SOURCE - Paix Liturgique - lettre 504 - 11 août 2015
L'été dernier, nous avons publié, en exclusivité, l'essentiel de la préface donnée par le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, à la thèse en droit canon publiée par le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d'interprétation du motu proprio Summorum Pontificum.
L'été dernier, nous avons publié, en exclusivité, l'essentiel de la préface donnée par le cardinal Cañizares, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, à la thèse en droit canon publiée par le père Alberto Soria Jiménez, un bénédictin espagnol, sur les principes d'interprétation du motu proprio Summorum Pontificum.
Dans la première partie de cette préface (notre lettre 448), le prédécesseur du cardinal Sarah au Culte divin commentait le propos de l'ouvrage du père Soria et soulignait l'originalité de son approche. Dans la deuxième partie (notre lettre 449), le cardinal Cañizares répondait efficacement à une série d'objections soulevées contre le motu proprio par ceux qui se prétendent les gardiens « de l'esprit du Concile ». Dans cette troisième et dernière partie, le cardinal Cañizares livre son point de vue personnel sur l'impératif de la réconciliation liturgique, notamment à la lueur de l'enseignement de Joseph Ratzinger, comme cardinal et comme pape. Un texte dense et important.
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[…]
Puisque nous croyons que cette réconciliation liturgique est un besoin urgent qui précède l'évangélisation et l'œcuménisme, je voudrais m'arrêter sur cet aspect et réfléchir à ses implications.
Comme l'a dit Benoît XVI dans sa lettre aux évêques du 10 mars 2009 à l'occasion de la levée des excommunications aux évêques ordonnés par Mgr Lefebvre : « Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible : c’est la priorité suprême et fondamentale de l’Église et du Successeur de Pierre aujourd’hui. D’où découle, comme conséquence logique, que nous devons avoir à cœur l’unité des croyants. En effet, leur discorde, leur opposition interne met en doute la crédibilité de ce qu’ils disent de Dieu. »
Ces mots rappellent, comme Benoît XVI l'a répété à plusieurs reprises, lui qui avait pris « comme premier engagement de travailler sans épargner ses forces à la reconstruction de l'unité pleine et visible de tous les fidèles du Christ », que « le défi de la nouvelle évangélisation interpelle l’Église universelle et nous demande de poursuivre avec application la recherche de la pleine unité entre les chrétiens ».
IMPORTANCE DE LA LITURGIE
Cette recherche, qui nous concerne tous également, passe aussi partie les petites et moyennes réconciliations qui regardent la liturgie, comme Benoît XVI l'a rappelé dans sa lettre aux évêques de 2009 puisque, comme il l'indiquait déjà quand il était cardinal : « Derrière les différentes façons de concevoir la liturgie il y a, comme d'habitude, des compréhensions différentes de l’Église et donc de Dieu et de la relation de l'homme avec Lui. Le thème de la liturgie n'est en aucune manière marginal, c'est le concile qui nous a rappelé que nous touchons ici au cœur de la foi chrétienne ». Plus récemment, lors des visites ad limina des évêques du Brésil, il a précisé sa vision : « le centre et la source permanente du ministère pétrinien résident dans l'Eucharistie, cœur de la vie chrétienne, source et sommet de la mission évangélisatrice de l’Église. Vous pouvez ainsi comprendre la préoccupation du Successeur de Pierre pour tout ce qui peut obscurcir le point le plus original de la foi catholique : aujourd'hui, Jésus Christ continue d'être vivant et réellement présent dans l'hostie et dans la coupe consacrées ».
C'est dans ce contexte, brièvement esquissé, que se situent Summorum Pontificum et Quaerit semper. Comme l'explique Benoît XVI, à propos du premier de ces deux documents, la mise à jour des dispositions prises en 1988 quant à l'utilisation du Missel romain de 1962 vise à « amener une réconciliation dans l'Église ». Cette réconciliation implique, comme point de départ, d'admettre la possibilité de différentes actions liturgiques, tant qu'elles répondent au mandat biblique et expriment la même foi dans la fidélité à la tradition vivante de l'Église. Car, comme le dit le Catéchisme de l'Église Catholique, les formes orthodoxes d'un rite sont des réalités vivantes, nées du dialogue d'amour entre l'Église et son Seigneur. Elles sont l'expression de la vie de l'Église, où se concentrent la foi, la prière et la vie même des générations et où s'incarnent de façon concrète et simultanément temps, l'action de Dieu et la réponse de l'homme.
UNE PERSPECTIVE CHARITABLE
Si nous partons de ce principe, on comprend que le concile n'ait pas interdit ou supprimé les textes liturgiques antérieurs à la réforme qui, comme ceux actuels, rendent possible la liturgie, « vie commune entre Dieu et les hommes, par laquelle les hommes deviennent une seule chose ensemble, parce qu'ils ont atteint l'union avec Dieu dans le Christ » selon les mots de Louis Bouyer. En fait, une liturgie orthodoxe, au sens de liturgie comme expression de la vraie foi, ne peut jamais se réduire à une simple collection de cérémonies décidées sur la base de critères pragmatiques mais dont on pourrait disposer de façon arbitraire.
La vision conciliaire de la liturgie implique une perspective charitable qui dépasse les préjugés et ne retient aucune forme supérieure à l'autre comme réponse à une présumée crise pré ou post-conciliaire. « Tout cela signifie que, pour la réforme de la liturgie, une grande capacité de tolérance au sein de l'Église est nécessaire, une tolérance qui dans ce domaine est le simple équivalent de la charité chrétienne. Le fait que cette tolérance fasse souvent défaut est le signe de la crise du renouveau liturgique parmi nous. (...) Parce que le culte le plus authentique du christianisme est l'amour. » (Ratzinger, Le nouveau Peuple de Dieu). Il faut être conscient que « la richesse insondable du Mystère du Christ est telle qu’aucune tradition liturgique ne peut en épuiser l’expression » (CEC, 1201), ce qui signifie que « les deux formes du rite romain peuvent s'enrichir réciproquement », comme le suggère la lettre aux évêques accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum.
Naturellement, la nécessaire fidélité au concile, qui fixe les principes et les règles de base que tous les textes doivent respecter, est atteinte lorsque les critères essentiels de la constitution Sacrosanctum Concilium sont mis en œuvre pendant la célébration liturgique, que l'on use les textes réformés ou ceux antérieurs à la réforme comme expliqué ci-dessus. À cet égard, le cardinal Ratzinger a déclaré à l'occasion du dixième anniversaire du motu proprio Ecclesia Dei : « Voilà pourquoi il est si important d'observer les critères essentiels de la constitution sur la liturgie, même quand on célèbre selon le missel ancien ! Au moment où cette liturgie touche vraiment les fidèles par sa beauté et sa profondeur, alors elle sera aimée et ne sera pas en opposition inconciliable avec la liturgie nouvelle, pourvu que ces critères soient appliqués comme le concile l'a voulu. » Les textes conciliaires, lus de manière appropriée, sont des textes qualifiés et normatifs du magistère, à l'intérieur de la tradition de l'Église, telle qu'elle est exprimée dans le motu proprio Porta fidei (§5).
En effet, comme l'a rappelé le pape dans la lettre aux évêques accompagnant le motu proprio, « pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l'usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L'exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. »
DE LA DIVERSITÉ LITURGIQUE
De toute évidence différentes sensibilités spirituelles et théologiques continueront d'exister, mais elles ne seront pas considérés comme deux manières opposées d'être chrétien; plutôt comme le patrimoine d'une seule et même foi. La diversité liturgique qu'apportent les deux formes du rite romain est une source d'enrichissement, parce qu'elle s'exprime dans la fidélité à la foi commune, aux sacrements que l'Église a reçu du Christ et à la communion hiérarchique.
En fait, si de la coexistence de ces deux formes de célébration émerge clairement l'unité de la foi et l'unité du mystère, cela ne pourra qu'être un motif de joie profonde et de gratitude. Donc, plus on vivra la liturgie, dans la spécificité de chacune de ses formes à leur façon, avec une grande ouverture de cœur qui dépasse les exclusives et les préjugés, plus il sera possible de vivre « l'unité dans la foi, la liberté dans les rites et la charité en tout ».
Ainsi, la réalisation « pratique » de cette réconciliation dans l’Église est nécessaire pour poursuivre de manière crédible, le chemin de l'évangélisation et de œcuménisme. D'où sa capitale importance. Notre discorde, notre opposition interne, comme mentionné plus haut en citant Benoît XVI, remet en question la crédibilité de notre discours sur Dieu. Nous devons donc faire tout notre possible pour préserver et conquérir la réconciliation et l'unité. Comme l'a dit Jean-Paul II : « il est urgent partout de refaire le tissu chrétien de la société humaine. Mais la condition est que se refasse le tissu chrétien des communautés ecclésiales elles-mêmes qui vivent dans ces pays et ces nations » (Christifideles laici, 34).
DEUX CHEMINS VERS L'UNITÉ
À mon avis, le Saint-Père ouvre deux chemins complémentaires qui convergent vers un objectif commun : que tous ceux qui désirent réellement l'unité puissent d'une part s'y maintenir et, de l'autre, la retrouver.
Un premier itinéraire vise à conserver, garantir et assurer à tous les fidèles qui le demandent, l'usage du précieux trésor que représente la liturgie romaine dans l'usus antiquior. Dans ces célébrations, il est nécessaire, comme indiqué ci-dessus, de prendre en compte les critères essentiels de la constitution Sacrosanctum Concilium, tels que le concile les entendait, c'est à dire sans ruptures artificielles comme le recommande l'exhortation apostolique post-synodale Sacramentum Caritatis (§3). Un rôle clé dans ce premier chemin vers la réconciliation est joué par la mise en œuvre adéquate et concrète de l'instruction Universae Ecclesiae, approuvé par le pape le 8 avril 2011.
Le second itinéraire qui mène à la réconciliation souhaitée est celui de tous ceux qui utilisent le missel publié par Paul VI et plusieurs fois réédité depuis qui, comme le dit la lettre aux évêques accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum : « est et demeure évidemment la forme normale – la forma ordinaria – de la liturgie eucharistique ». Dans ce si vif désir de la réconciliation au sein de l’Église, cette seconde voie joue un rôle prépondérant puisque c'est celle empruntée par le plus grand nombre de fidèles.
Comme le souligne le pape dans cette lettre: « La meilleure garantie pour que le missel de Paul VI puisse unir les communautés paroissiales et être aimé de leur part est de célébrer avec beaucoup de révérence et en conformité avec les prescriptions; c’est ce qui rend visible la richesse spirituelle et la profondeur théologique de ce missel. »
En outre, comme Benoît XVI le rappelle dans cette même lettre, on ne peut pas nier qu'il y a eu des difficultés et des abus tout au long de la réforme liturgique et, malheureusement, encore maintenant : « en de nombreux endroits on ne célébrait pas fidèlement selon les prescriptions du nouveau missel; au contraire, celui-ci finissait par être interprété comme une autorisation, voire même une obligation de créativité; cette créativité a souvent porté à des déformations de la liturgie à la limite du supportable. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aussi cette période, avec toutes ses attentes et ses confusions. Et j’ai constaté combien les déformations arbitraires de la liturgie ont profondément blessé des personnes qui étaient totalement enracinées dans la foi de l’Église ».
CENTRALITÉ DU MYSTÈRE PASCAL
Jean-Paul II aussi, des années auparavant, s'était exprimé en ce sens : « je voudrais demander pardon - en mon nom et en votre nom à tous, vénérés et chers frères dans l'épiscopat - pour tout ce qui, en raison de quelque faiblesse humaine, impatience, négligence que ce soit, par suite également d'une application parfois partielle, unilatérale, erronée des prescriptions du Concile Vatican II, peut avoir suscité scandale et malaise au sujet de l'interprétation de la doctrine et de la vénération qui est due à ce grand sacrement. Et je prie le Seigneur Jésus afin que désormais, dans notre façon de traiter ce mystère sacré, soit évité ce qui peut affaiblir ou désorienter d'une manière quelconque le sens du respect et de l'amour chez nos fidèles. » (lettre Dominicae Cenae, 12). Ces lignes donnent tout leur sens aux mots de Benoît XVI dans sa lettre aux évêques : « Dans la célébration de la Messe selon le missel de Paul VI, pourra être manifestée de façon plus forte que cela ne l’a été souvent fait jusqu’à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers le rite ancien. »
Un moyen privilégié pour les prêtres et les fidèles de répondre à ce désir du Saint-Père est de découvrir les « richesses qui conservent et qui expriment la foi et le chemin du peuple de Dieu au long des deux millénaires de son histoire », contenues dans la Présentation générale du Missel romain et la Présentation du Lectionnaire de la Messe (Sacramentum Caritatis, 40).
Toutefois, on ne peut pas prendre pour acquis que l'on connaît et que l'on apprécie toutes les richesse liturgiques et pastorales que ces textes contiennent. Aussi est-il encore plus nécessaire que jamais d'augmenter la vie liturgique par une formation appropriée des ministres et des fidèles. « Il est donc nécessaire et il convient tout à fait d'entreprendre à nouveau une éducation intensive pour faire découvrir les richesses que contient la liturgie actuelle » écrit Jean-Paul II dans sa lettre Dominicae Cenae (§9). La liturgie va au-delà de la réforme liturgique comme l'a dit ce pape dans sa lettre apostolique Vicesimus Quintus Annus (§14) et comme l'a rappelé Benoît XVI pour le cinquantième anniversaire de la fondation de l'Institut pontifical liturgique, le 6 mai 2011.
Souvent, on a prêté trop d'attention à des choses purement pratiques en risquant de perdre de vue l'élément central : le mystère pascal. Il est essentiel de reprendre cette orientation comme critère de renouvellement et donc d'approfondir ce que le concile n'avait pu qu'esquisser dans Sacrosanctum Concilium, 5-7. À ce propos, le cardinal Ratzinger a dit que « la plupart des problèmes liés à la mise en œuvre pratique de la réforme liturgique sont dus au fait qu'on n'a pas suffisamment gardé à l'esprit que le point de départ est le mystère pascal ». Faut-il rappeler que l'objectif de la réforme « n’était pas principalement celui de changer les rites et les textes, mais plutôt celui de renouveler la mentalité et de placer au centre de la vie chrétienne et de la pastorale la célébration du Mystère pascal » ? (Benoît XVI, discours pour le cinquantième anniversaire de la fondation de l'Institut pontifical liturgique)
La Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, sous la responsabilité de laquelle a été placée tout ce qui touche à la liturgie et qui a pour charge de la réglementer et de la promouvoir, comme l'a ordonné Jean-Paul II dans la constitution apostolique Pastor Bonus (§62), a reçu par le motu proprio Quaerit semper du 30 août 2011 une orientation décisive à sa mission, celle de se consacrer « principalement à donner une nouvelle impulsion à la promotion de la sainte liturgie dans l’Église, selon le renouveau voulu par le Concile Vatican II, à partir de la constitution Sacrosanctum Concilium ».
Cette promotion de la liturgie est, à son tour, étroitement liée à la foi, de sorte que Benoît XVI pouvait dire, lors de la préparation de l'Année de la Foi 2012-2013, que c'était « une occasion propice pour intensifier célébration de la foi dans la liturgie, et en particulier dans l'Eucharistie, qui est le sommet auquel tend l'action de l'Église, et en même temps la source d'où découle toute sa force. Redécouvrir les contenus de la foi professée, célébrée, vécue et priée, et réfléchir sur l'acte lui-même par lequel on croit, est un engagement que chaque croyant doit faire sien. » (Porta fidei, 9)
Nous confions à la Mère de Dieu, la période de grâces que nous vivons. Elle nous conduit à son Fils, auquel nous pouvons faire confiance. C'est Lui qui nous guidera, même dans des temps troublés, pour retrouver le chemin de la foi et illuminer toujours plus clairement la joie et l'enthousiasme renouvelé de notre rencontre avec le Christ. Ce livre du père Alberto Soria, OSB, y contribuera également utilement en ce qu'il fournit un service important à la réconciliation liturgique et, par conséquent, à la nouvelle évangélisation et à l'unité toujours plus grande, réelle et effective au sein de l'Église. J'adresse encore une fois mes plus chaleureuses félicitations et tous mes remerciements à l'auteur pour cette œuvre magnifique, pour ce grand service si digne d'un fils de saint Benoît.
Antonio Cañizares Llovera
Cardinal Préfet de la Congrégation pourle Culte divin
et la Discipline des Sacrements
Rome, 25 juillet 2013
En la fête de saint Jacques le Majeur, patron de l'Espagne