du catholicisme traditionnel. Il nous faudrait cependant un peu plus de prêtres à cheveux blancs, car la sagesse vient avec l’expérience. Il est très important pour une communauté de pouvoir s’appuyer sur des anciens. Heureusement, nos fondateurs, qui furent ordonnés prêtres par Mgr Lefebvre avant 1988, apportent de la maturité à notre Fraternité. Ils ont vécu bien des crises et sont restés fidèles à leur sacerdoce. Ils ont gardé l’enthousiasme de leurs vingt ans et nous communiquent cette flamme. Grâce à eux, la Fraternité est restée fidèle à ses fondamentaux : tradition, romanité, thomisme.
— Vos fondateurs étaient une dizaine. Où en êtes-vous de votre développement ?
— La Fraternité Saint-Pierre compte actuellement 244 prêtres et 163 séminaristes. C’est dire qu’elle a connu une belle croissance. En moyenne, 12 prêtres de notre communauté sont ordonnés chaque année. 77 prêtres français appartiennent à la Fraternité Saint-Pierre. En France, la FSSP exerce son apostolat dans 35 diocèses. Remarquons que c’est aux Etats-Unis que notre communauté s’est développée le plus vite. Le district nord-américain dessert 42 diocèses. 24 paroisses personnelles nous ont été confiées en Amérique du Nord… 3 seulement en Europe.
— Comment expliquer ce contraste ?
— En Amérique, le Motu Proprio Summorum Pontificum a été particulièrement bien reçu. Il a été appliqué sans réserves et selon toutes ses dispositions. En France ou en Allemagne, les progrès dans la reconnaissance du plein droit de cité de la messe traditionnelle ont été considérables. Mais des blocages idéologiques demeurent parfois.
— Saint-Sulpice, c’est un peu une première parisienne. Parce que la FSSP a toujours quelque mal à paraître à Paris, si l’on excepte quelques ancrages (à commencer par la « messe du mercredi » célébrée par l’abbé Le Coq qui réunit à Saint-François-Xavier beaucoup d’étudiants). Est-ce une nouvelle ouverture ?
— Ce n’est pas un nouveau ministère confié puisque cette messe anniversaire était un événement ponctuel. Néanmoins c’est le signe d’un accueil qui sera, je l’espère, toujours plus large, et dont je tiens à remercier le cardinal Vingt-Trois. Avoir pu célébrer, grâce à la bienveillance du curé de la paroisse, dans l’église Saint-Sulpice, est une grande grâce. La présence massive de fidèles montre que les Parisiens attachés à la forme extraordinaire sont nombreux. En Ile-de-France, la Fraternité Saint-Pierre est implantée avec un apostolat stable et bien enraciné dans les diocèses de Versailles, de Créteil et de Meaux. Dans les diocèses de Paris et de Nanterre, nos prêtres agissent en lien avec les prêtres diocésains qui sont investis dans l’application du Motu proprio mais qui ont déjà de lourdes charges pastorales. L’abbé Guilhem Le Coq apporte ainsi son aide dans le cadre de la paroisse Saint-François-Xavier, sous l’autorité de son curé, Mgr Chauvet, particulièrement auprès des étudiants, ou encore pour l’aumônerie de groupes scouts. Il assure aussi des permanences de confessions à Notre-Dame-des-Victoires. A Sceaux et à Colombes, des cours de catéchisme sont donnés aux enfants grâce à l’accueil des curés qui mettent à disposition de nos prêtres leurs salles paroissiales. Tout cela est modeste, mais l’important est le bien spirituel que l’on peut procurer aux âmes. Et par ailleurs nos prêtres ne manquent pas d’apostolat… ils suffisent tout juste à la tâche. Ce qui nous est confié correspond à nos possibilités actuelles. Dans les années à venir, le district de France de la Fraternité Saint-Pierre comptera beaucoup de jeunes prêtres nouvellement ordonnés. La FSSP pourra alors proposer une aide plus active en région parisienne, comme dans d’autres régions de France où le manque de prêtres se fait sentir de plus en plus cruellement. Pour le moment, nous en sommes souvent encore à des commencements modestes, mais autre est le geste du semeur, autre celui du moissonneur.
— 25 ans après le rapport-opposition avec la FSSPX, quelle est la nature spécifique (l’identité, pourrait-on dire) du prêtre de la FSSP ?
— La Fraternité Saint-Pierre est née dans un contexte douloureux en 1988 et nos fondateurs sont effectivement des prêtres qui appartenaient d’abord à la Fraternité Saint-Pie-X. Ils avaient tout reçu de Mgr Marcel Lefebvre dans leur formation et reconnaissaient en lui un père. Aussi n’est-il pas surprenant de retrouver dans la nature propre de la Fraternité Saint-Pierre des éléments de ressemblance avec la Fraternité Saint-Pie-X.
Notre Supérieur général, M. l’abbé John Berg, a coutume d’expliquer que notre Fraternité repose sur trois piliers : on peut les résumer par trois mots : tradition, romanité, thomisme. Tradition, parce que nos prêtres célèbrent la liturgie romaine traditionnelle, appelée depuis Benoît XVI forme extraordinaire du rite romain. Romanité, parce que la Fraternité Saint-Pierre vit l’attachement aux traditions liturgiques et spirituelles latines dans la fidélité au Siège de Pierre, cum Petro et sub Petro. Thomisme, parce que l’enseignement dans nos séminaires s’appuie sur saint Thomas d’Aquin, Docteur commun de l’Eglise, préparant ainsi nos prêtres à la transmission de la saine doctrine. Si l’on veut être complet sur la nature de la Fraternité Saint-Pierre, il faut ajouter qu’elle est une « société de vie apostolique de droit pontifical ». Cela signifie deux choses : d’abord que nos prêtres vivent en communauté, ce qui est une force pour vivre son sacerdoce fidèlement et mener l’apostolat dans un monde sécularisé. Notre-Seigneur n’envoyait-il pas déjà ses disciples deux à deux ? Ensuite, cela signifie que la Fraternité Saint-Pierre est une communauté directement placée sous l’autorité du Saint-Siège. Le pape vient d’ailleurs de nous délivrer un message et sa bénédiction apostolique à l’occasion de notre vingt-cinquième anniversaire.
— Le district de France s’est enrichi des régions francophones de pays voisins, tels la Belgique ou le Luxembourg. Pourquoi ? N’est-ce pas trop gros ? Trop disparate aussi ?
— En fait, la partie francophone du Benelux, c’est-à-dire essentiellement la Belgique francophone, est rattachée à l’administration du district de France. Cela tient à ce que, à ce jour, ce sont des prêtres originaires de France qui y assurent l’apostolat. Lorsqu’une mission leur est confiée en Belgique, ils sont toujours des membres à part entière du district de France. Ils participent aux retraites ou sessions de nos prêtres, comme à Lourdes voici deux semaines. Cela est important pour eux, afin d’éviter un certain isolement par rapport aux confrères de la Fraternité. Le rattachement au district de France traduit donc un souci pour les prêtres, mais absolument pas un déni de la spécificité belge, qui naturellement doit être comprise et honorée.
— Quelle est la place spécifique de la FSSP au sein de ce qu’on appelle les communautés Ecclesia Dei ?
— Les communautés Ecclesia Dei ont été reconnues sur la base du Motu proprio Ecclesia Dei du 2 juillet 1988. A côté de communautés religieuses, la Fraternité Saint-Pierre est la première communauté regroupant des prêtres séculiers à en avoir bénéficié. Cela est logique puisque le Motu Proprio du 2 juillet 1988 était spécialement destiné aux prêtres et fidèles liés à Mgr Marcel Lefebvre. Notre fondation s’est faite dans la logique du protocole d’accord du 5 mai 1988 entre Mgr Lefebvre et le Saint-Siège. Notre développement depuis 1988 est resté dans cette ligne, assumant la fidélité à l’entière tradition de l’Eglise qui comporte naturellement la fidélité au Siège de Pierre. Notre spécificité liturgique a été dès 1988 reconnue. Elle est un talent reçu de l’Eglise que nous voulons faire fructifier pour la sanctification des âmes.
— La FSSP a-t-elle des perspectives à l’aurore du nouveau pontificat ?
— Le pape vient de nous appeler à faire preuve, avec notre charisme propre, avec notre spécificité, de « charité inventive » pour participer à la mission de l’Eglise dans le monde d’aujourd’hui. Cela rejoint notre souci, qui est d’être missionnaire. Le choix de la liturgie traditionnelle n’a rien à voir avec un repli frileux ou nostalgique. Il est au contraire fondé sur la conviction que cette liturgie est un moyen très efficace de ramener les hommes vers Dieu, de réorienter un monde sans boussole vers le Seigneur. Benoît XVI avait souligné la puissance de la liturgie au cours des siècles passés pour « façonner la piété des peuples ». La liturgie traditionnelle garde cette puissance de rayonnement qui conduit de nombreux jeunes à la découvrir et à l’embrasser avec émerveillement. Leur vie, notre vie peut en être transformée. Nos prêtres peuvent en témoigner, car ils n’ont pour la plupart pas connu cette liturgie dans leur enfance. Ils l’ont découverte providentiellement, à l’occasion d’une retraite, d’un pèlerinage ou en poussant la porte d’une église et s’y sont attachés. Cette lumière qui oriente les âmes vers le Christ ne doit pas être gardée sous le boisseau. Nous avons à être missionnaires avec les moyens de sanctification que nous confie l’Eglise, avec cette liturgie qui a la puissance de toucher tant d’âmes.
Par ailleurs faire preuve de « charité inventive » signifie certainement aller chercher les âmes là où elles sont, les prendre là où elles en sont, avec la miséricorde d’un bon pasteur, pour les conduire à Jésus-Christ. De ce point de vue, l’appel du pape à aller vers les « périphéries existentielles » retentit fortement en nos cœurs. Nous sommes en France revenus à une situation comparable à celle des missions. Dans une telle situation, le simple fait de porter la soutane est un excellent outil apostolique. Porter la soutane dans un monde où l’Eglise a perdu beaucoup de visibilité permet de rencontrer des âmes qui reconnaissent à son habit le prêtre, l’homme de Dieu, et qui en le voyant s’interrogent, veulent lui parler…
Nous voulons enfin que nos communautés paroissiales soient d’une ferveur contagieuse, qu’elles soient des foyers de reconquête, qu’elles soient, selon les mots de Benoît XVI, des « oasis spirituelles » où l’on vient se ressourcer, refaire ses forces. A côté de cela, nous pensons qu’un bon moyen de tout restaurer dans le Christ est de développer des œuvres comme les écoles, et plus généralement toutes les œuvres de formation de la jeunesse. C’est pourquoi, depuis quelques années, le district de France s’est résolument engagé dans cette voie. C’était celle suivie autrefois par les missionnaires dans les terres où ils apportaient l’Evangile.
Propos recueillis par Olivier Figueras
Article extrait du n° 7986 de Présent du Samedi 23 novembre 2013