Séminaristes à Rome lors du pèlerinage du peuple Summorum Pontificum. |
SOURCE - Paix Liturgique - lettre 486 - 21 avril 2015
Dans notre lettre 484, nous avons rapporté le témoignage du Père Christopher Smith, curé de la paroisse du Prince de la Paix, à Taylors, en Caroline du Sud, sur son temps de séminaire à Rome, au début des années 2000. Nous publions et commentons aujourd’hui la suite de son article qui propose une réflexion intéressante sur la situation de la forme extraordinaire du rite romain dans les séminaires et la place qu'elle pourrait y prendre.
Dans notre lettre 484, nous avons rapporté le témoignage du Père Christopher Smith, curé de la paroisse du Prince de la Paix, à Taylors, en Caroline du Sud, sur son temps de séminaire à Rome, au début des années 2000. Nous publions et commentons aujourd’hui la suite de son article qui propose une réflexion intéressante sur la situation de la forme extraordinaire du rite romain dans les séminaires et la place qu'elle pourrait y prendre.
(Le texte qui suit, jusqu’au point III, correspond à la partie centrale de l’article publié le 4 mars 2015 par l’abbé Smith sur The Chant Café)
I – POURQUOI LES SÉMINAIRES CRAIGNENT LA FORME EXTRAORDINAIRE
Une question doit être posée : existe-t-il des raisons légitimes pour qu’une maison de formation sacerdotale se méfie de la forme extraordinaire ? La plupart des séminaires n’ont pas tenu compte du Motu Proprio Ecclesia Dei adflicta, figurez-vous alors s’ils ont fait une place à Summorum Pontificum ou Universæ Ecclesiæ. Au quotidien, la vie liturgique des séminaires a très peu changé après que Benoît XVI a pris ses fonctions même si, dans certaines parties du monde, les séminaristes ont fait un travail personnel admirable pour se former à l’ancienne messe. Certains séminaires offrent quelques messes par an voire une formation optionnelle à la liturgie traditionnelle, mais il n’existe, à ma connaissance, aucun séminaire diocésain où celle-ci trouve ordinairement sa place.
À leur crédit, les recteurs et les professeurs des séminaires se rendent compte qu’ils préparent leurs hommes au ministère dans une Église dans laquelle ils trouveront une diversité d’expressions liturgiques. Que le pluralisme soit toujours légitime ou pas, c’est une bonne question, mais il est un fait que les jeunes prêtres doivent pouvoir servir dans les paroisses que la Bonne Nouvelle du pape Benoît XVI n’a pas encore atteintes. Or, certains peuvent craindre qu’un choix trop prononcé pour la forme extraordinaire ne les empêche de se mettre à la portée des fidèles.
De même, on observe que plus les séminaristes sont curieux de la forme extraordinaire, plus ils se posent de questions – non seulement sur la forme elle-même, mais sur l’ensemble de la réforme liturgique. Or, ce sont des questions inconfortables et les professeurs de séminaire doivent avoir non seulement de larges connaissances pour y répondre mais aussi beaucoup de patience pour accompagner les séminaristes dans leur questionnement.
Les supérieurs des séminaires sont également réticents à diviser la communauté. Ils craignent que la promotion de la forme extraordinaire ne sépare les séminaristes, ne rompe leur esprit de fraternité et ne les amène à se constituer en cliques selon leurs préférences liturgiques ; et, surtout, que cette division ne soit amplifiée dans la vie paroissiale. Les paroisses, les presbytères et les écoles risqueraient de pâtir des intentions du clergéSummorum Pontificum de vouloir changer ce qui s’y est « toujours fait » jusqu’à ce que n’arrivent ces curés en soutane amateurs de latin.
Le personnel des séminaires est également conscient que l’enthousiasme de la jeunesse est rarement tempéré par la vertu de prudence et par la connaissance pratique qui vient de l’expérience du ministère paroissial. Un phénomène nouveau est apparu avec les séminaristes qui ont appris par eux-mêmes la forme extraordinaire. L’autodidacte connaît souvent moins de choses qu’il ne le pense et, avec les meilleures intentions du monde, agace les gens inutilement. Cela m’est revenu à l’esprit récemment alors que j’assistais dans le chœur à une messe solennelle selon la forme extraordinaire. Bien que le clergé était assis dans l’ordre requis, un séminariste a tenu à passer tout son temps à gesticuler pour indiquer aux prêtres plus âgés, qu’il devait croire ignorants en la matière, quand s’asseoir, se tenir debout, s’incliner et ôter leur barrette. Comme il se trompait souvent, j’ai passé toute la messe distrait par ses tentatives de servir de saint assistant.
Beaucoup de séminaristes ont un véritable amour de la messe ancienne, mais la tradition ne leur en a pas été communiquée de manière organique et vivante. Or, quand on essaie de ressusciter la tradition par le biais de livres, de vidéos et de système D, il y a trop de trous dans le tissu pour en faire un vêtement digne dans lequel habiller la liturgie de l’Église. En outre, comme l’expérience liturgique de la plupart des séminaristes porte plus ou moins exclusivement sur la forme ordinaire, il existe aussi une tentation incontournable de greffer une mentalité Novus Ordo sur une liturgie dont la mens est tout à fait différente.
Il y a plus de responsables de la formation des prêtres qu’on ne le pense qui ont conscience de tous ces phénomènes et se disent : « Je ne veux rien avoir à faire avec tout ça. » De même que tout bon recteur qui se respecte sait que, s’il commence à enseigner la forme extraordinaire dans son séminaire, il verra les évêques hostiles à la tradition en retirer leurs séminaristes.
II – POURQUOI LES SÉMINAIRES DEVRAIENT ACCUEILLIR LA FORME EXTRAORDINAIRE
Aucun des phénomènes ci-dessus, qui sont réels, ne devrait empêcher les séminaires d’accueillir joyeusement la forme extraordinaire dans leur vie quotidienne. Aujourd’hui, il devrait être évident pour tous qu’une part importante des hommes tentés par le séminaire sont, sinon franchement enthousiastes, du moins très rarement hostiles à la forme extraordinaire. Bien sûr, cela ne concerne pas tous les pays ni toutes les régions d’un même pays. Cependant, même là où il n’y a que peu voire pas d’intérêt du tout, il y a encore des raisons pour lesquelles les séminaires devraient accueillir la forme extraordinaire.
La première et la plus importante est que le Magistère a dit très clairement qu’il existe deux formes du même rite romain et que les deux sont égales en dignité. Si tous les prêtres de rite latin ont le droit de célébrer les deux formes, il s’ensuit que les séminaires devraient former tous les prêtres dans les deux formes.De sorte qu’ensuite ils soient prêts à répondre à la demande de ceux de leurs fidèles qui désirent la forme extraordinaire et puissent ainsi élargir leur propre horizon pastoral.
L’accueil bienveillant de la forme extraordinaire dans la vie des séminaires serait également une occasion d’apaiser les tensions qui entourent les séminaristes Summorum Pontificum. S’ils ne sont pas formés à la forme extraordinaire au séminaire, beaucoup se lanceront dans une formation parallèle personnelle qui tiendra leur esprit, leur cœur et souvent leur corps hors de l’environnement du séminaire. Lorsque des séminaristes s’engagent dans une telle formation parallèle, ils ont tendance à développer une forme de duplicité qui n’est souhaitable ni pour eux ni pour les séminaires.
[...]
III – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 – Selon le Père Smith, si « certains séminaires offrent quelques messes par an voire une formation optionnelle à la liturgie traditionnelle », il n’y a à sa connaissance « aucun séminaire diocésain où celle-ci trouve ordinairement sa place ». Ce n’est pas tout à fait exact, puisque plusieurs expériences pérennes d’intégration plus ou moins grande de la liturgie traditionnelle existent : au séminaire de Saint-Louis, l’ancien diocèse du cardinal Burke, aux États Unis ; au grand séminaire de Cracovie, en Pologne ; au séminaire de Mundelein (Université de St. Mary of the Lake), le plus important séminaire de l’archidiocèse de Chicago ; au séminaire de Haarlem-Amsterdam, aux Pays-Bas ; au séminaire de Bayonne, où est proposée une messe traditionnelle par semaine ; au séminaire de Guadalajara, au Mexique ; au séminaire de Parakou, au Bénin, dont le recteur est l'abbé Denis Le Pivain ; et surtout au séminaire de Fréjus-Toulon, qui comporte une sectionSummorum Pontificum naissante ; et, sans doute, quelques autres diocèses qui nous échappent…
Rappelons ce que disait à ce sujet l’article 21 de l’instruction Universæ Ecclesiæ : « On demande aux Ordinaires d’offrir au clergé la possibilité d’acquérir une préparation adéquate aux célébrations dans la forme extraordinaire. Cela vaut également pour les séminaires, où l’on devra pourvoir à la formation convenable des futurs prêtres par l’étude du latin, et, si les exigences pastorales le suggèrent, offrir la possibilité d’apprendre la forme extraordinaire du rite. »
2) Suivant de près la question de l’éducation à la forme traditionnelle des séminaristes et des jeunes clercs qui le désirent, nous pouvons affirmer que la question cruciale est bien celle évoquée par Universæ Ecclesiæ, à savoir l’étude du latin. Il ne fait aucun doute qu’une part importante des séminaristes désire non seulement connaître la forme extraordinaire mais aussi pouvoir la célébrer plus tard. L’obstacle majeur – pas infranchissable, mais réel – est la méconnaissance et le non usage fréquent du latin. La grande crise de l’enseignement des humanités depuis la fin des années soixante en est la cause, aggravée par une véritable répulsion qui a eu cours dans les séminaires depuis le dernier concile pour la langue de l’Église.L’apprentissage de la forme extraordinaire suppose la réintroduction sérieuse et systématique de l’étude du latin dans les séminaires. Le caractère obligatoire de cette étude, qui devrait être une évidence dans les maisons de formation de l’Église « latine », est d’ailleurs rappelé par le canon 249 du Code de Droit canonique, qui demande que les séminaristes « sachent bien la langue latine ». Volent non solum verba, sed etiam scripta…
3) Nos enquêtes annuelles sur les chiffres des séminaires montrent qu’en France la proportion du nombre des séminaristes des instituts traditionnels ne cesse de croître par rapport au nombre de séminaristes diocésains (bientôt un quart des séminaristes français seront « pour la forme extraordinaire »). Or, il existe encore des vocations de type traditionnel qui ne trouvent pas de lieu où s’intégrer, dans la mesure où elles recherchent un apostolat plus ouvert et plus paroissial que celui auquel les diocèses de France cantonnent pour l’instant les prêtres des instituts traditionnels. Il est clair qu’une ouverture des séminaires diocésains à la forme extraordinaire répondrait à cette attente. Pour l’instant, par une réaction « conservatrice » tout à fait classique, les responsables des séminaires préfèrent ne pas voir ce phénomène. Mais le réalisme, qui est ici « sens de l’Église », ne peut à la fin que l’emporter.
4) Nous sommes particulièrement sensibles à l’argument de la paix qu’invoque l'abbé Smith : « S’ils ne sont pas formés à la forme extraordinaire au séminaire, beaucoup [de séminaristes] se lanceront dans une formation parallèle personnelle qui tiendra leur esprit, leur cœur et souvent leur corps hors de l’environnement du séminaire ». Il est clair que l’esprit fraternel des séminaires diocésains et régionaux, et par voie de conséquence de l’ensemble des corps sacerdotaux des diocèses, a tout à gagner à cette coexistence paisible entre prêtres exclusivistes de la forme ordinaire ou de la forme extraordinaire et prêtres in utroque usu (biformistes), et cela dès l’époque de la formation sacerdotale.
Chaque fois qu'un séminaire donne l'occasion à ses séminaristes de mieux se familiariser avec la forme extraordinaire, il permet à ses propres séminaristes d'acquérir une expérience appréciable qui ne pourra qu'améliorer l'homogénéité du corps sacerdotal et, partant, du peuple diocésain, quelles que soient les sensibilités propres des uns et des autres. On peut toutefois, comme le fait l’abbé Smith, se demander si la liturgie traditionnelle ne gagnerait pas à être pleinement intégrée à leur formation sacerdotale et pas simplement considérée comme un « à-côté ». Pour l’équilibre et l’harmonie du diocèse, une offre normalisée de la formation à la messe traditionnelle renforcerait non seulement les liens entre futurs prêtres mais aussi le sentiment d’appartenance de ces futurs prêtres au diocèse.
5) Certes, du point de vue des autorités diocésaines, il pourrait y avoir une crainte à introduire « ordinairement » la forme extraordinaire dans les séminaires : celle de voir les futurs prêtres en demander plus et ne pas se contenter de la liturgie traditionnelle mais vouloir aussi « ce qui va avec » – la philosophie et la théologie thomistes, par exemple. Au regard de la crise des vocations, ce « risque » ne vaut il pas la peine d’être couru pour enfin former des prêtres ayant assimilé aussi bien « les éléments nouveaux » introduits par les constitutions et décrets du concile Vatican II en vue de répondre « aux transformations des temps actuels » que « les lois approuvées par l’expérience des siècles passés » comme le demandait le décret sur la formation des prêtres de Vatican II, Optatam totius Ecclesia renovationem, promulgué par Paul VI le 28 octobre 1965 ?
6) Enfin, sur un plan pratique, remarquons que les fidèles qui sollicitent leur curé pour vivre un tant soit peu leur vie chrétienne au rythme de la forme extraordinaire dans leurs paroisses se voient SOUVENT objecter la non idonéité en ce domaine des prêtres diocésains. Cet argument est associé en général à une forte méfiance vis-à-vis des prêtres extérieurs, venant par exemple des communautés Ecclesia Dei, ce qui rend presque impossible l'instauration d'une paix véritable ! La formation de prêtres diocésains aptes à remplir ce service liturgique en toute charité réglerait, partout où cet argument est exprimé en toute bonne foi, la question du sacerdos idoneus (instruction Universæ Ecclesiæ, 20-23) tout en évitant, pour ceux qui le craignent, de faire appel à des prêtres extérieurs…