SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France - n°68 - décembre 2015
Le cas normal
Quels sont les droits et les devoirs de celui qui entre dans un pays ? Il faut d’abord étudier le cas
normal, qui devrait être le seul, celui d’un immigrant qui entre en France dans le respect des lois. Il
est évidemment tenu à un certain nombre de devoirs, comme chaque citoyen français.
Par exemple, il est tenu de respecter la loi, loi morale d’abord, loi civile ensuite. Tout homme y
est tenu, mais pour lui cette obligation générale se double d’une obligation particulière, qui tient au
fait qu’il reçoit l’hospitalité du pays d’accueil. Il doit également être reconnaissant envers ce pays
qui l’accueille, et manifester cette reconnaissance par son attitude : c’est sa façon à lui, qui n’est pas
Français de naissance, de réaliser cette piété envers la patrie qui est une obligation du citoyen.
Comme le disait Pie XII le 23 juillet 1957, il faut que l’immigrant ait « la conscience de ce qu’il
doit au peuple qui l’accueille et qui cherche à faciliter son adaptation progressive à sa nouvelle
forme de vie ». L’immigrant doit encore accomplir consciencieusement sa tâche, ce qui constitue
une obligation pour chacun, natif ou immigrant : mais, dans son cas, cette obligation se renforce par
le contrat de travail qui a été souvent sa clé d’entrée dans le pays. Bref, il doit être un homme honnête
et sérieux, comme tout un chacun, avec cette nuance que, recevant une hospitalité généreuse, il
est tenu à ce titre à veiller encore plus sur lui-même.
Devoir d’intégration ?
L’immigrant est-il tenu de s’intégrer ? La notion d’hospitalité va ici nous éclairer. Lorsque je
suis reçu chez quelqu’un, je me plie dans une certaine mesure à sa façon de procéder. Mais cela dé-
pend du temps que je vais passer chez cet hôte. S’il s’agit d’un simple dîner, ce sera assez superfi-
Décembre 2015. Si je séjourne en vacances, je ferai plus d’efforts. Mais une jeune fille au pair doit se mouler
bien davantage sur les coutumes de la famille qui la reçoit.
Donc, un immigrant temporaire est moins assujetti qu’un immigrant définitif, c’est évident. Une
personne qui vient réaliser, par exemple, un chantier de quelques mois n’est pas forcément tenue
d’apprendre le français : ce serait en général un investissement disproportionné. Mais il est normal
qu’une personne qui veut s’installer définitivement en France connaisse le français et sache
s’insérer dans les coutumes françaises : il s’agit là, simplement, d’une manifestation de respect envers
ceux qui lui font partager leurs richesses. Sans doute, il peut y avoir des exceptions, car nous
savons que, passé un certain âge, il est difficile d’apprendre une langue. Mais, comme règle géné-
rale, il est évident qu’un immigrant de longue durée doit s’instruire raisonnablement de la langue et
des coutumes du pays. Un certain nombre de pays ont d’ailleurs sagement statué que, pour
l’acquisition de la nationalité (aboutissement ultime d’une immigration), des examens de langue et
de connaissance du pays étaient requis.
Les devoirs du pays d’accueil
Nous parlons pour le moment d’un immigrant légal : le pays a accepté de le recevoir, et même
dans certains cas l’a sollicité de venir. Ceci constitue une forme de contrat implicite. Le pays doit
donc, tant au titre de l’humanité ordinaire (nous dirions, en chrétien, de la justice et de la charité)
qu’au titre de ce contrat implicite, le traiter avec respect, lui garantir des droits, veiller sur lui, etc.
Cet immigrant doit-il jouir des mêmes droits que le citoyen ? Pas forcément : tout simplement
parce qu’il n’est pas citoyen. La jeune fille au pair n’a pas les mêmes droits que les enfants : par
exemple, si les parents meurent, elle ne recevra pas d’héritage. Mais la jeune fille au pair doit être
traitée avec courtoisie, doit bénéficier de temps de repos, doit recevoir la petite compensation financière
prévue dans son contrat, etc. Il en est de même pour l’immigrant. Il ne doit pas être insulté,
brimé, spolié, exploité, selon le principe universel : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas
qu’on te fît ». C’est à chaque citoyen, comme à l’autorité publique, de veiller sur ce respect
d’autrui, comme il est naturel. Maintenant, l’immigrant ne peut revendiquer de jouir absolument des
mêmes droits que le natif : car précisément, il est accueilli comme un hôte. En France, par exemple,
il ne peut voter, il ne peut postuler à certains emplois touchant à la sécurité nationale. Les États-Unis
vont plus loin : le Président doit être né dans le pays. Même parfaitement assimilé, même devenu
citoyen, l’immigrant de première génération ne possède pas tous les droits d’un natif.
Devoir d’assimilation ?
Le pays d’accueil doit-il favoriser l’assimilation ? Tout dépend de la politique d’immigration que
ce pays entend mener. S’il la choisit restrictive, il a intérêt à opter pour des séjours courts de
l’immigrant, strictement contrôlés (par un système de visas renouvelables). Dans ce cas, une intégration superficielle suffira pour assurer la tranquille coexistence des populations, et évitera un attachement
de l’immigrant au pays d’accueil. Si, au contraire, ce pays accepte l’immigration de peuplement,
il doit, pour éviter la progressive dislocation de l’unité nationale, promouvoir une assimilation
suffisante. Cependant, il devra trouver un équilibre assez subtil. Car, en travaillant à assurer
une certaine homogénéité de la population, il ne doit ni se transformer en monstre totalitaire, ni violer
des droits plus élevés que les siens, notamment les droits surnaturels du baptême. Comme le disait
Pie XII le 23 juillet 1957, l’assimilation ne peut se faire « aux dépens des droits naturels et au
détriment des valeurs religieuses et morales ». Un État ne peut, sous prétexte qu’il est peuplé de
musulmans, forcer un catholique à apostasier.
Regroupement familial ?
Faut-il autoriser le regroupement familial ? En soi, d’une manière ordinaire, l’homme a le droit
de se marier et de vivre avec sa famille. Les exceptions à cette règle doivent être motivées et restreintes.
Par exemple, un soldat de la Légion étrangère ne peut se marier durant son premier contrat : ceci, pour favoriser l’insertion du soldat dans la Légion. De même, le pays d’accueil peut stipuler,
pour un contrat de travail de durée limitée (comme un chantier, un séjour sur une plate-forme
pétrolière), que l’immigrant doit y venir seul. A l’inverse, l’immigration de longue durée n’est pas
compatible avec le refus ordinaire du regroupement familial. La carte de séjour de dix ans automatiquement
renouvelable, instituée en France à la fin des années 70, va naturellement de pair avec le
regroupement familial.
L’immigration de travail se transforme alors en immigration de peuplement. Mais cela découle
quasi automatiquement de l’immigration de longue durée. Permettre à une personne de passer dix
ans, vingt ans, trente ans, quarante ans dans un pays pour le travail, c’est par le fait même lui faire
miroiter la perspective d’en devenir citoyen. Le contraire, il faut le dire, est déraisonnable et inhumain.
Donc, si l’on accepte l’immigration de longue durée, on accepte en même temps (c’est la loi
naturelle, rappelée par les papes) la venue de la famille. Et si l’on accepte que des enfants naissent
en France, parlent français, soient éduqués en France, on accepte implicitement que cette famille
puisse devenir à terme, d’une façon ou d’une autre, française. Si on ne le souhaite pas, il ne faut accepter
que des séjours de courte durée, pas trop répétitifs. Et si on veut le permettre pour certains et
pas pour d’autres, alors il faut établir un « numerus clausus », comme aux États-Unis.