Abbé Michel Simoulin, fsspx - Le Seignadou - janvier 2015
Notre précédent Seignadou s’achevait sur une interrogation, que je me
permets de prolonger en ce début d’année : Jeunes de France, saurez-vous
consacrer votre vie à son relèvement ? Au lieu d’ambitionner des carrières
économiques, financières, techniques, etc…(il y aura toujours pour cela assez
de candidats) qui vous assureront de bien « gagner » votre vie, saurez-vous entendre l’appel de notre
supérieur de district : « Soyons généreux… on a besoin de
professeurs, de médecins catholiques, d’infirmières catholiques… » ?
Au lieu de vouloir « gagner » votre, vie saurez-vous la « donner »,
et transmettre l’héritage que vous avez reçu ? Aurez-vous l’ambition de
« servir » ? Ne serait-il pas temps de prendre quelques
résolutions en ce sens ? Et les parents sauront-ils enfin encourager leurs
enfants en ce sens ?
Il y a quelque temps un prêtre adressait une lettre à un jeune scout.
Elle est trop longue pour être citée ici, mais il invite ce jeune à considérer
le choix qui se présente à lui. Quelques extraits : « Tu es à l’âge
pivot : l’âge des choix qui font basculer vers la grandeur ou vers la lâcheté.
Et ce choix n’est pas si évident. Car il y a lutte et conflit d’intérêt […] D’un
côté, le choix d’une vie tranquille, aisée, facile, où l’on se détermine un peu
comme un "tradi-mili-fachal". On fait le pélé de Chartres, mais
souvent, on ne met pas son âme au bout de son idéal […] Et puis il y a un autre
côté : le côté de ceux qui savent que le Seigneur les attend, leur propose un
plan magnifique pour leur vie d’homme. Ils savent qu’ils sont faibles, ils
savent qu’ils sont pécheurs et que leurs tentations sont les mêmes que celles
des autres… Mais eux n’ont pas abandonné le combat. Ils désirent cette amitié
avec le Christ. Et quand ils entendent le Seigneur leur dire qu’ils sont faits pour être des saints, ils y croient de tout leur cœur et de toute leur âme […] Comment
tenir cette belle ligne de vie ? Car ce choix n’est pas à faire une seule fois,
mais c’est tous les jours que nous devons entreprendre cette grande action de
toute notre personne. Comment tenir cet engagement qui nécessite du caractère
et de la persévérance ?
La prière d’abord et avant tout ! Comme le Christ lui-même qui, dans
la nuit, « s’éloignait pour prier son Père ». C’est un besoin de revenir
souvent à la grande réalité du Ciel, à la grande réalité de notre vocation
éternelle, et de regarder souvent notre vie en face de ce que le Bon Dieu en
attend… La prière ne fait pas venir Dieu ! Elle nous rappelle que Dieu est là
et qu’il nous aime. La prière est
comme la respiration de notre âme. Notre âme a droit à l’air du Ciel
! Sinon elle étouffe.
La confession ! L’un des plus beaux cadeaux de Dieu. Car cela n’était
pas assez encore de nous délivrer de la damnation éternelle en nous rachetant
sur la Croix ! Il fallait encore nous délivrer souvent de nos erreurs
quotidiennes et de nos péchés qui, malheureusement, reviennent parfois (et
quelquefois souvent). La Confession
est la preuve absolue que Dieu nous aimera toujours plus que notre péché
puisqu’Il est prêt, par les mains de son prêtre, à nous donner encore et
toujours Sa Miséricorde.
La direction spirituelle ! L’aide d'un prêtre qui nous connaît et qui
nous encourage, qui nous conseille dans les moments difficiles (car nous ne
sommes pas des bons juges de notre propre vie). Un père en qui nous avons
confiance et qui prie pour nous et qui s’angoisse de notre Ciel. »
Le P. Jérôme, cistercien de Sept-Fonds, disait déjà : « J’aime
les cœurs qui choisissent », et il conseillait encore : « Il
faut absolument que vous assuriez un moment de prière chaque jour. Dès que
possible, tôt le matin. Mettez-vous à genoux devant une statue de la Sainte
Vierge. Il est bon de se compromettre, en face du milieu et malgré l’ambiance.
Quand on a montré ce qu’on est, on est tenu de jouer le jeu envers et contre
tout. C’est une force. » Et il ajoutait encore cette remarque si
importante : « Il est moins pénible de refuser tout retour de la
mondanité dans notre cœur que d’en tolérer une part, même petite, à côté de la
part qu’on veut sauvegarder pour Dieu ». Il est moins pénible de refuser
toute compromission avec l’esprit du monde, que d’en accepter une certaine
part, soi-disant inoffensive, et de se garder contre le progrès de cet esprit
au détriment de l’esprit chrétien, que nous voulons préserver.
Le sage Jacques Maritain, celui de sa jeunesse, allait plus
profondément encore dans ces réflexions : « A vrai dire, il s'agit
aussi de déterminer pour nous-mêmes une certaine disposition morale, et une
attitude de l'âme à l'égard de la vérité. Voulons-nous faire œuvre de pensée ?
Il faut, évidemment, savoir si notre intellect a la capacité physique requise;
mais il faut aussi savoir si nous choisissons, dès l'origine, de demeurer, en
souffrant mépris, dans la maison de la sagesse plutôt que d'habiter
honorablement dans les chaires et les académies de la science de ce monde, ou
si nous voulons, dès l'origine et par élection première, nous conformer à notre
temps, et, à supposer que nous soyons chrétiens, jouir à la fois des bienfaits
d'une piété sincère et des bienfaits de la connivence avec « l'esprit
moderne », ce qui nous inclinera, évidemment, à juger que cet esprit n'est
pas si mauvais qu'on le dit.
Un tel choix ne peut pas ne pas être fait, on ne peut pas s'y dérober,
et il est décisif, car il porte sur la fin poursuivie; et c'est une chose
redoutable de commencer sa vie intellectuelle par un péché d'esprit. J'ajoute
que c'est pour nous, en un sens, une condition fort avantageuse d'avoir les
puissances de ce monde tournées contre nous — ce qui n'était pas le cas lorsque
le monde était chrétien — car ainsi le choix se présente à nous de façon plus
franche et plus pure. » (Antimoderne. 1922)
Nous avons déjà évoqué cela avec St Augustin dans son sermon 80 sur la
prière : « Les temps sont mauvais, les temps sont difficiles,
répète-t-on partout. Vivons bien et les temps seront bons. C'est nous qui
faisons le temps; il est tel que nous sommes. …Mais que faisons-nous ?...
Pourquoi nous désoler et accuser Dieu ? Les maux se multiplient dans le monde,
pour nous préserver de l'amour du monde. Les grands hommes, les saints et les
vrais fidèles ont méprisé le monde dans son éclat; et nous ne saurions le
dédaigner dans ses tristesses ! Le monde est mauvais, oui il l'est ! Et on
l'aime comme s'il était bon ! »
Bien sûr, il faut vivre avec son temps et dans le monde tel qu’il est
aujourd’hui, mais quelle doit y être notre attitude ? Quel doit être le
principe qui guide le choix de nos activités, nos comportements, nos paroles et
nos actes ? « Comment viser au retour d'un pareil temps [celui de la
civilisation chrétienne], sans pour cela méconnaître les transformations
historiques qui nous en séparent ? […] C'est-à-dire, comment appliquer la
loi morale qui est immuable, aux forces économiques modernes, qui pour être
nouvelles, n’en sont pas moins définitivement acquises ? Tel est le
problème qui tourmente les plus nobles esprits, le souci le plus digne en effet
de chrétiens qui ne se désintéressent pas de la chose publique, parce qu’ils savent
que de l’économie terrestre des sociétés dépend, pour beaucoup de ceux qui en
sont membres « l’élargissement des voies du ciel », selon la belle
expression de Bossuet. » (René de La Tour du Pin)
Certes, il nous faut des prêtres, et de saints prêtres.
Certes, il nous faut de saints religieux et de saintes religieuses.
Mais il nous faut aussi des laïcs saintement engagés dans la vie
sociale, pour sauver et transmettre l’héritage, pour la sauvegarde de la vie humaine,
vie corporelle, intellectuelle, morale et spirituelle.
Il nous faut donc des jeunes – non pas tous, bien sûr, mais au moins
quelques-uns – qui s’investissent dans les affaires du monde, non pour y gagner
leur vie mais pour « servir », des jeunes qui se préparent à
travailler au règne de Dieu sur la terre, dans tout ce qui relève de la vie
humaine et sociale, « pour ajouter de nouveaux épisodes, plus beaux et
plus féconds que tous les précédents, aux « GESTA DEI PER FRANCOS »…
Abbé Michel Simoulin
Abbé Michel Simoulin