SOURCE - Paix Liturgique - lettre 511 - 29 septembre 2015
« La communion dans la main au cœur de la crise de l'Église ? » C'était le sous-titre de Corpus Christi, le livre de Mgr Athanasius Schneider publié l'an dernier aux éditions Contretemps (diffusion Renaissance catholique) et c'est aujourd'hui l'une des convictions exposées par le père Paul Cocard dans son ouvrage La communion sur les lévres, une pratique qui s’impose, préfacé par l’abbé Claude Barthe aux éditions DMM.
« La communion dans la main au cœur de la crise de l'Église ? » C'était le sous-titre de Corpus Christi, le livre de Mgr Athanasius Schneider publié l'an dernier aux éditions Contretemps (diffusion Renaissance catholique) et c'est aujourd'hui l'une des convictions exposées par le père Paul Cocard dans son ouvrage La communion sur les lévres, une pratique qui s’impose, préfacé par l’abbé Claude Barthe aux éditions DMM.
Religieux de la Communauté de Saint-Jean (les « Petits gris »), le père Cocard, qui a travaillé au Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, met notamment en perspective la question de l'abandon de la communion traditionnelle au sein d'une société multi-religieuse. Il rapporte dans son livre cette réflexion attribuée à un musulman : « Si je croyais à l’Eucharistie, c’est en rampant sur le sol de l’église jusqu’au pied du tabernacle que je m’avancerai pour adorer le Corps du Christ ».
Le P. Cocard souligne les enjeux de cette question, du fait du rapport entre la foi, exprimée et transmise, et la liturgie : l’affaiblissement que constitue la communion dans la main dans l’ordre de la révérence vis-à-vis de la présence réelle dans l’eucharistie ne peut qu’être lourd de conséquence.
Surtout, il montre ici comment la communion dans la main – à l'origine une exception qui n'est que le fruit d'un indult – est devenue une règle et s'interroge sur ce que cela révèle de la compréhension que l'Église a aujourd'hui à la fois du mystère eucharistique et de l'exercice de son autorité. Car, dans ce phénomène classique de rupture, l’abstention de ceux qui détiennent l’autorité et qui pourraient agir, comme le montre le P. Cocard dans son livre, est déterminante.
NOTRE ENTRETIEN AVEC LE PÈRE COCARD
PL : Mon Père, plusieurs livres ont été publiés à propos de la communion sur les lèvres. Vous avez cependant estimé qu’il fallait revenir sur le sujet. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
P. Cocard – Les ouvrages publiés par Mgr Rodolfo Laise et Mgr Athanasius Schneider demeurent fondamentaux et irremplaçables. Par ailleurs, ils se complètent. Mgr Rodolfo Laise a rappelé, à l’aide du droit canon et des textes du magistère, qu’un évêque pouvait continuer de maintenir la règle traditionnelle et donc interdire la communion dans la main dans son diocèse, malgré la décision de la Conférence épiscopale. Mgr Schneider s’est fait le chantre de la communion sur la langue, en s’appuyant sur la Foi des premiers chrétiens, des textes des Pères et des saints de l’Église, en attirant l’attention sur le respect dû à l’Eucharistie et sur l’abaissement et l’immense pauvreté du Christ dans ce sacrement.
Le mien est inspiré par le contexte français. Il insiste sur la nécessité de la pratique. Si un lobby progressiste, dans les années cinquante et soixante surtout, a combattu pour faire passer et généraliser la communion dans la main, nous devons faire preuve de la même détermination pour sa réception à genoux et sur la langue, au nom de la Foi et de l’adoration intérieure et extérieure dues à Jésus-Eucharistie de la part de tous les catholiques!
Il est capital de montrer que la pratique de la communion dans la main est au regard de la Foi catholique un non-sens. Elle est devenue un geste qui mine la Foi dans l’Eucharistie. Il la ramène et la réduit progressivement à une conception protestante de ce sacrement.
PL : Vous insistez sur le fait que la communion dans la main, introduite comme une exception, est devenue la règle. Quelles ont été les grandes étapes du processus ?
P. Cocard – Première étape : La pratique sauvage, pratiquée dans des petits groupes, en Hollande, Belgique, Allemagne et France, au nom d’un soi-disant retour à la pratique primitive, dénoncée par Pie XII, comme de « l’archéologisme liturgique » (Mediator Dei, 20 novembre 1947).
Deuxième étape : Les rappels à l’ordre de Rome qui, à ma connaissance, n’ont malheureusement jamais fait l’objet d’une publication.
Troisième étape : Rome se saisit de l’affaire. Paul VI consulte tous les évêques de l’Église sur cette question sans importance (selon aujourd’hui certains milieux ecclésiastiques progressistes héritiers et tenants de la communion dans la main !). La réponse est largement négative!
Quatrième étape : Paul VI réaffirme solennellement la sacralité de l’Eucharistie. À cet effet, il retrace rapidement l’histoire de sa réception et cite plusieurs témoignages qui montrent la Foi et le souci des premiers chrétiens pour qu’aucune miette ne soit perdue ou profanée. Il conclut que la manière traditionnelle de recevoir la Sainte Eucharistie sur la langue est la plus sûre et la plus conforme à la Foi catholique et qu’il n’y aucune raison de la changer. Le principe est bien réaffirmé. Mais ce qui n’est pas reconnu comme légitime, traditionnelle et conforme à la Foi catholique va être pratiquement permis. C’est l’adaptation de la Foi à la pratique ! En effet, à la fin du même document, Paul VI concède une procédure qui permet la communion dans la main. En ce domaine, il a abdiqué son autorité en laissant aux Conférences épiscopales le soin de prendre une telle décision.
Cinquième étape : Fort de l’indult de Rome, les milieux et médias progressistes dans les années soixante-dix vont promouvoir la pratique de la communion jusqu’à oser l’imposer, au nom de l’obéissance. J’ai connu le temps où l’on nous obligeait à recevoir la communion dans la main ! Certains prêtres allaient jusqu’à laisser tomber l’Hostie à terre face au refus silencieux de jeunes de communier dans la main !
PL : Lorsqu’on vous dit que la communion dans la main a été pratiquée dans l’Antiquité chrétienne, que répondez-vous ?
P. Cocard – La communion a pu être reçue dans l’Antiquité chrétienne dans la main, mais d’une manière très différente de celle d’aujourd’hui : dans la main droite et non dans la main gauche, en portant la main droite à la bouche pour prendre le corps du Christ directement avec la langue et les lèvres et surtout en ayant un très grand soin des miettes eucharistiques. Tout cela, ainsi que les textes et le contexte, traduisent déjà un sens de l’Eucharistie et un culte qui ne pouvaient qu’aboutir à la communion déposée directement sur la langue. La communion dans la main dans l’Église primitive est donc bien différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, qui est inspirée par une « herméneutique de rupture » par rapport à la Tradition, par des influences protestantes et un recul indéniable de la Foi dans l’Eucharistie.
PL : Quelles raisons donneriez-vous à un catholique, parfois pieux, qui s’est habitué à ce nouveau mode de communion, d’y renoncer ?
P. Cocard – Primum adorare, deinde communionem accipere. Premièrement adorer, deuxièmement, recevoir la communion !
Il est nécessaire de retrouver le sens de l’adoration ! Il faut remettre l’Église et tous les chrétiens dans une attitude d’adoration devant le mystère de Dieu, devant le mystère du Christ et celui de l’Eucharistie. L’adoration implique, non seulement une reconnaissance intérieure de Dieu, mais aussi des gestes et un témoignage public, visible et silencieux de sa Foi. Celui qui n’est pas capable de poser un acte extérieur d’adoration et d’humilité devant l’Eucharistie, de s’agenouiller et de se prosterner devant Elle, est incapable de le faire devant Dieu ! Pour un catholique, Dieu et l’Eucharistie, c’est tout un !
D’autre part, il est absolument nécessaire devant l’Eucharistie, de passer d’une attitude subjective à une attitude objective. Beaucoup de chrétiens plus ou moins convertis affirment qu’ils ont un grand besoin de recevoir Jésus-Eucharistie et s’autorisent ainsi à le recevoir dès qu’ils assistent à une messe. Ils ne se demandent pas s’ils sont dans un état de grâce suffisant pour Le recevoir. Ils Le réduisent en fait à leur confort spirituel, à leur subjectivité et à leurs limites. Il faut donc les éduquer et, comme avec des petits enfants, leur imposer un respect et des gestes dont ils découvriront progressivement le sens.
Le Père Jérôme affirme que l’on ne peut bien parler de la charité envers Dieu qu’après avoir accompli cinq mille heures d’oraison (« Commencez par faire, au gré de vos temps libres, toujours à genoux évidemment, cinq mille heures d’oraison –un simple rodage, rien de plus. Que voulez-vous : en tout domaine, celui qui en revient sait autrement les choses que celui qui n’y est pas allé ! », Famille Chrétienne, n° 1872, décembre 2013, p. 12). Il en est de même avec la réception de l’Eucharistie. Il faut La recevoir assez longtemps à genoux et sur la langue pour lentement comprendre la richesse et la sainteté de ce Sacrement.
Rappelons enfin que la communion n’est jamais une obligation. On peut assister et participer à une Messe sans recevoir la communion. Pour diverses raisons : absence de jeune eucharistique, dispute récente et assez violente avec un proche, acte volontaire d’impureté, etc. ! Dans cette ligne, tel jeune qui ne reçoit pas la communion peut s’en abstenir pour des raisons très louables et faire preuve de beaucoup plus de sens de sens de Dieu, de Foi dans l’Eucharistie, que telle personne plus âgée qui la reçoit très souvent, parce que très indulgente avec elle-même, mais peu soucieuse de la présence et du respect dues à Dieu présent dans ce sacrement !
PL : Vous dénoncez aussi l’abstention de ceux qui pourraient agir : les prêtres ? les évêques ?
P. Cocard – À toute époque de l’histoire de l’Église, la majorité des évêques et des prêtres ont suivi le courant ! Pour ne pas avoir d’histoires avec la hiérarchie ou avec les fidèles, pour s’aligner sur la pastorale diocésaine, par fatigue, par crainte de compromettre leur carrière, etc.
Cependant, rappelons qu’un évêque, tel Mgr Rodolfo Laise et ses successeurs, sur le siège de San Luis en Argentine, peut s’opposer à l’introduction de la communion dans la main dans son diocèse. Bien plus, là où elle a été introduite, il peut revenir sur cette décision et au moins l’interdire en certains lieux, tel le cardinal Carlo Caffarra à Bologne, en Italie, dans les trois plus importantes églises de la ville. De même, un curé, comme cela se fait en Italie, peut en interdire la pratique dans sa paroisse. Enfin, un prêtre peut l’interdire dès qu’il y a un risque de profanation (Si adsit profanationis periculum, sacra communio in manu fidelibus non tradatur – S’il y a un risque de profanation, la sainte communion ne doit pas être donnée dans la main des fidèles),Redemptionis Sacramentum, 25 mars 2004, n°92). Or, ce risque existe dans toutes les messes dominicales en ville, surtout lors des grandes messes où se côtoient fidèles, pratiquants occasionnels et touristes de toutes religions. Pour ma part, durant deux ans à Bologne, j’annonçais juste avant la communion que je ne la donnerai uniquement sur les lèvres. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les fidèles.
Aussi, il importe que tout catholique milite pour le retour général à la communion sur les lèvres. On peut le faire de mille manières : tout d’abord en pratiquant, en nourrissant et en développant un vrai culte eucharistique, en parlant et en suscitant la réflexion sur l’adoration due à Dieu, en rappelant la sacralité de l’Eucharistie et de la communion eucharistique, en soulignant la nécessité d’un certain état de grâce, du jeûne et d’une préparation intérieure, pour recevoir le Corps du Christ, en diffusant les textes de la Tradition et du magistère catholiques sur ce sujet, en luttant contre les profanations de l’Eucharistie, en réclamant une meilleure protection pour la Réserve eucharistique, en demandant qu’elle soit retirée des églises où elle ne fait l’objet d’aucun culte public ou privé ou d’un culte privé trop irrégulier, etc. Beaucoup de catholiques refuseraient de déposer leur or et autres objets de valeur dans nombre de nos tabernacles, les estimant peu fiables au niveau des serrures, des portes et vue leur vétusté, face aux voleurs. Mais ils acceptent que la Présence divine y soit gardée ! On peut légitimement se demander où est leur trésor et surtout quelle est la réalité de leur Foi dans Jésus-Eucharistie ! Enfin, pourquoi consacre-t-on et garde-t-on dans trop de tabernacles un nombre d’hosties consacrées, disproportionné par rapport au nombre des fidèles assistant à la messe dominicale ou à l’assemblée dominicale sans prêtre et à l’heure où le viatique est très rarement donné aux mourants ?
PL : Le cardinal Sarah et le cardinal Burke viennent de faire des déclarations en faveur de la célébration de la messe vers l’Orient. Est-ce, selon vous, plus ou moins important que le mode de communion ?
P. Cocard – Le mode de communion me semble le plus important, parce qu’il conduit davantage et plus directement à l’adoration personnelle de Dieu dans l’Eucharistie. Mais la célébration de la Messe vers l’Orient a aussi une très grande importance et lui est, en quelque sorte, conjoint. Ces deux pratiques sont liées à l’adoration de Dieu, du Christ et de l’Eucharistie. Leur abandon dans les années cinquante et soixante correspond à un développement particulier du culte de l’homme, favorisé, d’un côté et de l’autre, par le triomphe du libéralisme et celui du marxisme. Par ailleurs, on peut remarquer, dans les dictionnaires théologiques de ces mêmes années, l’absence ou le peu d’importance donnée aux articles sur l’adoration de Dieu, de Jésus-Christ et de l’Eucharistie.
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Révérend Père Paul Cocard CSJ, La communion sur la langue, une pratique qui s’impose ! Éditions DMM, 9,50 €.