SOURCE - O. Leherte - rtbf.be - 15 juin 2015
Prières quotidiennes obligatoires, prêtres en soutane, discipline et excellence: des mots clés au travers desquels se définit Sint-Ignatius. L’école privée non-subventionnée, qui doit ouvrir en septembre 2015, revendique une filiation jésuite. Mais, derrière le vocabulaire, se cache peut-être une autre réalité: celle d’une nébuleuse chrétienne ultra-conservatrice. Notre enquête révèle en tout cas des éléments troublants.Un couvent, une chapelle et un internat entourés d’un vaste jardin. Sint-Ignatius s’est installée dans un cadre verdoyant et propret à quelques dizaines de mètres de la frontière linguistique qui sépare la commune flamande d’Overijse de celle de La Hulpe. Des prêtres en soutane nous accueillent. "C’est de la laine", sourit le père Verbeeck en cette chaude journée de juin. De la laine que les pères de la Congrégation des Servi Jesu e Mariae ont décidé de porter avec fierté. Chaque dimanche, ils disent la messe en latin. Une tradition quelque peu tombée en désuétude depuis les années soixante et le concile de Vatican II.
Les élèves devront se plier à cette discipline d’un autre siècle: ils alterneront catéchisme et messe ou célébration, dès le saut du lit. Et en fin de journée, ils réciteront un chapelet (rozenhoedje, en néerlandais): cinq "Notre père" et cinquante "Je vous salue Marie".
"Non, ils ne sont pas Jésuites"
Comme son nom l’indique, l’école Sint-Ignatius revendique une filiation avec Saint Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre des Jésuites. Le père jésuite Charles Delhez, aumônier à l’Université de Namur, n’en est pas convaincu. Pourtant, il confirme que "c’est un nom typiquement jésuite effectivement. Il y a une université à Anvers, c’est Saint-Ignace par exemple, il y a une église à Rome, Saint-Ignace est le fondateur des Jésuites donc il a été largement utilisé."
De nombreux "intégristes", nous confiait un autre homme d’Église, se camouflent derrière les Jésuites. Le père Charles Delhez analyse la rhétorique utilisée sur le site web de l’école. "Il y a quelques signes sur le site: AMDG (Ad Maiorem dei gloriam), c’est la devise des Jésuites. Magis, c’est l’un des idéaux des Jésuites et cela signifie 'toujours davantage'. Ils s’inspirent aussi du ratio studiorum qui est la règle d’enseignement chez les Jésuites". Ce vocabulaire jésuite ne convainc pourtant pas le père Delhez du caractère jésuite de l’école. "C’est prendre la tradition jésuite, mais oublier que l’on a changé de siècle. On voit sur leur site que les élèves vont apprendre le catéchisme de Malines. C’est celui que j’ai appris quand j’étais petit, mais il y a de l’eau qui a coulé sous les ponts depuis lors…" Même réflexion concernant la messe en latin, où les hommes d’église tournent le dos au peuple.
En faisant visiter les locaux de Sint-Ignatius, le père Verbeken avait cité la Brussels International Catholic School comme un exemple d’école catholique privée semblable à la sienne.
Une école où les enfants portent l’uniforme et où la discipline est de mise. Un professeur de cette école nous a expliqué qu’au-delà de la discipline, c’était une véritable "pédagogie de la peur" que le Chanoine Hudson faisait régner dans l’école, brandissant sans état d’âme, devant les jeunes élèves, la menace de brûler en enfer s’ils ne faisaient pas ce que l'on attendait d’eux. Quant à la théorie de l’évolution, il était interdit de l’évoquer en classe: l’homo sapiens ou même les dinosaures ne pouvaient être mentionnés.
Des écoles "tendance"
Cécile Vanderpelen, spécialiste du catholicisme à l’ULB n’est pas étonnée par la création de cette école. "C’est une tendance qu’on observe partout en Europe, un mouvement de mobilisation pour un retour à un catholicisme plus ancien, un catholicisme d’identité. Depuis une dizaine d’années, on voit se créer plein d’écoles de ce type en France. Ça pullule. Finalement, la Belgique c’était attendu, voire prévisible". Ces écoles souhaitent défendre une identité catholique perçue comme étant "en danger". " Ils veulent un enseignement homogène et non-mixte".
En France la mobilisation a pris vigueur suite aux débats sur le Pacs (pacte civil de solidarité) puis sur le mariage homosexuel. "On estime qu’il y a en France plus de 30 000 familles engagées dans les manifestations, dans le scoutisme, dans les associations de parents". Cette mobilisation est tellement forte qu’elle a fait l’objet d’un colloque au mois de novembre : "Le catholicisme d’identité. Approches historiques et sociologiques." "Et avec les manifs pour tous (un mouvement qui a mobilisé en masse contre le mariage homosexuel, NDLR), qui ont eu un retentissement international, ils ont réussi à mobiliser ailleurs en Europe".
Une école au sein d’un réseau traditionaliste
Le numéro de compte sur lequel la direction de l’école invite à verser des dons pour soutenir le projet est étrangement le même que celui d’une association "Stopchristenvervolging" qui lutte contre la persécution des chrétiens.
Selon son site internet, l'équipe de l’association compte dans ses rangs: Yves Pernet responsable du Service d’ordre et logistique, Fernando Pauwels, Erik Goris et Dries Goethals. Selon le webzine Doorbraak, Fernando Pauwels a été licencié par la KUL pour avoir tenu des propos religieusement tellement extrêmes que l’université a estimé qu’ils portaient atteinte à sa crédibilité de chercheur. Erik Goris était le rédacteur en chef de la partie flamande de la revue catholique ultra-conservatrice Catholica et président du Forum Laïc Catholique romain, auteur notamment d’un lobbying assumé auprès des évêques de Belgique pour que l’enseignement catholique retrouve "son identité catholique".
Quant à Yves Pernet, c’est du côté de l’extrême droite qu’on lui trouve des casseroles : il est décrit comme un ancien militant et collaborateur du Vlaams Belang, de Rechts Actueel - site internet qui livre des informations issues de la droite nationaliste flamande et néerlandaise - et du Voorpost, un groupe d'extrême-droite ultranationaliste flamingant.
Un numéro de compet partagé par d'autres institutions ultra-catholiques
Ce même numéro de compte que l’on retrouve déjà dans deux associations était aussi renseigné sur la couverture arrière de la revue Catholica, dont une pile d’exemplaires était disposée sur le comptoir du réfectoire de l’école. Dans l’exemplaire du mois de mai 2014, figure un article contre la théorie de l’évolution, on l’on peut notamment lire qu’"il est évident que la théorie de l’évolution est un non-sens, même si elle est partout présentée comme indubitable d’un point de vie scientifique et que ses opposants sont perçus comme des idiots".
Un terreau anversois
Enfin, plusieurs personnes au sein de ce réseau sont originaires d’Anvers, à commencer par Kris Clauw, le mari de la directrice de Sint-Ignatius, qui a présenté l’école aux parents lors des portes-ouvertes de ce dimanche 14 juin. Kris Clauw a été président de l’Association des étudiants catholiques anversois pendant trois ans.
Cette association a fait parler d'elle très récemment en critiquant vivement les propos de l’évêque d’Anvers, jugés trop progressistes. L’évêque Johan Bonny avait estimé qu’il ne fallait pas exclure les homosexuels de l’Église. C’en était manifestement trop pour l’Association des étudiants catholiques anversois, présidée par Wouter Jambon, le fils du ministre de l’Intérieur. Elle s’était fendue d’un communiqué où elle accusait l’évêque d’avoir franchi une limite morale.
L’école annonce par ailleurs qu’un bus fera la navette entre Anvers et Overijse pour amener les élèves. Cela laisse supposer que certains élèves issus des milieux chrétiens ultra-conservateurs anversois sont déjà inscrits.
L'école compte obtenir sa reconnaissance par la Communauté flamande dans les semaines à venir et espère une petite dizaine d'élèves inscrits pour démarrer ses deux classes de première et deuxième secondaire, dès le mois de septembre 2015.
O. Leherte