SOURCE - Minute - 8 juillet 2015
L’abbé Coiffet ? Quel drôle de
curé dans sa soutane. Toujours la gitane à la bouche et le verre à la main. La
faconde et le langage fleuri: « Ta gueule, mon pote! » Mille histoires à
raconter. Souvent invraisemblables et toujours cocasses. Une voix érayée et un
coffre pour la faire jaillir. Le sens de l’amitié et de la bonne vie.
Intraitable avec le péché mais tellement indulgent avec le pécheur. Défenseur
de la morale sans jamais être moralisateur. Grande gueule au cœur d’enfant.
Constamment au volant de sa voiture à parcourir les routes de France. Pour un
baptême. Un mariage. Un enterrement. Voir l’abbé Coiffet ? Naturellement. Mais
surtout l’entendre.
Le sermon du prêtre est parfois
l’objet de railleries. Trop long. Incompréhensible. Soporifique. L’abbé Coiffet
échappait à la règle, la nature l’avait doté d’un talent oratoire exceptionnel.
A l’image de Tixier-Vignancour qui fut sans doute le seul avocat à s’entendre
dire par un président de tribunal: « Je vous en prie, Maître, faites long… »,
l’abbé Coiffet entendait sans doute, lorsqu’il commençait son sermon, le
murmure de ses fidèles: « Nous vous en prions, Monsieur l’abbé, ne vous arrêtez
pas». Plus qu’un sermon, une plaidoirie! Pour Dieu et pour l’Église.
Alors qu’il improvisait toujours
face à son auditoire, il ne manquait jamais aucun élément pour un grand moment
d’éloquence. Syntaxe et élocution parfaites. Sens de la formule. Émotion.
Culture classique. Conclusion en forme d’apothéose. Les fidèles étaient
secoués. Remués au plus profond d’eux-mêmes. L’abbé Coiffet ou un monstre sacré
comme l’Église en a le secret
1972. L’Église est en pleine
tourmente. Le concile Vatican II, sans le savoir, a ouvert les vannes. La
barque de Pierre prend l’eau de toute part. Le pape Paul VI l’a admis: « La
fumée de Satan est entrée dans l’Église. » Denis Coiffet a vingt ans. Il veut
devenir prêtre. Les séminaires français ne sont plus qu’un champ de ruines. Il
choisit donc celui d’Ecône, fondé deux ans auparavant par Monseigneur Lefebvre
pour sauvegarder la formation et la sanctification des prêtres dans le cadre de
la liturgie traditionnelle du rite romain. Il est ordonné prêtre en 1977 avant
d’être nommé responsable de la paroisse de Saint-Martin de Bréthencourt, dans
les Yvelines, desservie par la Fraternité Saint-Pie X.
L’année 1983
marque un premier tournant. A l’initiative du Centre Charlier de Bernard
Antony, des centaines de pèlerins décident, à l’image de Charles Péguy, de
rallier Paris à Chartres lors de la Pentecôte. Le pèlerinage de Chartres est
né. L’abbé Coiffet est de l’aventure. Pendant vingt-cinq ans, il sera
l’aumônier des chapitres enfants.
1988 ou l’année terrible.
Monseigneur Lefebvre consacre quatre évêques sans mandat pontifical. L’abbé
Coiffet, malgré toute l’affection qu’il a pour « le patron », ne l’accepte pas.
Une page se tourne. Une autre s’ouvre. Une page blanche sur laquelle tout reste
à écrire.
Avec plusieurs prêtres ayant
quitté la Fraternité Saint-Pie X, il se rend à Rome. Jean Paul II les
accueille: « Voici les prêtres qui me sont restés fidèles ». L’accord que
le Vatican a proposé à Monseigneur Lefebvre et que celui-ci a finalement
refusé, l’abbé Coiffet et ses confrères vont l’accepter. Un accord fondé sur
une double fidélité, à Rome et à la Tradition.
La Fraternité Saint-Pierre est
née. Sur le papier, elle existe. Sur le terrain, tout est à construire. Les
séminaristes à former. Les maisons à ouvrir. La réticence des évêques à
vaincre. Les crises de croissance à gérer. Ce sera l’œuvre de l’abbé Coiffet à
la tête du district de France de 1988 à 1994, puis de 1998 à 2000. Un quart de
siècle s’est écoulé. La Fraternité compte près de 250 prêtres et 154
séminaristes répartis dans le monde à travers 117 diocèses. Depuis quinze ans,
l’abbé Coiffet était redevenu simple prêtre dans ses différents apostolats de
Nantes et de Bordeaux. Toujours égal à lui-même. En permanence sur les routes.
Des dizaines de milliers de kilomètres au compteur. Le matin à Chartres. Le
soir à Lyon. Le lendemain à Nantes. Jusqu’à ce que la maladie le rattrape. Il a
fini par lever le pied. Très tard. Trop tard.
La maladie présente, il s’est
mis à rêver de repos dans une paroisse de Bretagne. La vie terrestre ne lui en
n’a pas laissé le temps. Il a vécu ses neuf derniers mois sur un lit d’hôpital.
Une lente agonie. Des souffrances qu’il a offertes à l’Eglise et aux hommes
comme Jean Paul II dix ans auparavant. Avec force et courage. Habité par la
certitude, comme il l’écrivait en 1992 aux pèlerins de Chartres, « qu’au bout
du tunnel, il y a l’aube de la Résurrection ».