A quelques semaines d’intervalle, avant les vacances d’été,
trois « fondatrices » de congrégations de dominicaines enseignantes
ont rendu leur âme à Dieu. Au-delà de leur souhaite de servir le Christ à
travers l’éducation des jeunes filles, leur parcours traduit aussi la terrible
secousse qui a touché l’Église après le Concile. C’est donc aussi une page de
l’Église qui vient de se tourner après leurs décès.
Mère Anne-Marie Simoulin est née le 24 mai 1928 d’un père
polytechnicien et officier. Des 14 enfants que comptera la famille, trois
filles deviendront religieuses et un garçon deviendra prêtre.
Après de solides études littéraires, elle est entrée en 1948
dans la congrégation des Sœurs du Saint-Nom de Jésus. Cette congrégation,
fondée à Toulouse en juin 1800 pour se consacrer à l’éducation des filles,
s’était affiliée à l’ordre dominicain en 1886.
Mère Anne-Marie Simoulin a prononcé ses premiers vœux en
1951 et fait sa profession en 1956. Durant sa formation, elle fut fortement
influencée par le père Calmel (1914-1975), un dominicain qui était confesseur
ordinaire des sœurs à Toulouse et un de leurs professeurs. « Il s’appliqua
à former l’esprit des sœurs selon un plan rigoureux s’appuyant sur l’Écriture
sainte, les encycliques des papes, saint Thomas d’Aquin et ses meilleurs
commentateurs » (1).
Le Saint-Nom de Jésus
A l’initiative de la supérieure générale, mère Hélène Jamet,
de nouvelles constitutions furent rédigées. La rédaction fut confiée au père
Calmel. Le nom de la congrégation fut changé – Dominicaines enseignantes de
Toulouse, sous le vocable du Saint-Nom de Jésus – pour insister sur sa
« fin spéciale » : une œuvre d’enseignement et d’éducation selon
l’esprit de l’Évangile ».
Les nouvelles constitutions furent approuvées par le
Saint-Siège le 14 août 1953. Un peu plus d’un an plus tard à cause de
l’opposition de quelques religieuses, le père Calmel fut écarté de son ministère
auprès de la congrégation.
En 1964, mère Simoulin fut nommée prieure de l’institut
Sainte-Marthe à Grasse, puis en 1967, dans le climat difficile de
l’après-Concile, elle fut élue prieure générale de sa congrégation. Suite à une
demande écrite qu’elle fit à Rome, le père Calmel put à nouveau, à partir de
1969, recevoir la visite des Dominicaines enseignantes et correspondre avec
elles.
Son influence spirituelle et doctrinale fut importante dans
ces années de crise. En décembre 1971, mère Simoulin exprima publiquement son
refus de la nouvelle messe. Les divisions au sein de la congrégation, sur ce
sujet et à propos de l’aggiornamento
de la vie religieuse, l’incitèrent à faire appel à Rome. Un Visiteur
apostolique fut nommé en janvier 1972 et, en 1974, une administratrice était
désignée en remplacement de mère Simoulin jugée trop indocile à l’esprit
nouveau.
En juillet 1975, deux mois après la mort du père Calmel,
mère Simoulin s’installait à La Clarté-Dieu, près de Fanjeaux, avec dix-huit
autres religieuses et deux postulantes. Il s’agissait de préserver l’esprit et
la vocation des Dominicaines enseignantes. Mais le Saint-Siège décida, par
décret du 7 juin 1976, de réduire à l’état laïc ces religieuses en rupture de
congrégation.
Répondant aux demandes des parents, mère Simoulin
multipliera les fondations d’écoles. Une nouvelle congrégation verra le jour,
la Congrégation des Dominicaines enseignantes du Saint-Nom de Jésus de
Fanjeaux.
A partir d’août 1977, la nouvelle congrégation a reçu le
soutien spirituel d’un autre dominicain, le père de Chivré (1902-1984) qui
avait obtenu de ses supérieurs, depuis de nombreuses années, de résider hors de
son couvent (2). Jusqu’à sa mort, il est venu régulièrement dans les
différentes maisons célébrer la messe, confesser, prêcher des conférences
spirituelles, présider des cérémonies de prises d’habit et de profession.
La détermination de mère Simoulin sera telle qu’en mai 1988
elle sera parmi les plus déterminés pour inciter Mgr Lefebvre à refuser tout
accord avec le Saint-Siège et à procéder à des sacres épiscopaux sans l’accord
du pape. En 1993, elle a cédé sa charge de prieure générale à mère
Marie-Geneviève. Puis en 1999, elle s’est retirée dans la maison de Romagne où
elle est décédée le 16 juin dernier. La congrégation qu’elle fondée compte
aujourd’hui 14 maisons en France, en Allemagne et aux États-Unis et quelques
200 religieuses.
Mère Marie-François Dupouy, née le 12 mai 1920, aura eu à
partir de 1974 un itinéraire parallèle à celui de mère Anne-Marie Simoulin.
Elle était entrée dans la congrégation du Saint-Nom de Jésus en 1939 et avait
fait sa profession religieuse en 1942. Au début des années 1950, elle avait
accueilli avec enthousiasme la décision de la prieure générale de faire rédiger
des nouvelles constitutions pour revivifier la congrégation dans un esprit
dominicain et dans sa vocation enseignante. Elle a aussi beaucoup reçu du père
Calmel, dont elle dira qu’il l’« a bien aidée à distinguer le vrai du faux
et à être vigilante ».
Des divisions
Elle était prieure du Cours Saint-Dominique à Toulon lorsque
la congrégation connut des divisions qui portaient tout à la fois sur la
conception de la vie religieuse, l’évolution des méthodes éducatives et
l’attitude à adopter face à la crise que traversait l’Église. Elle adressa, en
janvier 1973, une lettre à la prieure générale, mère Simoulin, suggérant :
« Ne faudrait-il pas regrouper nos forces dans trois maisons secondaires
solides – trois et pas plus – avoir ainsi, de nouveau, des communautés d’une vingtaine
de sœurs professes et deux écoles paroissiales nettement orientées ? (…)
Je précise que la première fidélité est de maintenir liturgie et Ordo
traditionnels, office dominicain latin, catéchisme de toujours, enseignement
doctrinal orthodoxe, éducation chrétienne soutenue par des groupements de
piété. » (3)
A la fin de l’année, mère Simoulin donna son accord et fit
entériner la décision par le Conseil de la congrégation. Une propriété fut
trouvée à Saint-Pré, non loin de Brignoles. Mère Dupouy et 25 autres sœurs s’y
installèrent en 1974, rejointes par le père Calmel (avec l’accord de ses
supérieurs) et bénéficiant du soutien de l’ancienne prieure générale, mère
Hélène Jamet, qui sera enterrée à Saint-Pré. Elles seront réduites à l’état
laïc par Rome le 24 mai 1975, trois semaines après la mort du père Calmel. Une
congrégation nouvelle fut formée, les Dominicaines enseignantes du Saint-Nom de
Jésus et du Cœur Immaculé de Marie, et plusieurs écoles furent fondées au fil
des années. Mère Marie-François fut prieure de Saint-Pré puis prieure générale
de la congrégation, jusqu’en 1998. Elle s’est éteinte le 17 juin, le lendemain
de la mort de mère Simoulin.
Mère Marie-Dominique, née Jacqueline Renault le 15 avril
1917 à Vannes, a connu dès 1936 l’abbé Bertho (1900-1968), un prêtre diocésain,
tertiaire dominicain (4) qui commençait à fondée ce qui deviendra en 1939
l’œuvre pour les orphelins Fescal. Pendant la guerre, avec sa mère et deux de
ses sœurs, elle a participé aux actions du réseau de résistance de son frère
(le colonel Rémy), et fut pour cela arrêtée par la Gestapo, emprisonnée à
Vannes puis à Fresnes (5). Après la Libération, elle a fait des études de
lettres, obtenant une licence, puis a intégré de manière définitive ce qui
était devenu, en 1943, la Fraternité N.-D. de Joie du tiers-ordre de saint
Dominique puis en 1964 l’Institut des Dominicaines du Saint-Esprit.
Au foyer des enfants, qui s’établira ensuite à Pontcalec
sous le vocable de Notre-Dame de Joie, s’ajouta bientôt une école pour
fille : à Saint-Cloud, en 1945. D’autres seront fondées dans les années
1970-1990, dans diverses régions.
Transmettre la foi
Selon l’esprit défini par l’abbé Berto, les Dominicaines du
Saint-Esprit se sont attachées et s’attachent à « transmettre la foi,
structurer et épanouir les intelligences, éduquer à l’exercice de la liberté,
former à la lumière de l’Évangile des adultes conscients de leur rôle au sein
de la société ».
Mère Marie-Dominique est morte à 97 ans, le 26 mai dernier.
Une de ses anciennes élèves, Jeanne Smits, l’a définie comme « une
résistante. Pour la France, pour l’Église, pour la foi et la raison – ce couple
malmené – et donc pour la vérité ; pour la liturgie traditionnelle ».
L’Institut des Dominicaines du Saint-Esprit dirige
aujourd’hui cinq écoles et comptes une centaine de membres.
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1. Père Jean-Dominique Fabvre, le Père Roger-Thomas
Calmel, p. 150, Clovis, 672 p. 24 €
2. Voir deux numéros spéciaux qui lui ont été
consacrés : Le R.P. de Chivré, frère prêcheur. Un père spirituel pour le
XXe siècle, n° 2 des Cahiers du journal Controverses, juin 1994 et
Le Chouan de Dieu, n° 2 des Carnets spirituels, novembre 2004.
3. Cité par le père Jean-Dominique Fabre, le Père
Roger-Thomas Calmel, op. cit., p. 562.
4. Voir les trois recueils de ses écrits :
Notre-Dame de Joie, Correspondance de l’abbé Berto, NEL, 1974 (2e
éd., 1989) ; Pour la Sainte Église Romaine, Éditions du Cèdre, 1976 et Le
Cénacle et le Jardin, DMM, 416 p. 27 €.
5. Ouest-France, 27 mai 2014.