Notre belle église St Joseph est
enfin bénie, et St Joseph est honoré dans un sanctuaire digne de lui, qui
permettra de mieux chanter liturgiquement notre foi, notre espérance et notre
amour de son fils Notre Seigneur Jésus-Christ et de sa sainte et noble
épouse, Notre Dame Marie ! Les célébrations pascales y connaîtront un lustre
impossible jusqu’à présent, malgré toute la ferveur des participants ; et
cette ferveur en sera renforcée pour la plus grande joie de tous. Dieu est bon,
et notre gratitude doit tendre à être à la mesure de sa trop grande bonté.
Jamais nous ne lui dirons assez ce merci qu’il ne demande pas mais qu’il
mérite.
Et si nous allions passer Pâques
à Rome ?
Nous savons peut-être que c’est à
Rome, durant la Semaine Sainte 1838, que Louis Veuillot, âgé de 24 ans, s’est
« converti ». Il a raconté cela dans son « Rome et Lorette »,
et son récit est révélateur de ce que peut être l’action de la grâce de Rome
sur une âme bien disposée. Son enfance avait bien été parsemée de quelques
gestes religieux mais « pas un mot de Dieu […] Seulement, ma mère par un
reste des traditions de sa mère, voulait que j'allasse le dimanche à la messe,
où elle venait elle-même aux grandes fêtes, et m'avait appris quelques bribes
de l'Ave Maria, que je récitais le soir au pied de mon lit.
Partageant le sort des enfants du
pauvre dans ce qu'il a de plus mauvais, je n'eus point le bonheur d'aller à
l'école des frères[…]Je fus donc jeté dans cette infâme école mutuelle; […]
Cependant l'école était religieuse : nous avions régulièrement congé aux
moindres fêtes, jours où, non moins régulièrement, notre vénérable instituteur
se couchait mort ivre; et l'on nous faisait le catéchisme! Ce fut, souvenir
abominable, à la suite de cet enseignement que je fis ma première communion.
Que le crime en retombe sur d'autres têtes! Je n'ai pas à le porter tout
entier. Ils sont heureux ceux qui marchent dans la vie sous la protection des
souvenirs et des grâces de ce beau jour! On m'enleva ce bonheur. Poussé à la table
sainte par des mains ignorantes ou tout à fait impies, je m'en approchai sans
savoir à quel redoutable et saint banquet je prenais part; j'en revins avec mes
souillures, je n'y retournai plus. »
Dans le récit qu’il fit ensuite
de son retour à Dieu, ainsi que l’écrivit son neveu, François Veuillot : «
tout est vrai, rigoureusement vrai, quant aux sentiments et à l'ensemble des
faits ». La prière en commun, les larmes au tombeau de saint Pierre, le sermon
de Bourdaloue, la confession dans la cellule du P. Rosaven, et bien d'autres
épisodes, sont d'une parfaite exactitude. Mais, dans les confidences du jeune
homme, il faut discerner un long travail de conscience, antérieurement accompli
[…] plutôt qu'un effort de réflexions condensées à Rome en quelques jours.»
C’est donc à Rome que la grâce a
triomphé. Ecrivant à son frère, le 9 mai 1838, il lui confia : « J'ai
vu le Pape : c'est un solide et bon vieillard. Il nous a reçus très
gracieusement, et pour moi surtout il a été fort aimable. Quand nous l'avons
quitté, il m'a donné une petite tape sur la joue, ce qui est une très grande
faveur. »
Dans « le parfum de Rome »,
Il revient plus longuement sur cette entrevue : « Avec la superbe
d'un fils des temps nouveaux, je m'étais dit : Je verrai le Pape ! Comme
s'il se fut agi tout simplement d’un prêtre, tout au plus d'un roi, dans tous
les cas, d'un mortel. Mais, grâce à Dieu, quand j'ai monté l'escalier du
Vatican, je m'étais agenouillé, j'avais passé par le bain de la pénitence, j'y
avais laissé la superbe et la souillure des temps nouveaux.
J'étais l'homme des temps
anciens, j'étais l'homme du baptême, le fils de la vieille Église qui a précédé
tous les temps et qui remplira tous les temps, et qui, après tous les temps,
survivra pour remplir l'éternité. J'étais cet homme que Dieu a créé dans Adam
« pour connaître, aimer et servir Dieu, et conquérir la vie éternelle. »
J'étais l'héritier de cette
promesse longtemps oubliée du monde, renouvelée en vain pour tant de faux
sages, ignorée de tant de faux savants, dédaignée de tant de fausses grandeurs.
Je l'avais reçue, elle m'appartenait, et avec elle je possédais mon âme et ma
royauté. Dans la ville royale et dans la maison sainte, je ne passais pas comme
un curieux et comme un étranger.
J'étais un fils de la cité, je
pouvais, je devais aspirer à l'honneur de la défendre. Bien plus, j'étais un
fils du roi, et sur ce sol sacré, dans ce palais même, j'habitais mon
patrimoine. Je ne venais pas ici saluer un de ces hommes qui se font appeler
seigneurs parce qu'ils portent sur la tête un bandeau qui souvent les aveugle,
et que la force peut déchirer.
J'allais vers celui que Dieu a
désigné pour être la représentation vivante de la miséricorde et de la justice,
la représentation vivante du Dieu vivant; vers celui que Dieu même a orné de la
couronne toujours lumineuse qui ne roule pas sous les pieds de la sédition, qui
ne tombe pas dans les gouffres de la mort. Ô Seigneur Jésus ! il est donc
vrai, je suis catholique !
J'entrai, non pas orgueilleux,
mais fier; non pas assuré, mais tranquille; non pas tremblant, mais remué
jusqu'au fond de l'être. Je vis la robe blanche du grand vieillard. Déjà,
depuis huit ans, Grégoire portait la tiare et n'avait pas fléchi sous Je poids;
depuis huit ans sa main gouvernait dans la tempête et n'en était pas moins
prompte à se lever pour bénir.
J'oubliai le vieillard, le
docteur, le roi, l'Évêque; un titre plus auguste couronnait cette tête
vigoureuse et sereine, un titre plus doux rayonnait sur ce front resplendissant
de bonté. Je me prosternai devant l'Immortel, devant le vicaire de
Jésus-Christ, devant le vicaire de l'amour, et je l'appelai mon Père ! Et
lui, s'inclinant pour me bénir, me dit: « Figliuolo, mon enfant! »
Il ajouta quelques paroles; je
n'entendis que ce mot. Dans ce seul mot, j'avais tout entendu et tout compris.
J'étais jeune, sans état, sans fortune, sans nom; j'étais un obscur passant.
Cet accueil de tant de puissance à tant de faiblesse, la douceur de cette
majesté et la tendresse de ce sourire, me disaient quelle est la dignité du
Chrétien.
Figliuolo, mon enfant! D'un seul
bond de la pensée je parcourus toute ma vie. Je me vis à quelques années en
arrière sous les livrées de l'indigence, et, plus tard, plus pauvre, dans les
détresses de l'Ame.
Qui m'avait jamais donné ce nom
avec cet accent et ce sourire, si ce n'est mon père, et de quel autre
l'aurais-je accepté?
«Mon enfant!» Que de fois
ce mot s'est allumé soudain au fond de ma pensée, comme un flambeau qui
éclairait les choses humaines! Par ce mot, j'ai plus vite et mieux connu
l'histoire du Christianisme et l'histoire du genre humain. Avant Jésus-Christ,
avant le Pape, c'était un mot qui manquait dans le monde, et qui dans la
famille même ne possédait pas cette douceur et cette énergie. .
Je compris que Je genre humain
n'avait pas uniquement des chefs et des maîtres, mais qu'il avait aussi un
père. Je sentis la force de ce symbole du bon Pasteur, sur lequel mes yeux
s'étaient vaguement arrêtés quelques jours auparavant dans les catacombes. Le
bon Pasteur va chercher sa brebis, la dégage des épines, la rapporte sur ses
épaules.
Que de droits inébranlablement
soutenus, que de faiblesses courageusement et amoureusement protégées, et aussi
que de passions apaisées, et de révoltes calmées, et d'orgueils abattus et
guéris par l'action de cette royauté divine qui pose tendrement ses regards sur
le plus pauvre des mortels, et qui lui dit : Mon enfant!
Trois fois depuis, les désirs de
mon cœur, victorieux des embarras de la vie, m'ont ramené à Rome et au Vatican.
En Pie IX j'ai retrouvé, plus douce encore, non moins ferme, la majesté de
Grégoire. J’ai senti de nouveau ce cœur de Père, j'ai reçu de nouveau le nom de
fils. Un jour, j'ai dû demander justice: et le juge, aussi attentif que le père
s'était montré clément, a relevé mon humble droit qu'une main puissante avait
brisé.»
Un autre témoignage sur cette
grâce de Rome, et sur ce qu’était autrefois la Rome pascale, mérite quelques
citations, extraites du récit d’un pèlerin en 1950: «Parvenu à
Rome depuis quelques semaines, je fus étonné par le faste des édifices et la
beauté de la ville. Mais je suis demeuré surtout saisi par les célébrations des
Jours Saints. Le point culminant fut la messe papale de Pâques, à la basilique
Saint-Pierre du Vatican.… j’y ai perçu malgré moi le reflet de cette immense vitalité
de l'Église catholique. J’ai probablement succombé à la fierté d’appartenir à
cette grande Église.
J’y ai vu des traditions
profondément enracinées et qui témoignaient de l’ancienneté de l’Église fondée
par le Christ. Intacte est donc demeurée la joie que j’éprouvais à célébrer
Pâques au cœur de l’Église universelle.
Perché en effet sur la sedia
gestatoria pour que les fidèles souvent venus de très loin puissent
l’apercevoir, il était porté par plusieurs hommes de la noblesse en costume de
velours pourpre. Le pape bénissait la foule qui criait «Viva il Papa!». Pie
XII faisait de grands signes de croix à droite et à gauche, un léger sourire
gêné aux lèvres.
Sorti sur la Place Saint-Pierre,
je me suis mêlé à la foule de près d'un million de fidèles qui s'étendait
jusqu'au Tibre par la nouvelle Via della Conciliazione. La foule, venant de
tous les pays du monde, a chanté à l’unisson le Credo en latin, avec force et
enthousiasme, d'un seul cœur. J'avoue en avoir pleuré de joie, la poitrine
gonflée d'une grande exaltation. Il me semblait vivre, en chantant le chant
sacré du Concile de Nicée, l'unité de l'Église dont la mission est de libérer
l’humanité de l’égoïsme, des divisions et du non-sens. Jamais je n'ai revécu
deux jours aussi fantastiques.
Comment peut-on ne pas se rendre
compte combien cette Église est vraiment l'Église de Dieu ? Notre Église est à
la source de ce qui est le plus précieux dans notre civilisation exténuée par
l'athéisme, le matérialisme, le vide de l'insignifiance. J’ai vécu ce jour-là
la Résurrection.»
Il serait trop facile de comparer
tout cela avec la misère des célébrations actuelles : Le pape passe mais ne
bénit plus la foule massée sur son chemin… il salue mais il ne bénit
pas !
Gardons courage et
confiance: Jésus Christ a vaincu et notre foi sera notre victoire. Saint
et beau temps de Pâques à tous et toutes.