Au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit. Ainsi-soit-il.
M. le Supérieur,
Chers confrères, mes sœurs, biens
chers pèlerins, mes biens chers frères,
L’année 2016 est l’occasion de
célébrer trois anniversaires : la naissance au Ciel de saint Louis-Marie
Grignion de Montfort, la fondation de l’Ordre de saint Dominique,
tant marqué par l’amour des pécheurs égarés par l’hérésie et la dévotion à la
Vierge du Rosaire.
Enfin, cette année marque le 25e anniversaire du rappel à Dieu de Mgr Lefebvre.
Notre époque est friande
d’anniversaires, de commémorations, de souvenirs, comme si, dans le chaos des
âmes, elle cherchait un ancrage. Et peut-être que nous aussi parfois, nous
sommes nous-mêmes en quête de repères.
C’est pourquoi l’épitaphe de Mgr
Lefebvre empruntée à saint Paul, Tradidi quod et accepi, j’ai
transmis ce que j’ai reçu, nous rappelle opportunément la richesse de
l’héritage et la nécessité de la transmission. Vingt cinq ans après, il est bon
de revenir sur ce témoignage, ce testament qu’il a voulu inscrire dans la
pierre pour ses fils et ses filles.
Quod et accepi. Ce que
j’ai reçu. Bien chers frères, nous sommes des héritiers. Héritiers de Dieu,
héritiers de la Croix de Jésus-Christ, cohéritiers du Ciel, héritiers d’une
chrétienté jadis glorieuse, héritiers d’une belle Tradition catholique édifiée
par nos anciens. Soyons reconnaissants, infiniment reconnaissants à Dieu de cet
héritage mais, après en avoir remercié Dieu, sachons recevoir cet héritage,
sachons le conserver, sachons en prendre la mesure.
Mes bien chers frères,
gardons-nous d’un certain complexe qui a touché les catholiques et qui pourrait
nous atteindre. Sous prétexte d’humilité, de charité, de vérité, on a complexé
les catholiques.
On leur a reproché une doctrine
soi-disant fixiste, une morale intransigeante, une piété désuète, une conception
étriquée de la famille et de l’amour. On a sali la mémoire des pères. On a
nourri la honte des fils. On a bafoué l’héritage. Hélas, nombre de catholiques
se sont laissés gagnés, destabilisés, par cette repentance, cette auto-critique
qui en a fait trop souvent des dhimmis, des vaincus, des hommes de compromis
prêts à mépriser ce qu’ils aimaient et à aimer ce qu’ils méprisaient.
Le Père Charles de Foucauld, mort il y a un siècle, avait ces
paroles prophétiques : « J’avais cru en entrant dans la vie religieuse
que j’aurais surtout à conseiller la douceur et l’humilité ; avec le temps, je
crois que ce qui manque le plus souvent, c’est la dignité et la fierté ».
Ô christiane, agnose
dignitatem tuam, disait saint
Léon le Grand. Ô chrétien, reconnais ta dignité. Oui, tu es
fils de Dieu et non abdallah, tu es de la race des enfants de Dieu et non des
esclaves de Dieu.
Soyons donc fiers de l’héritage
de nos pères, c'est-à-dire reconnaissons-en la grandeur, vénérons-le,
défendons-le, soyons-en des témoins enthousiastes. C’est cela être fier. Et
soyons-le d’autant plus que cet héritage nous a été légué sans mérite de notre
part. « Il est temps d’être humble – disait saint Pie X - parce qu’il est
temps d’être fier ».
Ayons l’esprit du Magnificat,
de cette joie, de cet enthousiasme, de cette reconnaissance, de cette
publication des richesses de Dieu qui habitait le cœur de la Vierge Marie. Oui,
remercions Dieu. Magnifions Dieu pour toutes les richesses qu’Il nous a
données.
Mes frères, nous avons reçu un
immense trésor : trésor de la foi catholique, trésor de la messe de toujours,
trésor d’un authentique sacerdoce catholique, trésor de la doctrine de saint Thomas d’Aquin, trésor –surtout
dans notre pays de France - d’une authentique pensée contre-révolutionnaire
forgée dans les combats de nos ancêtres, trésor d’une véritable piété mariale,
d’un culte du Sacré-Cœur, trésor des exercices spirituels. Trésor de la vie
religieuse, contemplative, missionnaire, enseignante. Et je ne parle pas de
cette myriade d’œuvres qui ont fleuri, refleuri, ces écoles, primaires,
secondaires, supérieures, ces mouvements de jeunesse, ces tiers-ordres, ces
œuvres apostoliques, ces cercles d’études de par le monde, signe évident de
l’amour de Dieu et du souffle du Saint Esprit qui agit suaviter ac
fortiter. Avec douceur mais avec force.
Oui, mes frères, soyons fiers de
cette doctrine catholique qui a traversé les siècles parce qu’elle nous parle de
l’Éternel, soyons fiers de cette morale catholique, dont les exigences ne sont
que le reflet de notre élévation à la filiation divine.
Soyez fiers, chers parents, de
transmettre la vie et de forger l’âme chrétienne des enfants de Dieu. Pères de
famille, enseignez vos enfants ! Pères de famille, transmettez à vos
fils ! Pères de famille, faites vôtre cette parole de Saint Pierre : Sachez « rendre
raison de votre espérance » (2) , de vos choix, de vos positions,
de votre vie.
Soyez fiers, époux catholiques,
d’être les images vivantes et fidèles de l’amour du Christ et de son Eglise.
Soyez fières, femmes chrétiennes,
de tenir la place du cœur et non du corps.
Soyez fiers, chers fidèles, qui
que vous soyez, d’être catholiques. Et ne soyez pas apeurés par cet épouvantail
que l’on agite parfois, en affirmant que nous ne serions pas catholiques à part
entière, que nous n’avons pas l’esprit de l’Eglise. Qu’on nous donne ou pas un
document de catholicité, nous le sommes, et nous le sommes pleinement,
totalement. Et ce diplôme de catholicité, c’est notre attachement à la foi
romaine, à la liturgie romaine, aux sacrements de l’Eglise, c’est notre
fidélité inébranlable au Siège de Pierre – fidélité fondée sur la foi et non
sur une obéissance volontariste ; ce diplôme de catholicité c’est vous,
chères familles nombreuses, c’est vous familles profondément chrétiennes d’où
naissent de solides vocations religieuses et sacerdotales.
Qui, plus que vous, chers
fidèles, adhérez à la doctrine de l’Eglise ? Qui plus que vous, êtes
attachés à la Rome éternelle, à la liturgie desaint Grégoire le Grand, de saint Pie V et de saint Pie X ? Qui plus que vous,
recevez des sacrements valides et non frelatés ? Serions-nous moins catholiques parce que nous
sommes rejetés par ceux qui ont dilapidé l’héritage ?
Certes nous n’avons pas de
structure canonique, et la légalité littérale est sans doute une chose
fort bonne. Oui sans doute, mais serions-nous moins catholiques parce que nous
ne possédons pas ces papiers en règle ? Est-ce pour cela que nous
respectons moins le Droit de l’Eglise ? Je vais dire une folie. Le Droit
de l’Eglise, nous l’avons bien davantage que ceux qui, au moyen de lois
pernicieuses, distillent les erreurs modernes et séparent ce que Dieu a uni.
En disant cela, je n’entends
évidemment pas dire que la sainteté est à tous les coins de rue dans la
Tradition et que le mal est impensable dans nos rangs. Mais à ce jour, aucun
homme n’a encore découvert un ordre des choses qui mette à l’abri des abus.
Autre l’héritage autre l’héritier. Et si nous ne valons pas mieux que les
autres, si nous ne sommes pas meilleurs que les autres, nous avons reçu bien
davantage. Car « Nous portons – comme le dite l’apôtre - des trésors
dans des vases d’argile » (3). Et si nous-mêmes nous sommes sujets aux
faiblesses, aux chutes, nous appartenons au camp du vainqueur. Courage,
petit troupeau, j’ai vaincu le monde (4).
Nous avons tout mes bien chers
frères. Tout ou presque. Nous sommes des enfants gâtés de Dieu, chéris de Dieu.
Et ce qui guette des enfants gâtés, c’est d’être blasés, c’est de passer à côté
d’une richesse reçue. « Il ne faut pas mépriser les dons du
Ciel » disait le poète.
Recevoir l’héritage, ce n’est donc pas le momifier, l’enfouir dans la terre comme le talent de l’évangile, mais c’est en vivre. Noblesse oblige.
Recevoir l’héritage, ce n’est donc pas le momifier, l’enfouir dans la terre comme le talent de l’évangile, mais c’est en vivre. Noblesse oblige.
Ne tombons pas comme ces
catholiques conformistes des années 50 qui avaient tout, qui multipliaient les
œuvres de toutes sortes mais qui en étaient venus à passer à côté de
l’essentiel, à ne plus comprendre la richesse qu’ils avaient entre les mains.
Alors, nous qui avons cette
richesse, comment vivre de cet héritage ? comment le faire
fructifier ? Peut-être que le Bon Dieu suscitera de nouvelles œuvres dans
notre belle tradition ? Peut-être ? Mais surtout, rappelons-nous
la parole de Notre-Seigneur à sainte Marthe. « Une seule chose est
nécessaire » (5). Et voilà ce qui prime pour l’Eglise aujourd’hui,
pour la France, pour nous : la sainteté.
Ce n’est pas plus de
communication, de technique qui changera la face du monde.
Ce sont des âmes de feu, des âmes
qui brûlent, qui vivent de cet héritage, qui en font l’âme de leur vie. Mais
pour qu’elles brûlent, ces âmes pour qu’elles brûlent doivent être embrasées
par le feu du Saint Esprit. Envoyez votre Esprit, Seigneur, et il se
fera une création nouvelle. Seul le feu de l’Esprit Saint éclairera ce qui
est confus, enflammera ce qui est froid, assouplira ce qui est rigide,
redressera ce qui est dévié, diffusera dans nos cœurs cet amour de Dieu que
rien ni personne ne pourra nous ravir.
Mes frères, les épreuves qui
frappent la société, nos pays, l’Eglise, nos vies, pourraient porter nos âmes à
la lassitude dans le combat, à baisser les bras ou à tomber dans l’amertume.
« Le plus grand mal –disait le
père Calmel - que puisse nous faire le monde, le mal, ce n’est pas
de nous faire souffrir, c’est de nous ramener à son niveau ». C’est donc à
un surcroît de vie intérieure que Dieu nous appelle. C’est par davantage
d’humilité, de pauvreté, de pureté, de détachement des biens de ce monde, et
surtout de vie intérieure, d’amour de Dieu que nous ferons fructifier ce
talent, cet héritage. Et la Sainte Vierge apparaît là comme le modèle par
excellence. Marie chante les richesses du Seigneur, mais Marie vit de cette vie
intérieure. Que dit l’évangile de tous ces gestes, de toutes ces paroles de
Notre-Seigneur. Qu’en faisait-elle ? Elle les repassait dans son cœur,
n’en perdant pas une miette. Marie était une âme intérieure, toute centrée sur
Dieu.
Et voilà à quoi nous sommes
appelés et c’est bien là aussi ce à quoi nous appelle Saint Louis-Marie Grignon
de Montfort en nous invitant à prendre Marie comme modèle.
Comprenons-nous bien, mes frères,
cette vie intérieure, il ne s’agit pas pour l’avoir de multiplier les pratiques
de pitié. Il faut sans doute une certaine quantité. Mais là n’est pas
l’essentiel. Il s’agit d’une prière tout intérieure, d’un élan de l’âme vers
Dieu, d’une vie chrétienne toute dirigée vers l’union à Dieu. Malgré toute leur
générosité, des chrétiens engagés qui ne sauraient dépasser le stade d’un
patenôtre récité du bout des lèvres, ces chrétiens seraient de bien pauvres
apôtres. Il n’y a qu’une différence entre un sépulcre blanchi et un temple du
Saint Esprit : ce qui l’habite.
Ah, si chacun d’entre nous, mes
frères, pouvait chaque jour, consacrer quelques instants à se mettre devant
Dieu, à le prier dans le silence de son âme, avec tout son cœur, tout son amour
d’enfant. Mais frères, la vraie vie elle est à l’intérieur de notre âme. Dieu
habite notre âme, nous avons la sainteté en nous. C’est cela la réalité. Tout
ce monde que nous avons autour de nous, ce monde disparaîtra. Mais ce lieu que
nous avons à l’intérieur de notre âme, c’est cela la réalité, ne l’oublions
pas. Ne perdons pas de vue l’essentiel. Et si nous vivons de cela, alors cet
héritage rayonnera car accepter un héritage, c’est s’engager à le transmettre,
intégralement, fidèlement, intelligemment. Tradidi : j’ai
transmis. C’est donc à un esprit missionnaire que nous invite cette parole
de l’Apôtre et ces trois athlètes de Dieu que nous commémorons cette année :
saint Louis-Marie, saint Dominique,
Mgr Lefebvre.
Et il s’agit de transmettre cet
héritage à un monde déboussolé, qui ne sait plus qui croire, que croire, s’il
faut croire, à un monde qui ne sait plus ou ne veut plus de règles, qui ignore de
plus en plus la fidélité de l’amour, à un monde d’adolescents qui n’a plus de
repères parce qu’il n’a plus de pères.
Et c’est pourquoi il appartient
de rappeler à ce monde que « Dieu l’a tant aimé qu’il lui a donné son
fils unique » (6), c’est pourquoi il nous appartient de rappeler cette
paternité de Dieu, non pas d’un Dieu bonace et libéral, mais d’un Dieu qui aime
ses enfants, et qui, parce qu’il les aime, les enseigne, leur montre le but à
atteindre, leur donne des repères, des règles pour bien vivre, qui a pour
chacun de ses enfants un dessein particulier, qui n’hésite pas à corriger ses
enfants et à punir les ingrats.
Mes frères, cette foi, nous
l’avons, ces règles morales, nous les connaissons, ces moyens de salut, nous
les possédons. Alors à nous qui avons cet héritage de le transmettre à toutes
les âmes de bonne foi.
Et comment le transmettre ?
L’heure est à l’authenticité. D’une parole nette, non pas dure et sans appel,
mais claire, bienveillante, loin de la langue de bois et de buis, de cet océan
quotidien de mensonges. L’heure est à l’authenticité d’une vie conforme à notre
foi. Que votre lumière brille parmi les hommes, afin qu’en voyant vos
bonnes œuvres, ils glorifient votre père qui est dans les cieux. « Nous
voudrions – disait Pie XII à
la jeunesse italienne - que personne ne parlât avec vous, ne traitât avec vous,
ne travaillât avec vous, sans en recevoir dans l’esprit un rayon de lumière
chrétienne » (7). « Le premier gage – disait-il également - de succès de votre
apostolat sera de posséder vous-mêmes en abondance ce trésor de l’amour de Dieu
» (8).
C’est en montrant à nos
contemporains une vie plus pacifiée, plus aimante, plus droite, plus pure, plus
pauvre, plus nourrie de la contemplation de Dieu, une âme ni raide ni amère que
nous serons apôtres.
Pour reprendre les paroles du P.
Calmel : que chaque chrétien, que chacun d’entre nous, aille au bout de sa
grâce, « Que chacun à notre poste et selon les lois particulières de notre
mission, soldat ou maître d’école, agriculteur ou magistrat ou petit employé,
ou prêtre du Seigneur que chacun aille jusqu’au bout de ses possibilités et de
son pouvoir » (9).
Et chers jeunes gens, chères
jeunes filles, qui êtes nombreux ici, vous avez marché avec courage, avec
entrain, pendant ces trois jours, ayez l’ambition de ne pas appartenir à une
jeunesse amollie, avilie, sans repères, toute bonne à profiter d’une vie
confortable, connectée et jouissive ; ne vous contentez pas non plus d’une
vie partagée, d’une vie mi-chrétienne mi-mondaine, n’ayez pas un cœur partagé
entre Dieu et le monde, mais apprenez à vous dévouer, apprenez à vous engager,
à vaincre, à prendre le relais, à prendre la flamme qu’il vous faudra un jour
transmettre. Oui chère jeunesse, soyez apôtre de l’absolu de Dieu, de l’absolu
de l’amour de Dieu.
Vous voyez la Vierge Marie,
c’est en étant comblée de grâces, en étant l’Immaculée Conception, en étant
dotée de toute cette sainteté sans pareil, qu’elle nous a donné Notre-Seigneur
Jésus-Christ, qu’elle nous a donné le Sauveur, elle est pour nous ce modèle.
C’est en étant profondément
remplis de Dieu profondément une vie profondément intérieure que nous pourrons
à son exemple à notre place transmettre ce que nous avons reçu. Ainsi soit-il.
Au nom du Père et du Fils et
du Saint-Esprit ainsi soit-il.
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(1) I Pi 2/9
(2) I Pi, 3/15
(3) 2 Cor 4/7
(4) Jn 16/33
(5) Lc 10/42.
(6) Jn 3/16.
(7) Pie XII, Allocution à la
Jeunesse italienne d’Action catholique, 4 novembre 1953 ; Les enseignements
pontificaux, Consignes aux militants, Desclée, 1958, p. 193
(8) Pie XII, Allocution à l’Union
mondiale des Organisation féminines catholiques, 29 septembre 1957 ; Les
enseignements pontificaux,Consignes aux militants, Desclée, 1958, p.
241.
(9) R. P. Calmel, « Autorité
et sainteté dans l’Église », Itinéraires, n° 149, p. 19.