SOURCE - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs n° 26 - mars 2016
Ils me feront un Tabernacle et je demeurerai au milieu
d’eux. Vous vous conformerez à tout ce que je vais
vous montrer, au modèle du Tabernacle, et au modèle
de tous ses ustensiles (Exode XXV).
Ces paroles du Seigneur à Moïse dans les profondeurs
de la nuée, sur les hauteurs du Sinaï, introduisent
les longs chapitres où Dieu lui-même prescrit comment
doit être préparée sa demeure. Comme les Israélites vivaient
à l’époque de l’Exode dans des tentes, c’est par
le Tabernacle, qui était une tente, que Dieu voulait symboliser
sa présence au milieu de son peuple ; aussi, non
content de décrire en détail chacun des éléments de
cette demeure : Regarde, tu feras tout selon le modèle qui
t’a été montré sur la montagne (Hébreux VIII, 5), le Seigneur
désigna-t-il lui-même celui qui devait présider à sa
réalisation, et le remplit-il de sagesse, d’intelligence et de
savoir pour toutes sortes d’ouvrages (Exode XXXI, 3) afin
de le rendre habile à ce travail.
Lorsque le Seigneur inspirait les psaumes au saint
roi David : L’Esprit du Seigneur a parlé par moi et sa parole
est sur ma langue (2 Samuel XXIII, 2), ou aux autres psalmistes:
Les fils d’Asaph, d’Hémane et de Yédoutoun prophé-
tisaient au son des lyres, des harpes et des cymbales (1 Chroniques
XXV, 1), il se passait quelque chose d’analogue :
c’est sous l’inspiration de Dieu lui-même que chantaient
les poètes inspirés. C’est pourquoi, pendant la psalmodie,
lorsque nous tenons en main nos antiphonaires, nos
bréviaires ou nos missels, nous devons porter le regard
de notre foi vers l’éternelle Sagesse du Père : La Sagesse
est splendide, elle se laisse facilement contempler par ceux
qui l’aiment (Sagesse VI, 12). Ainsi voyons-nous comment,
dès leur origine, les poèmes du Psautier sont en relation
indissoluble avec le Christ. C’est lui, en effet, qui est la
Sagesse de Dieu (1 Corinthiens I, 24). Comme le dit saint
Ambroise, « nous lisons que le Père a tout fait par le Fils,
comme il est écrit : Vous avez tout fait dans la Sagesse !
(Psaume 103) » : c’est pourquoi l’Écriture la nomme l’Artisan
des êtres (Sagesse VIII, 6). « Cette Sagesse, écrit saint
Athanase, est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait et
sans qui rien n’a été fait (Jean I, 3). » Saint Cyrille d’Alexandrie
: « Tout a été fait par lui comme par la Sagesse de
Dieu le Père. »
Or le Tabernacle, au dire de saint Grégoire de
Nysse, était une figure esquissée d’avance par l’Artisan
des êtres, comme le symbole du mystère de l’Incarnation
: « Le Tabernacle, c’est le Christ Sagesse de Dieu qui,
selon sa propre nature, n’est pas fait de main d’homme
(Hébreux IX, 11), mais qui a reçu une existence créée
lorsqu’il fallut que ce Tabernacle soit dressé parmi nous,
de telle sorte que cette Tente soit, d’une certaine manière,
tout à la fois incréée et créée : incréée dans sa pré-
existence, créée en tant qu’elle a reçu une existence matérielle.
» Saint Jean l’Évangéliste, comme on peut le lire
dans l’original grec, nous manifeste cette vérité lorsqu’il
écrit : Le Verbe s’est fait
chair, et il a dressé sa tente
parmi nous (Jean I, 14).
Saint Cyrille d’Alexandrie
dit de même que « le Tabernacle
signifie le corps
du Christ ». C’est ainsi
que, par son Incarnation,
la Sagesse a bâti sa maison
(Proverbes IX, 1).
Considérons maintenant
le Christ, Sagesse
incarnée, vrai Dieu et vrai
homme, lorsque le soir
du Jeudi Saint il psalmodiait
avec ses disciples :
ce qui se produisit alors
fut à l’image de cette
gloire qui remplit le Tabernacle
au jour de son érection
: la gloire du Seigneur
remplissait le Tabernacle
(Exode XL, 35). Le Verbe
s’est fait chair, et il a dressé
sa tente parmi nous; et nous
avons vu sa gloire, gloire
comme celle que tient de son Père un Fils unique (Jean I, 14).
La finalité des psaumes est la gloire de Dieu : Je vous rendrai
grâce, Seigneur mon Dieu, de tout mon cœur, et je glorifierai
votre Nom pour toujours! (Psaume 85). Le Christ, en
les psalmodiant, leur fait atteindre cette fin de la façon la
plus élevée qui puisse être. Qui est en effet la Personne
qui énonce, ce soir-là, les psaumes inspirés ? C’est la Sagesse
du Père elle-même, l’Artisan de toutes choses, l’Auteur
principal des psaumes qui les chante par l’instrument
de son humanité : la psalmodie du Christ est tout à
la fois humaine et divine. La pénétration qu’en avait son
intelligence, la ferveur de l’amour surnaturel dont brûlait
son Cœur sacré, la profondeur de l’humilité dont il était
rempli, tout cela uni à la Personne divine du Verbe donnait
à son chant une perfection infinie, souverainement
digne de Dieu.
Le Christ Jésus, dans son infinie bonté, n’a pas voulu
que son retour au Père marque la fin de cette louange
parfaite à la gloire de Dieu. Il a voulu la continuer sur
terre par ses membres : La gloire que vous m’avez donnée,
je la leur ai donnée (Jean XVII, 22). En effet, le Tabernacle
est aussi, au dire de l’Apôtre, la figure de l’Église.
Nous sommes, nous, le Sanctuaire du Dieu vivant, selon ce
que Dieu a dit : « J’habiterai au milieu d’eux et j’y marcherai.
» (2 Corinthiens VI, 16) La parole que cite ici S. Paul
est tirée du Lévitique, et on y lit dans l’original : Je placerai
ma Demeure au milieu de vous (Lévitique XXVI, 11).
Le Tabernacle figure donc l’Église, Corps mystique du
Christ, dans laquelle celui-ci demeure réellement et par
laquelle il poursuit sur terre la louange parfaite qu’il a
inaugurée aux jours de sa
chair (Hébreux V, 7). C’est
le mystère de l’office divin
: « La sainte Liturgie,
dit le pape Pie XII, est le
culte intégral du Corps
mystique de Jésus-Christ,
c’est-à-dire de la Tête et
de ses membres. » Ainsi,
nous sommes devenus
participants du Christ (Hébreux III, 14) : lorsque nous
avons la grâce de participer
à la psalmodie de
l’Église, pour les Vêpres par
exemple, notre psalmodie
commune est à l’image
du Tabernacle, et c’est le
Christ lui-même, Gloire de
Dieu, qui la remplit et qui
psalmodie en nous.
Est-il suffisant, toutefois,
que nous chantions
ensemble pour que le
Christ psalmodie en nous ?
En vérité, il n’en est pas ainsi
: Éloigne de moi, dit Dieu, le bruit de tes chants, le psaume
de tes lyres, je ne l’écouterai pas ! (Amos V, 23) Il faut que
nous soyons véritablement le Tabernacle du Christ pour
qu’il puisse nous remplir de lui-même. Saint Bède le vénérable nous explique clairement ce qu’il nous faut faire
en ce but : « Le Tabernacle qui fut montré à Moïse sur la
montagne est la cité et la patrie céleste, qui en ce temps-là
n’était composée que des saints anges. Notons avec
diligence que les fils d’Israël doivent faire le Sanctuaire
au Seigneur non pas d’une manière partiellement semblable,
mais selon toute la ressemblance du Tabernacle
montré à Moïse. Si donc nous tendons à partager le sort
des anges dans les cieux (Luc XX, 36), il nous faut toujours
imiter leur vie sur terre. Tu te demandes en quoi
l’homme terrestre peut imiter le Tabernacle céleste ? Ils
aiment Dieu et le prochain, imite-les en cela ! » Tout est
là : si nous avons l’amour de charité pour Dieu et pour
tous les hommes selon l’ordre qu’il requiert, comme dit
l’épouse du Cantique : Il a ordonné en moi la charité (Cantique
II, 4), alors nous sommes le Tabernacle de Dieu, et
le Christ habite en nous : Si nous nous aimons les uns les
autres, Dieu demeure en nous (1 Jean IV, 12).
Si, en effet, « le but premier et direct de l’office divin
est la gloire du Créateur, il est encore pour l’âme qui
s’y livre une source abondante de grâces précieuses »
(Dom Marmion). C’est pourquoi le pape saint Pie X enseignait
que « la participation active des fidèles aux mystères
sacro-saints et à la prière publique et solennelle
de l’Église est la source première et indispensable où se
puise le véritable esprit chrétien » (22 novembre 1903).
Les psaumes sont donc aussi
des armes dont le Bon Dieu
a voulu nous équiper pour
la lutte ; l’âme y trouvera,
en particulier dans la lutte
contre les suggestions diaboliques,
un secours précieux.
Saint Basile : « le psaume fait
fuir les démons. » Saint Jean
Chrysostome : « Les psaumes
sont des lances extrêmement
pointues lancées contre les
démons. Les cerfs ne fuient
pas les traits avec autant de
rapidité que les démons ne
fuient les psaumes de David.
» De même, un ancien
moine d’Égypte affirme que
« Rien ne tourmente autant
les démons que le Psautier. »
Les saints martyrs, qui
ont combattu le beau combat
de la Foi (1 Timothée VI, 12)
au degré le plus éminent, savaient se servir de l’arsenal
des poèmes inspirés. Saint Augustin dit bien que « les
psaumes réconfortaient les martyrs, et leur inspiraient
cette joie et cette intrépidité qui allait jusqu’à étonner
les bourreaux eux-mêmes. » La martyre sainte Prisca
(vers l’an 54) passa la veille de son départ pour le ciel
à psalmodier dans la prison. Sainte Perpétue fut martyrisée
en l’an 203 à l’âge de vingt-deux ans : le jour de
son triomphe, « elle psalmodiait, foulant déjà aux pieds
la tête du démon. » Que faisaient les militaires cappadociens
exposés nus sur un étang glacé en plein hiver à
Sébaste, condamnés à mourir de froid à cause de leur foi
dans le Christ ? Ils psalmodiaient, et c’est en psalmodiant
qu’ils rendirent leur belle âme à Dieu : Notre âme comme
un passereau s’est échappée du filet des chasseurs, le filet
s’est rompu et nous nous sommes échappés ! Notre secours
est dans le Nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre !
(Psaume 123). Souvenons-nous aussi du glorieux saint
Théodore, dont saint Grégoire de Nysse nous affirme
que la psalmodie ne quittait pas ses lèvres même au milieu
de la plus atroce flagellation : Je bénirai le Seigneur
en tout temps ! (Psaume 33). Saint Basiliscus ne cessait
de psalmodier au milieu des tortures. Plus près de nous,
nous pouvons admirer l’exemple de nos chers aînés qui
ont rendu témoignage au Christ lors de la tyrannie révolutionnaire
: les historiens savent que les prières les plus
fréquemment chantées par les martyrs de cette époque
étaient les psaumes inspirés. Les seize bienheureuses
carmélites de Compiègne, en montant vers la guillotine,
chantaient le psaume 116.
Ces quelques exemples nous montrent qu’il y a,
dans ces poèmes sacrés, une puissance qui est peut-
être trop oubliée ou négligée de nos jours. Si la vie selon
la volonté du Christ est si
souvent un martyre en cette
époque d’apostasie et d’abominations,
n’hésitons pas à
prendre les armes qu’ont su
employer nos glorieux prédécesseurs. Les psaumes de
la pénitence notamment,
que saint Augustin priait avec
larmes sur son lit de mort,
font tant de bien et sont si
puissants contre l’Adversaire
qu’ils peuvent nous aider à
conserver le repentir intime
de l’âme, la sainte componction,
grâce à laquelle nous
parviendrons à surmonter
tous les obstacles qui empêchent
en nous l’épanouissement
de la divine charité.
Cependant, souvenons-nous
bien que, tout
comme les psaumes chantés
en commun n’ont atteint leur apogée que dans le Christ,
les psaumes chantés en privé dans nos cœurs n’auront
d’efficacité que par lui et en lui, lui sans qui nous ne pouvons
rien faire (Jean XV, 5), par qui nous offrons à Dieu en
tout temps un sacrifice de louange (Hébreux XIII, 15), qui
transfigurera notre corps de misère en le rendant semblable
à son corps de gloire (Philippiens III, 21). En ce jour grandiose,
tous ceux qui seront reçus dans la gloire, saints et
irréprochables devant lui dans la charité, auront enfin atteint
la perfection souveraine de leur conformité à la divine
Sagesse. Voici le Tabernacle de Dieu avec les hommes:
il habitera avec eux, et ils seront son peuple ; et Dieu même
sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la
mort ne sera plus (Apocalypse XXI, 3-4). Là, nous pourrons
chanter, en union avec le Verbe incarné et sa très sainte
Mère : Je chanterai pour l’éternité les miséricordes du
Seigneur ! (Psaume 88)