Une biographie de l’abbé Denis Coiffet paraît ces jours-ci, écrite par Thierry Bouclier, aux éditions Terra Mare. A l’occasion de la Pentecôte et des pèlerinages de Chartres qui lancent de si nombreux pèlerins sur la route, l’évocation de ce prêtre qui nous a trop tôt quittés (il est mort en 2015) nous a paru particulièrement bienvenue.
— L’abbé Coiffet n’a-t-il pas joué un grand rôle dans l’organisation du pèlerinage de Pentecôte du Centre Charlier, dès ses débuts ?
— L’abbé Coiffet restera d’abord celui qui a prononcé, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le mot d’envoi du premier pèlerinage, le 21 mai 1983. Alors qu’il parlait quasiment toujours sans note, j’ai retrouvé le texte des paroles prononcées ce jour-là. Un grand moment d’éloquence. Ensuite, il aura été le fondateur et l’aumônier des chapitres enfants de 1985 à 2008. Ces chapitres sont certainement une des plus belles et émouvantes réussites de ce pèlerinage. L’abbé avait coutume de dire : « Les enfants sont les paratonnerres du pèlerinage. » Plusieurs personnes se sont converties à la simple vue du passage des enfants sur les routes de Chartres. Enfin, il est devenu aumônier général du pèlerinage à partir de 2011. C’était à lui que nous devions les thèmes des méditations depuis cette année-là.
— Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire cette biographie de l’abbé Denis Coiffet ?
— Contrairement à beaucoup, j’ai connu l’abbé Coiffet tardivement. C’était en 2008, à Lourdes, lors de la venue du pape Benoît XVI. Pendant six ans, nous avons été proches, dans la mesure où son nouvel apostolat s’est déroulé à Bordeaux, où je réside. Il m’a profondément marqué. C’était un phénomène. Il avait une foi ferme dans un gant de velours. Il ne portait pas de jugements. Dur avec le péché et tendre avec le pécheur. Sa diplomatie et sa gentillesse désarmaient les plus hostiles. Sa bonne humeur constante et son sens de la camaraderie faisaient mouche à chaque fois. Il donnait envie d’aller vers Dieu. L’historien Stéphane Courtois a pu lui dire : « Avec un curé comme vous, je crois que je pourrais être catholique. » Tout était aimable chez lui, même ses défauts.
— Avez-vous collecté des témoignages ?
— Outre de nombreuses archives, j’ai collecté une quarantaine de témoignages pour reconstituer toute sa vie, de son enfance jusqu’à sa mort : témoignages d’ecclésiastiques, comme le père Louis-Marie de Blignières de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, l’abbé Christian Bouchacourt de la Fraternité Saint-Pie X, l’abbé Paul Giard de la Fraternité Saint-Pierre ou le père Alain Dagron, curé de Bordeaux. De très nombreux laïcs, anciens scouts, amis ou paroissiens, m’ont également rapporté de nombreuses anecdotes.
— L’abbé Coiffet a beaucoup œuvré pour la jeunesse (scoutisme, formation). Cette œuvre était-elle vitale à ses yeux ?
— Elle l’était. A ce titre, l’abbé Coiffet se situe dans la lignée de saint Jean Bosco et du père Berto. Entre lui et les jeunes, « le courant passait ». Son autorité était naturelle. Son charisme séduisait. Il a laissé un souvenir inoubliable chez les scouts qu’il a encadrés comme chez les élèves dont il a été aumônier. Il n’hésitait pas à « mouiller la chemise ». Il a conduit un grand nombre de jeunes au sacerdoce. Pour lui, le catholicisme était la jeunesse du monde.
— L’abbé Bisig rappelle dans sa préface que l’abbé Coiffet « est resté un disciple fidèle de son père dans le sacerdoce, le grand missionnaire Mgr Marcel Lefebvre, pour qui la liturgie traditionnelle n’était pas un but mais le moyen très efficace de faire régner Notre-Seigneur Jésus-Christ (…) dans les cœurs des hommes ». La défense de la messe traditionnelle constituait-elle pour l’abbé Coiffet un élément essentiel de sa vie de prêtre?
— La rupture de 1988, à la suite des sacres de Mgr Lefebvre, resta toujours pour lui une douloureuse épreuve. Il a pu écrire que la Fraternité Saint-Pierre « est née dans la douleur, dans la croix demandée par Dieu et acceptée avec l’aide de sa grâce, pour obtenir le but que seul l’abandon à la volonté divine fait découvrir. La croix fut celle de l’incompréhension d’une décision de Mgr Lefebvre, les sacres de quatre évêques en désobéissance formelle aux ordres du pape Jean-Paul II… La croix fut d’être rejetés, en raison de notre refus des sacres, par le plus grand nombre de confrères comme par beaucoup d’amis de la première heure : nous étions devenus les traîtres et les ralliés ». Malgré cela, l’abbé Coiffet a toujours conservé une grande affection pour Mgr Lefebvre, sachant très bien ce que lui-même et l’Eglise lui devaient. Toute sa vie de prêtre a été guidée par une double boussole : la fidélité à la messe traditionnelle et la fidélité à Rome. L’une n’allait pas sans l’autre.
— A travers la vie de l’abbé Coiffet, votre but n’est-il pas d’évoquer cette période tourmentée de la vie de l’Eglise que représentent les 50 dernières années?
— Absolument. La vie de l’abbé Coiffet est le fil conducteur des cinquante dernières années de la vie de l’Eglise. Les jeunes générations vivent aujourd’hui dans une Eglise plus apaisée. La messe traditionnelle n’est plus, selon l’expression de Jean Madiran, « la messe interdite ». Mais, pour que cette messe retrouve droit de cité, il a fallu que de nombreux prêtres, dont l’abbé Coiffet, et de nombreux laïcs, se battent. La biographie de l’abbé Coiffet me permet de revenir sur les grands événements ayant marqué l’Eglise au cours du dernier demi-siècle : le concile Vatican II ; l’interdiction de fait de la messe traditionnelle ; la réaction de Mgr Lefebvre ; l’aventure du pèlerinage de Chartres ; les sacres de 1988 ; la fondation de la Fraternité Saint-Pierre ; la restauration de la messe traditionnelle dans sa plénitude. Tous ces événements du passé nous aident à comprendre le présent.
— L’abbé Vincent Ribeton, dans l’article consacré à l’abbé Coiffet qu’il a donné à Présent (26 septembre 2015), précise que l’exemple qu’il laisse est celui « d’un prêtre dont le cœur est toujours resté fervent et généreux ». Cette évocation vous paraît-elle juste?
— Oui, car malgré les épreuves de sa vie d’homme et de prêtre, il n’a jamais eu la moindre acrimonie. Son cœur ne s’est pas endurci sous les coups. Son zèle apostolique ne s’est pas amenuisé. Il a toujours gardé une fraîcheur d’âme, y compris au cours de sa douloureuse agonie. Une âme d’enfant.
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Propos recueillis par Anne Le Pape
Thierry Bouclier, L’abbé Denis Coiffet, zélé serviteur de l’Eglise, éd. Terra Mare, 2016.