SOURCE - Abbé Chautard, fsspx (recteur) - Lettre aux parents, amis et bienfaiteurs de l'Institut Saint-Pie X - été 2015
Chers parents, bienfaiteurs et amis,
Chers parents, bienfaiteurs et amis,
L'actualité du projet de loi de Mme Najat Belkacem, prévoyant de noyer l'enseignement du latin et du grec dans des enseignements interdisciplinaires, a ramené pour quelque temps les langues anciennes au-devant de l'actualité. C'est toute la question de la finalité de cet enseignement qui est posée.
Aussi voudrions-nous profiter de cette lettre pour rappeler, non pas tous les motifs, mais quelques-unes des raisons qui nous engagent à défendre et promouvoir l'enseignement du latin et du grec.
On entend, ici ou là, parler de la connaissance étymologique que fournit le latin, d'une meilleure connaissance de la langue française qui en est le fruit, d'une gymnastique de l'esprit. Tout cela est exact, mais n'est pas l'essentiel.
Les présupposés et les conséquences de cette réforme sont bien plus profonds. Il y va de la conception même de la science, de l'éducation, de l'homme et même de Dieu.
A quoi sert le latin ?
Ainsi est posé le problème par de nombreuses voix qui s'opposent à cette réforme. Cette manière de formuler la question est déjà fausse car on place le problème sous l'angle de l'utilité comme si c'était une évidence qu'une discipline dût être apprise à condition d'être utile. Or, rien n'est moins sûr.
Les Anciens distinguaient avec sagesse les arts libéraux des arts serviles, c'est-àdire les disciplines qui sont étudiées pour elles-mêmes, des arts, techniques et sciences qui sont étudiés pour un usage pratique, utilitaire. Ainsi, l'architecture est-elle étudiée en vue de la construction d'une habitation tandis que la philosophie est d'abord étudiée pour elle-même, pour connaître la vérité, avant d'être une lumière utile pour l'existence.
Dans l'Antiquité, les sophistes se sont fait remarquer par leur conception utilitaire de la science. La connaissance, l'art du langage, l'art de l'écriture n'étaient plus étudiés pour eux-mêmes mais pour leur fonction pratique, pour leur efficacité. La science fut asservie à leurs intérêts immédiats.
La réforme Belkacem – sans l'élégance langagière des sophistes – participe du même esprit et nombre de ses opposants n'arrivent pas à sortir de cette fausse problématique utilitaire, faute de Socrate contemporain.
Quelle éducation…
A vrai dire, c'est tout le concept de l'éducation moderne qui se retrouve dans cette réforme. Il ne s'agit plus tant de donner la vérité à des esprits et de structurer des intelligences que de former le comportement des parfaits citoyens démocrates et mondialistes de demain en leur procurant le savoirfaire à défaut d'un savoir. Exit la connaissance gratuite d'une vérité aimée pour elle-même et non pour son utilité immédiatement pratique. « Je hais les livres » disait Rousseau, voulant pour l'éducation des enfants (cf. de l'Émile) et des peuples (cf. Le Contrat social) non la science des choses mais du comportement.
…pour quel homme ?
À conception nouvelle de la science, conception nouvelle de l'éducation, mais à conception nouvelle de l'éducation, conception nouvelle de l'homme. L'homme n'est plus un animal raisonnable dont la finalité première est contemplative, dont la faculté maîtresse est l'intelligence. L'homme est désormais un animal démocratique, productif et consommateur. Philosophie libérale et philosophie marxiste se conjuguent pour revendiquer un homme coupé de toute vie contemplative.
Coupé de Dieu
La conséquence est importante. Qu'on le veuille ou non, cette nouvelle conception utilitariste de la science et de l'éducation, cette vision pratique et praxiste de l'homme est à l'opposé du message évangélique : « la vie éternelle, c'est de vous connaître, vous le seul vrai Dieu et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ». Ce nouvel arbre de la science qu'a planté l'homme moderne exclut toute contemplation de Dieu. Cette éducation moderne abaisse le regard de l'homme vers la matière et la vie de ce monde là où elle devrait donner à l'homme le goût de la vérité qui conduit à La Vérité, comme nous nous efforçons à l'Institut de le communiquer.
Abbé François-Marie Chautard, Recteur