SOURCE - Nicolas Senèze - La Croix - 18 février 2016
Yves Chiron livre une biographie passionnante de Mgr Annibale Bugnini.« Annibale Bugnini », d’Yves Chiron, Desclée de Brouwer, 222 pages, 18,90 euros
Peu connu en dehors des cercles spécialisés, Mgr Annibale Bugnini (1912-1982) fut pourtant un des hommes clés de l’histoire contemporaine de l’Église. Ce lazariste italien a en effet été, de 1948 à 1975, la cheville ouvrière de la réforme liturgique, ce qui lui vaudra une réputation contrastée.
« Pour les uns, il est le maître d’œuvre de la plus audacieuse et la plus aboutie des réformes liturgiques accomplies dans l’histoire de l’Église. Pour les autres il est un dévastateur de la liturgie, le responsable de sa désacralisation », résume Yves Chiron qui vient de lui consacrer une biographie documentée.
Savoir-faire et rigueur d’historien
Bien qu’issu du monde traditionaliste, ce spécialiste de la biographie (Maurras, Paul VI, Pie XI, Benoît XV…) montre ici tout son savoir-faire et sa rigueur d’historien pour mieux comprendre le rôle de celui qui fut, sous Pie XII, le secrétaire de la commission de révision de la liturgie, puis l’artisan de toutes les commissions liturgiques avant, pendant et après le Concile.
L’auteur souligne en particulier les qualités d’organisateur de Bugnini. « Il a su faire appel à des spécialistes, les a fait travailler, a fait adopter par l’autorité supérieure les projets préparés. Finalement il a su mettre en œuvre, souvent à marche forcée, un projet de réforme liturgique dont il n’était qu’en partie le concepteur », écrit-il, relevant aussi que « l’hostilité a été et reste, chez certains, si grande qu’on colporte à son égard des erreurs ou des rumeurs invérifiées ». Ainsi d’avoir été franc-maçon, ce qu’Yves Chiron écarte.
Paul VI lui retire sa confiance
Pour lui, la disgrâce finale de Bunigni, en 1975, vient surtout des relations difficiles avec le reste de la Curie de cet homme au grand sens pastoral, mais manquant « de formation et de sens théologique » et tellement dédié à son œuvre réformatrice qu’il finit par en oublier toute prudence.
Au début des années 1970, au moment critique de l’application de la réforme, quand se multiplient les prières eucharistiques « sauvages », Bugnini obtiendra de Paul VI l’introduction dans le missel des prières eucharistiques pour les enfants et pour la réconciliation, passant outre les objections de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Le pape lui retirera progressivement sa confiance et, en 1975, quand Paul VI décidera de rassembler les Congrégations du culte divin et de la discipline des sacrements, il sera brutalement exclu de l’organigramme du nouveau dicastère.
« Amateur et adorateur de la liturgie »
Mgr Bugnini finira sa vie nonce en Iran – où il verra de près la révolution de Khomeyni – se consacrant à ses mémoires, mais sans jamais perdre son affection pour Paul VI dont il avait été si proche.
« Combien d’heures en soirée j’ai passées avec lui, étudiant ensemble les nombreux, et souvent volumineux dossiers qui s’empilaient sur son bureau ! Il lisait et examinait ligne par ligne, mot par mot, annotant tout en noir, rouge ou bleu, critiquant au besoin avec sa dialectique qui réussissait à formuler dix interrogations sur un même point », se souviendra celui que sa tombe, dans son village natal, en Ombrie, décrit comme « amateur et adorateur de la liturgie ».
Nicolas Senèze