SOURCE - Abbé Xavier Beauvais, fsspx - L'Acampado - mars 2016
Il y a aujourd'hui un démon qui nous intéresse et que nous avons tout intérêt à combattre, ce démon, c'est le démon muet, le respect humain. Comment d'abord le définir ?
Il y a aujourd'hui un démon qui nous intéresse et que nous avons tout intérêt à combattre, ce démon, c'est le démon muet, le respect humain. Comment d'abord le définir ?
Il y a respect humain lorsqu'un individu, dans une action ou une omission, au lieu d'exprimer pratiquement sa personnalité et tout ce que celle-ci représente d'idées, de croyances, d'affection et de sentiments, tient compte de la mentalité de ceux qui l'entourent et y conforme son attitude personnelle, de façon à éviter le qu'en dira-t-on, les railleries, les moqueries et les critiques de toutes sortes. En une phrase on peut le résumer en ce que celui qui est coupable de respect humain, c'est celui qui respecte les hommes plus que Dieu, celui qui respecte la pensée unique plus que la vérité, celui qui respecte la mode plus que la morale. Il n'y a pas plus esclave, pas plus inférieur et petit et même minable au fond, que celui qui respecte cela plus que Dieu, plus que la vérité, plus que la morale.
Il faut être de son temps diront certains, n'est-ce pas là une manière bien hypocrite de cacher un profond respect humain ? Il faudrait sur ce sujet citer à pages pleines ce qu'écrivit Abel Bonnard, « les imbéciles se vantent d'être de leur temps : cela prouve qu'ils sont à lui. Il est bien vrai que nous échappons à notre époque dans la mesure où notre personne se développe. C'est ce qui rend si comiques les gens qui nous annoncent fièrement qu'ils sont de leur temps, qu'ils veulent en être ; cela signifie qu'ils se ficellent eux-mêmes dans les fils du téléphone, qu'ils s'asservissent aux machines qui devraient les servir, qu'ils vivent selon un rythme imposé. Ils se vantent de faire ce qui se fait, de courir où l'on court, d'acheter ce qui se vend, de penser ce qui se dit, de s'habiller selon la mode du temps ; on ne peut avouer avec plus de gloire qu'on n'existe pas. Ne pas s'adapter, voilà selon moi, écrit-il, la vraie devise des âmes puissantes. les êtres forts ne s'adaptent pas, ils s'affirment ».
« Rien n'endolorit l'âme comme de voir que d'ordinaire, écrivait le pape Pie XII, ce n'est pas tant la présence d'éléments mauvais qui rend malsain et pernicieux le champ du travail professionnel, que le respect humain. Respect humain des jeunes gens, dont certains se donnent des airs désinvoltes et rient de tout ce qui touche à la religion et aux bonnes mœurs, d'autres suivent des usages inconvenants, sans avoir le courage de réagir, c'est ainsi que vous les voyez établir de tristes habitudes de langage, de familiarité, de licence, qui font frémir. Si tout cela est vrai et lamentable dans la jeunesse, bien plus déplorable encore dans ses effets devient le respect humain chez les hommes mûrs qui pourraient si facilement s'opposer au mal, corriger un abus avec bonne grâce, arrêter une étourderie indécente, faire changer le cours d'une conversation qui, de la légèreté s'oriente vers l'obscenité. Mais ils n'osent pas. Pourquoi donc ? Parce-que le respect humain est comme la peur, comme la crainte de l'obscurité chez les enfants. Et voici alors le spectacle tristement paradoxal : tout un rassemblement d'hommes, de femmes, de jeunes gens, de jeunes filles transforme en lieu de perdition le sanctuaire du travail, tandis que chacun d'eux, dégoûté du fond du cœur de ce qu'il voit, de ce qu'il entend, du manque de dignité et de caractère de l'entourage et surtout de lui-même, de sa propre couardise et pusillanimité, pourrait, d'une parole lancée à temps, d'un regard sévère, d'un sourire de réprobation, et même d’une facétie, purifier l'atmosphère viciée, certain de s'attirer avec l’approbation des pères et des mères, la respectueuse confiance et même la filiale reconnaissance de ces jeunes gens et de ces adolescents. » Il est facile d'aligner des textes évangéliques où se trouve inscrite l'obligation pour les fidèles d'agir non pas en considération de ce que peuvent dire ou penser les autres, mais à cause des obligations qu'une conscience droite impose.
Les paroles de Notre-Seigneur visent l'hypocrisie mais condamnent aussi cette attitude de respect humain. Par ailleurs Notre Seigneur Jésus-Christ oblige en certaines circonstances ceux qui le suivent à le confesser devant les hommes, quelque inconvénient qui en puisse résulter pour eux.
« Celui qui m'aura confessé devant les hommes dit-il, moi aussi, je l'avouerai comme mien devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui m'aura renié devant les hommes, moi aussi, je le renierai devant mon Père ». En maintes circonstances, saint Paul nous rappelle ce devoir et lui-même se montre très scrupuleux à le remplir d'autant que sa vocation spéciale à l'apostolat, lui fait une obligation particulière d’annoncer l'Evangile, sans crainte du qu'en dira-t-on.
« Non, certes, écrit-il, je ne rougis pas de l'Evangile ».
Il veut que les fidèles, en général, mais ceux-là surtout qu'il a constitués chefs de l'Eglise, suivent son exemple.
« Ne rougis pas, écrit-il à Timothée, du témoignage à rendre à Notre-Seigneur, ni de moi, son prisonnier; mais souffre avec moi pour l'Evangile, appuyé sur la force de Dieu ».
La louange qu'il fait des courageux comporte une note de déconsidération pour ceux qui l’ont moins été. Cette consigne de l'apôtre, qu'il faut savoir à l'occasion confesser sa foi ou tout au moins ne pas rougir de l'Evangile, a toujours été maintenue par l'Eglise. Aux âges de persécution, elle n'a jamais admis les défaillances positives de ses enfants et n'a jamais considéré que la crainte des pressions extérieures fût une excuse à la lâcheté. En 1635 par exemple, la congrégation pour la propagation de la foi à Rome rappelait à l'usage des missionnaires en pays islamiques qu'il n'était pas permis de donner le baptême à quelqu'un qui ne voudrait pas professer sa foi extérieurement à cause des dangers qui le menaceraient. Plus d'un siècle après, c'est la même congrégation qui protestait contre l'attitude des catholiques qui en pays infidèles, assistaient aux offices, mais par crainte des étrangers, venus par curiosité à la cérémonie, évitaient tous les signes qui pourraient trahir leurs convictions intérieures. Et c'est enfin le Droit Canon qui exprime d'une manière catégorique l'obligation qui, en certaines circonstances, incombe à tous les chrétiens de professer extérieurement leur foi. Prescriptions sévères, estime le catholique d'aujourd'hui, infesté de cette peste du laïcisme, de ce virus de la laïcité, véritable reniement de Jésus-Christ. Eh bien non, ces principes de l'Eglise sont fort raisonnables. En effet, celui qui par crainte du sentiment des témoins, ne professe pas sa foi se diminue moralement, parce qu'il se renie dans son cœur, dans son esprit et sa volonté. C'est déjà une diminution intellectuelle car le sujet agit à l'encontre de la foi, de la doctrine de la foi qu'il a appris à connaître et à laquelle il a adhéré. Il fait fi de ses sentiments les plus profonds et de ce qu'il aime. Il fait enfin un bien mauvais usage de sa liberté, car au lieu de choisir ce qui est pour son bien moral, il disperse ses efforts dans un sens opposé. On parle aujourd'hui beaucoup d'épanouissement de la personnalité, c'est bien le respect humain, à la fois reniement pratique et acte peccamineux. Au lieu de demeurer fidèle à ses devoirs religieux, le sujet se détourne du souverain bien et ne considère plus que son intérêt humain et sa tranquillité personnelle. Celui d'ailleurs qui cède fréquemment au respect humain s'expose au danger de perdre la foi. la pratique extérieure de la religion est une protection pour l'assentiment intérieur. Céder par respect humain à toutes les modes intellectuelles et morales c'est faire sauter bien souvent les protections intérieures qui ne peuvent qu'amener diminution et jusqu'à la perte de la foi. la crainte de paraître chrétien au dehors, amène à la longue une atonie de la vie religieuse, avec sa conséquence presque fatale : le doute, d'abord timidement admis, puis s'installant à demeure et minant l'assentiment donné à l'ensemble des vérités enseignées par l'Eglise. Cette lâcheté est d'autant plus coupable qu'elle est parfois susceptible d'occasionner un scandale et de faire tomber dans le péché les âmes faibles qui pourraient être témoins de l'acte positif ou négatif inspiré par le respect humain. le respect humain est aussi un manquement à l'endroit de l'Eglise dont l'unité extérieure peut être compromise par celui qui n'ose affirmer pratiquement ses convictions. Son rayonnement extérieur en est en tout cas sérieusement empêché. Au lieu de la contagion bienfaisante de l'exemple, on voit se produire le phénomène inverse ; la lâcheté de quelques uns gagne de proche en proche et finit par atteindre la masse ; le petit troupeau tend à s'amenuiser.
Enfin le respect humain est un acte d'irrévérence à l'égard de Dieu, du fait que l'opinion humaine est préférée au jugement divin du maître de toute chose. l'honneur dû à Dieu exige, à coup sûr, que la profession de la foi catholique soit à certains moments, non seulement privée, mais aussi publique, quels que soient les périls qui pourraient menacer celui qui demeure extérieurement fidèle à ses convictions. là les hésitations, les ambiguïtés ne sont pas tolérables surtout lorsqu'il s'agit de s'affirmer devant le pouvoir établi.
Cette disposition malsaine du respect humain entraîne bien souvent à de lamentables omissions mais aussi à commettre des actes peccamineux. C'est ainsi que par respect humain on s'associera plus ou moins timidement à des conversations antireligieuses qui peuvent dégénérer en railleries, voire en blasphèmes. Il demeure certain que sous aucun prétexte, il n'est permis de poser des actes positifs contraires à la loi divine : quelles qu'aient été les circonstances atténuantes qu'elle accordait aux chrétiens qui s'étaient rendus coupables par crainte, d'actes extérieurs d'idolâtrie, l'Eglise les a toujours considérés comme des lapsi et sa discipline était fort sévère à leur endroit.
Précisons quand même que certaines circonstances peuvent autoriser un catholique à omettre certaines pratiques prescrites par la loi ecclésiastique. Si l'on n'est jamais autorisé à renier ses convictions par des actes positifs, on n'est pas toujours obligé en certaines circonstances de les afficher. Il peut même arriver des cas où la jactance, la forfanterie, le désir de poser sont plus né- fastes à la cause que l'on sert. Mais ce n'est pas ce qui nous guette le plus.
Comme l'écrivit si bien le Père de Chivré :
« La liturgie nouvelle passe son temps à rougir de la divinité du Christ, à rougir de sa différence d’avec les hommes : atténuation de sa transcendance dans les textes qui n'osent plus lui conserver sa place. On rougit du Christ en laissant tout le temps et partout une possibilité d'hésitation à lui reconnaître qu'il est le Souverain Juge tout en n'osant pas le nier. On rougit de lui en escamotant la raison essentielle de sa mort : un sacrifice d'expiation.
C'est donc l'heure des fiertés spirituelles obligatoires, jusqu'aux semblants de désobéissance qui ne sont qu'une magnifique obéissance à Notre Seigneur JésusChrist.
N'ayons qu'une seule peur au monde, celle d'être muets jusqu'à apostasier. »