SOURCE - DICI - 16 avril 2016
Le 8 avril dernier était publiée
l’exhortation post-synodale tant attendue du pape François. Dans cette lettre,
le pape n’a ni accordé une permission générale pour donner la communion aux
divorcés remariés, ni laissé aux conférences épiscopales le pouvoir de donner
des dérogations. Il a aussi repris les termes du dernier synode des évêques,
disant qu’« il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies,
même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le
mariage et la famille » (n° 251). Enfin, il s’est prononcé de manière claire
contre la théorie du genre, en la dénonçant comme une idéologie qui allait à
l’encontre de l’ordre de la création (cf. n° 56). A cause de tout cela, le pape
François a déçu beaucoup de gens parmi ceux qui ne sont catholiques que sur le
papier et dans les milieux libéraux.
Pourtant avec Amoris
lætitia, il ouvre une brèche qui remet en cause toute la morale catholique.
Dans le chapitre 8, intitulé Accompagner, discerner et intégrer la
fragilité, le pape François a ouvert des portes qui permettront à
l’avenir de se soustraire à la morale catholique tout en s’abritant derrière
les instructions du pape. Celui-ci ne répète pas seulement les affirmations
douteuses du dernier synode, selon lesquelles les divorcés remariés sont des «
membres vivants de l’Église », sur lesquels l’Esprit-Saint déverse « des dons
et des charismes pour le bien de tous » (n° 299), mais il va plus loin encore.
Certes l’enseignement sur le mariage catholique et toutes les anciennes normes
restent toujours en vigueur ; à ceux qui vivent en concubinage ou qui sont
simplement unis par un mariage civil, il est donc toujours interdit de recevoir
l’absolution et la sainte communion, mais… il y a des exceptions !
Une remise en
cause de la morale catholique
Nous devrions, dit
le pape, éviter les jugements « qui ne tiendraient pas compte de la complexité
des diverses situations » (n° 296). Les normes générales seraient certes un
bien « mais dans leur formulation, elles ne peuvent pas embrasser dans l’absolu
toutes les situations particulières » (n° 304). Cela peut s’entendre pour la
plupart des normes humaines, mais pas pour les lois divines affirmant que
l’acte conjugal n’est permis qu’entre un homme et une femme unis par un mariage
valide, et qu’un mariage sacramentel et consommé ne peut être séparé par aucun
pouvoir au monde – pas même celui du pape. Ces lois ne connaissent aucune
exception et sont valables indépendamment des circonstances.
En outre, l’Église a
toujours enseigné à l’instar de nombreux philosophes païens qu’il existe, à
côté des actes moralement indifférents, des actes bons ou mauvais en soi ; la
portée morale d’une action a donc quelque-chose d’objectif et ne dépend pas
seulement des circonstances ou de l’intention du sujet. Tuer un innocent,
abuser d’un enfant ou calomnier quelqu’un, est toujours un acte mauvais quelles
que soient les circonstances, et ne pourra jamais devenir un acte moralement
bon même s’il est fait avec la meilleure des intentions. Celui qui estime, par ignorance
et avec une conscience erronée, qu’il lui est permis de tuer un innocent pour
sauver quelqu’un d’autre, ou de calomnier un adversaire pour une bonne cause,
peut être excusable éventuellement du point de vue du péché, de façon
subjective, mais son acte reste objectivement mauvais. Au contraire, aider ceux
qui sont dans le besoin ou respecter la promesse de fidélité faite à son épouse
ou à son époux, constitue toujours un acte bon. Si quelqu’un faisait quelque
chose de bien seulement pour être loué des autres ou pour être payé en retour,
cela diminuerait son mérite personnel ou même le supprimerait complètement,
mais son acte en lui-même resterait bon. La loi naturelle n’est donc pas
seulement « une source d’inspiration » pour la prise de décision, comme
l’affirme le paragraphe 305, mais elle interdit ou commande certaines actions
de façon nécessaire.
Cela n’a vraiment
rien à voir avec le fait de croire « que tout est blanc ou noir » (n° 305). On
peut très bien avoir une certaine compréhension pour une femme qui s’engagerait
dans une nouvelle relation en raison de l’infidélité ou de la sécheresse de
cœur de son époux, on peut admettre que dans un tel cas la faute est moins
grave, néanmoins l’adultère reste un acte mauvais en soi.
Or le pape François
affirme maintenant qu’ « il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se
trouvent dans une certaine situation dite “irrégulière” vivent dans une
situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante », et pas seulement
par ignorance de la norme divine mais aussi en raison « d’une grande difficulté
à saisir les valeurs comprises dans la norme ». Un sujet peut même « se trouver
dans des conditions concrètes qui ne lui permettent pas d’agir différemment et
de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute » (n° 301). Le pape
affirme ainsi officiellement qu’il peut arriver que quelqu’un doive rester dans
une relation objectivement peccamineuse pour éviter de se charger d’une
nouvelle faute. Le seul cas imaginable ici est celui d’un homme et d’une femme
non mariés religieusement qui restent ensemble pour élever leurs enfants
mineurs. Ce cas a déjà été approuvé dans le passé par l’Église à condition
qu’un tel couple vive comme frère et sœur, dans l’abstinence complète.
Quelles sont les
conséquences logiques de ces erreurs ?
Supposons maintenant
qu’un couple vivant hors mariage ait une « grande difficulté » à comprendre que
ce soit peccamineux. Ce couple veut aimer et servir Dieu dans cette situation,
et agit ainsi subjectivement en toute bonne conscience. Un tel cas peut
éventuellement se présenter en raison de la confusion générale provoquée par
les média, l’opinion publique et des prêtres qui bravent l’enseignement
contraire de l’Église. S’il est donc possible qu’un tel couple soit exempt de
péché du point de vue subjectif, leur relation contredit pourtant objectivement
la volonté de Dieu. Un vrai pasteur, dont la mission est de ramener les brebis
égarées dans les voies de Dieu, ne peut donc pas accepter une telle situation
ni leur donner les sacrements, comme s’il s’agissait d’un couple marié
chrétiennement. Or c’est précisément à cela qu’aboutissent les considérations
du pape. Il est possible, écrit-il, « que, dans une situation objective de
péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement –
l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse
également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet
effet l’aide de l’Église » (n° 305). Comme le fait remarquer explicitement la
note de bas de page n°351, cette aide de l’Église peut aussi se composer « dans
certains cas » « de l’aide des sacrements », car l’Eucharistie ne serait « pas
un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les
faibles » . En cela le pape s’éloigne de la morale catholique, tout en ayant
l’aplomb de s’appuyer, pour justifier de tels sophismes, sur les distinctions
enseignées par saint Thomas d’Aquin.
Le pape François a beau toujours rappeler qu’il faut « éviter toute interprétation déviante » et « proposer l’idéal complet du mariage… dans toute sa grandeur », et aussi que « toute forme de relativisme » doit être bannie, il revient maintenant à chaque pasteur de procéder, dans le for interne, « au discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers » (n° 300). Ainsi, la décision de donner ou non les sacrements dans de tels cas sera de facto confiée à l’appréciation personnelle de chaque prêtre. Mais quel prêtre prendra le risque de donner les sacrements à un couple en raison de leur situation particulière et de les refuser à d’autres couples non mariés ?
En outre, l’argumentation du pape peut s’appliquer facilement à d’autres cas. Si un couple d’homosexuels s’aime vraiment et s’ils n’arrivent tout simplement pas à comprendre que leur mode de vie est peccamineux, peut-on alors leur donner aussi la communion ?
Et que faut-il
penser de l’assertion : « Personne ne peut être condamné pour toujours, parce
que ce n’est pas la logique de l’Évangile » (n° 297) ? Dans l’Évangile, le Fils
de l’homme dit à ceux qui ont fait le mal : « Allez-vous-en loin de moi, les
maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges »
(Mt 25, 41). Celui qui ne veut pas abandonner une situation peccamineuse, mais
au contraire persiste dans le péché jusqu’à la fin, est condamné par Dieu pour
l’éternité. Cependant le pape semble dire qu’on ne peut pas priver indéfiniment
de la communion un couple qui vit dans le péché. De même, comment peut-on
condamner pour toujours un voleur qui refuse de rendre ce qu’il a volé ? Le
bien acquis illégalement devient-il, avec le temps, sa possession en toute
légalité ? C’est exactement ce qui correspondrait à la logique du pape.
Les beaux
passages eux-mêmes ne sont pas indemnes d’erreurs
Il ne faut pas passer
sous silence qu’il y a aussi, dans Amoris lætitia, de très beaux
passages. Le pape s’efforce vraiment de promouvoir l’idéal du mariage chrétien.
Il explique pourquoi l’union entre un homme et une femme dans le mariage doit
être par nature indissoluble, il donne une belle image de la famille
chrétienne, parlant du grand cadeau que représentent les enfants, il donne des
conseils pour surmonter les crises et éduquer les enfants. Contre l’idéologie
très répandue du genre, il écrit : « Tout enfant a le droit de recevoir l’amour
d’une mère et d’un père, tous deux nécessaires pour sa maturation intégrale et
harmonieuse » (n° 172). Il insiste sur le fait que les enfants ont besoin de la
présence de leur mère, surtout pendant les premiers mois de la vie (n° 173), et
montre aussi le rôle important du père et les dangers d’une « société sans
pères » (n° 176). François rappelle en outre que l’éducation des enfants est un
« droit primordial » des parents et que l’État n’y a qu’un rôle subsidiaire (n°
84).
Mais même dans ces
paragraphes, des critiques s’imposent encore à l’esprit. Par exemple est-il
vraiment approprié, dans un texte apostolique sur le mariage et la famille,
d’insérer une longue citation de Martin Luther King, un acatholique notoire
dont l’enseignement n’a pas sa place dans un tel document ?
On note également
que le pape commet une erreur christologique lorsqu’il écrit que Jésus était «
éduqué dans la foi de ses parents, jusqu’à la faire fructifier dans le mystère
du Royaume » (n° 65). Étant Fils de Dieu par nature, Jésus n’avait pas la foi
puisqu’il avait la vision de son Père et des choses divines, et par conséquent,
il n’avait pas non plus besoin d’être éduqué dans la foi.
A plusieurs reprises
on trouve aussi un mélange de l’ordre naturel et du surnaturel, lorsqu’il fait
l’éloge d’un bien naturel en y voyant trop vite l’œuvre de l’Esprit-Saint.
François affirme ainsi que dans chaque famille où les enfants sont élevés vers
le bien, l’Esprit est vivant, et cela tout à fait indépendamment de la religion
à laquelle elle appartient (n° 77 ; cf. aussi n° 47 et 54).
Cependant c’est
surtout avec le 8e chapitre que Amoris lætitia s’inscrit parmi
les écrits apostoliques les plus déplorables de l’histoire de l’Église
actuelle. On peut seulement espérer que les cardinaux, évêques et théologiens
qui ont constamment défendu la doctrine sur le mariage religieux contre les
édulcorations de ces deux dernières années, oseront encore résister.
Abbé Matthias Gaudron
L’abbé Matthias
Gaudron, prêtre de la Fraternité Saint-Pie X, a dirigé durant douze ans le
Séminaire international du Sacré-Cœur à Zaitzkofen (Bavière). Auteur du Catéchisme
catholique de la crise dans l’Eglise (éd. du Sel), il est aujourd’hui
professeur à l’Institut Sainte-Marie, dans le canton de Saint-Gall (Suisse).
(Source : FSSPX/Allemagne – Traduction française DICI du 16/04/16)