SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 448 - 15 juillet 2014
Le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, a donné une très riche préface à la thèse que vient de publier le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d'interprétation du Motu Proprio Summorum Pontificum. Cette thèse en droit canon, soutenue devant l'université ecclésiastique San Dámaso de Madrid, étudie l'évolution du cadre juridique de la célébration selon le missel de 1962 sous Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, puis se penche sur la signification de « forme extraordinaire du rite romain » et, enfin, envisage l'unité du rite romain à la lueur de la pensée de Benoît XVI.
Le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, a donné une très riche préface à la thèse que vient de publier le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d'interprétation du Motu Proprio Summorum Pontificum. Cette thèse en droit canon, soutenue devant l'université ecclésiastique San Dámaso de Madrid, étudie l'évolution du cadre juridique de la célébration selon le missel de 1962 sous Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI, puis se penche sur la signification de « forme extraordinaire du rite romain » et, enfin, envisage l'unité du rite romain à la lueur de la pensée de Benoît XVI.
Par sa méthodologie exemplaire, l'ampleur et la diversité des sources utilisées et le fait que l'auteur démontre des connaissances liturgiques et théologiques à la hauteur de ses connaissances canoniques, cette thèse confirme que Summorum Pontificum est bel et bien une « loi universelle de l'Église » et non la réponse ponctuelle à un problème limité dans le temps. Comme vient de le rappeler le pape François aux Franciscains de l'Immaculée : « La liberté de célébrer selon l'ancien comme le nouveau missel doit être garantie, sans que le rite devienne un étendard idéologique. » (*)
En exclusivité, Paix liturgique vous propose une traduction de la première partie de la préface du cardinal Cañizares.
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Nous nous trouvons devant un travail qui aborde scientifiquement un thème qui a été l'objet ces dernières années de controverses passionnées.
Or, dès le départ nous devons garder à l'esprit deux éléments : d'une part le caractère académique de cet ouvrage et, de l'autre, l'appartenance de son auteur à une communauté certes fidèle aux grands principes de la liturgie mais au sein de laquelle ne se célèbre pas la forme extraordinaire du rite romain. Cette double spécificité permet à l'auteur d'observer « de l'extérieur » la situation, d'où la grande objectivité que reflète son étude. Enfin, bien que cette thèse ait été soutenue devant une faculté de droit canon, la façon dont y sont abordés les aspects historiques et liturgiques révèle la compétence de l'auteur en ces domaines.
Ce travail se distingue par de nombreux aspects.
En premier lieu, par la variété et l'amplitude des sources et des auteurs consultés, comme le révèle l'index qui en décompte plus de 500. La bibliographie, qui dépasse 1500 titres, rassemble de nombreuses publications récentes imprimées en plusieurs langues et pas toujours accessibles, ce qui fait de cet ouvrage un document unique pour l'étude du sujet. Cette biographie comporte notamment un recensement, dont on peut supposer l'exhaustivité, des textes de Joseph Ratzinger / Benoît XVI sur la continuité liturgique et les sujets qui s'y rapportent. Cette enquête se caractérise en outre par l'exposition objective et large du status quaestionis, ce qui permet de connaître les positions aussi bien favorables qu'opposées aux mesures de Benoît XVI. Parmi les textes cités, de nombreuses critiques manifestent une conception du Concile et de la réforme liturgique qui témoigne clairement à quel point la diffusion généralisée de « l'herméneutique de rupture » au sujet de ces événements, loin d'être fantasmagorique, est une réalité bien concrète.
En second lieu, cette étude propose une analyse détaillée et approfondie de la terminologie de Summorum Pontificum, s'arrêtant sur des termes comme « rite » et éclairant l'expression controversée « deux formes d'un même rite » au point de résoudre de façon convaincante ce qui semblait contradictoire, confus et critiquable à beaucoup, dans un camp comme dans l'autre. À signaler également les précisions concernant l'interdiction du missel ancien et l'expression « numquam abrogatam ». S'appuyant sur la riche bibliographie, le vocabulaire et les concepts fondamentaux, l'auteur analyse méticuleusement et en détail les documents pertinents, et compose ainsi une exégèse solidement fondée.
Si l'on considère, en outre, les moyens dont se prévalent les canonistes pour l'interprétation de la loi, ce travail constitue sans hésitation une matière précieuse. En effet, le premier outil d’interprétation est l'attention portée au sens propre des termes aussi bien dans le texte que dans le contexte. Ce sens comporte non seulement la signification commune des termes mais aussi, et principalement, leur signification juridique habituelle en liaison avec les définitions du Code et de la doctrine. Le sens littéral doit être contextualisé pour éviter de faire violence à la matière traitée en vertu d'un littéralisme excessif. Comme l'application de ces principes n'est pas toujours facile, le Code prévoit non seulement de recourir à des parallèles sur le même argument mais aussi à la finalité et aux circonstances de la loi : l'occasion, le moment et le lieu de sa promulgation et, plus spécifiquement, son processus d'élaboration. Tout ceci sert à déterminer la mens legislatoris, élément clé, en ultime instance, de l'interprétation de la loi.
La vaste documentation présentée dans cet ouvrage permet d'appliquer au Motu Proprio ces différents éléments d'interprétation, ce qui en fait un auxiliaire précieux pour déterminer la mens legislatoris du document et unvademecum utile au moment de prendre des décisions pour sa correcte application.
Pour toutes ces raisons, ce travail constitue une référence aussi bien pour l'étude que pour l'application deSummorum Pontificum et de l'instruction Universae Ecclesiae.
Toutefois, il ne s'agit pas d'une œuvre purement « technique », destinée uniquement aux spécialistes. De ce fait, je désire m'arrêter sur certains aspects de ce livre qui concernent un public plus large et dont la lecture peut conduire à une enrichissante réflexion.
L'idée, clairement présente dans le Motu Proprio comme dans les documents qui y sont liés, que la liturgie héritée constitue une richesse à conserver, s'inscrit en fait dans la ligne du mouvement liturgique – dans l'esprit de Romano Guardini auquel Benoît XVI, depuis sa jeunesse, doit tant dans sa relation personnelle avec la liturgie. L'histoire détaillée et documentée d'un processus commencé dans les années 70 et poursuivi jusqu'à aujourd'hui nous montre combien cette législation ne fut ni le résultat d'une pression momentanée ni un reflet de l'opinion personnelle et isolée du Pape mais plutôt l'aboutissement de la volonté exprimée depuis des années par de nombreuses personnes. Au fil des ans, les convictions du jeune Joseph Ratzinger se renforcèrent et s'affinèrent, et furent également adoptées par Jean-Paul II qui avait lui-même envisagé la possibilité de promulguer une telle législation.
L'ambiance entre les cardinaux choisis pour plancher sur la question était favorable. La commission cardinalice instituée par Jean-Paul II, au sein de laquelle l'influence du cardinal Ratzinger était indéniable, avait proposé d'en finir « avec l'impression que chaque missel est le produit de son époque historique » et avait affirmé que « les normes liturgiques, n'étant pas en vérité et en pratique des "lois", ne pouvaient être abrogées mais simplement subrogées, les précédentes par les successives ». La démonstration est ici faite de ce que l'attitude de Benoît XVI [promulgant Summorum Pontificum, NdT] n'a constitué ni une nouveauté ni un renversement de gouvernement mais plutôt une concrétisation de ce que Jean-Paul II avait entrepris avec des initiatives comme la consultation de la commission cardinalice, le Motu Proprio Ecclesia Dei et la création de la Commission pontificale du même nom, la messe du cardinal Castrillón Hoyos à Sainte-Marie-Majeure en 2003 ou ses paroles devant la congrégation du Culte divin la même année.
L'histoire du processus montre que, dès le début, le désir de conserver la forme traditionnelle de la messe n'était pas l'exclusivité d'intégristes, puisque des personnes du monde de la culture et des écrivains comme Agatha Christie et Jorge Luis Borges signèrent un appel en faveur de sa préservation, et que saint Josemaría Escrivá fit usage d'un indult octroyé spontanément par Monseigneur Bugnini lui-même.
Il est également relevé ici la préoccupation de Benoît XVI de souligner que l'Église ne rejette pas son passé : en constatant que le Missel de 1962 « n'a jamais été abrogé juridiquement », le Pape a mis en évidence la cohérence que souhaite maintenir l'Église. En effet, l'Église ne peut pas se permettre de perdre, d'oublier ou d'abandonner les trésors et la richesse du patrimoine de la tradition du rite romain sans se trahir et se renier. Elle ne pourrait pas renoncer à son héritage liturgique historique et prétendre établir ex novo sans s'amputer de parties fondamentales.
Un autre aspect important de ce livre naît de la lecture de l'histoire de ce processus : on voit bien comment la sensibilité pastorale pour ces fidèles a progressé au fil des ans, faisant toujours plus grand cas de leur personne et de leur bien spirituel. En effet, la législation fut au départ très limitée. Elle ne prenait en compte que la dimension cléricale, ignorant quasi totalement les laïcs, étant donné que la préoccupation principale était disciplinaire et n'entendait que contrôler les éventuelles désobéissances à la loi qui était promulguée. Avec le temps, la question a revêtu un aspect toujours plus pastoral pour aller à l'encontre des besoins des fidèles, ce qui se traduit par un notable changement de ton de la terminologie utilisée : on ne parle plus, ainsi, du « problème » que poseraient prêtres et fidèles attachés au rit dit tridentin mais bien de la « richesse » que sa conservation représente.
Il s'est ainsi créé une situation analogue à celle qui fut la norme pendant des siècles : rappelons en effet que saint Pie V ne proscrivit pas les traditions liturgiques qui avaient plus de deux cents ans d'existence. Beaucoup d'ordres religieux et de diocèses conservèrent ainsi leur rit propre : comme archevêque de Tolède, j'ai pu vivre cette réalité avec le rit mozarabe. Le Motu Proprio a modifié la situation précédente en faisant comprendre que la célébration de la forme extraordinaire devrait être normale, en éliminant tout conditionnement lié au nombre de fidèles intéressés et en ne posant comme conditions pour participer à une telle célébration que celles normalement requises pour toute célébration publique de la messe, ce qui a permis un accès majeur à ce patrimoine qui, bien qu'il soit de droit un bien spirituel de tous les fidèles, est, de fait, ignoré du plus grand nombre. En effet, les restrictions actuelles à la célébration de la forme extraordinaire ne diffèrent pas de celles qui existent pour les autres célébrations, quel qu'en soit le rit.
[…]
Antonio Cañizares Llovera
Cardinal Préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements
25 juillet 2013
En la fête de saint Jacques le Majeur, patron de l'Espagne
(*) Cette déclaration du Pape est d'autant plus forte qu'elle a été faite devant une communauté elle-même victime d'une entorse à ce principe depuis qu'elle a été placée sous la coupe d'un commissaire apostolique.