Comparer la situation du traditionalisme en 2016 d’une part et l’acceptation du Concordat de 1801 ou le Ralliement de 1892 d’autre part laisse subodorer une forme de perte du sens de l’Église que pointait récemment du doigt l’abbé Schmidberger car, quand bien même vous dites ne pas vouloir extrapoler l’analogie, vous associez l’adhésion à l’Église catholique romaine, malgré toutes les misères de ses pasteurs, à la dépendance aux systèmes politiques les plus maçonniques de notre histoire (le Consulat et la IIIe République). L’énorme différence, c’est que le Siège apostolique comme les diocèses sont de constitution divine et que le lien qui nous relie à eux se situe à des années lumière de la simple hiérarchie politique. Que les autorités de l’Église nous persécutent et que nous nous trouvons dans la nécessité de refuser les erreurs que certaines favorisent est une chose ; que nous recherchions un séparatisme décomplexé en refusant en globalité tout ce que les supérieurs émettent, de bon comme de mauvais, comme si l’Église était décédée un 11 octobre 1962, en est une autre ! Personnellement, je préfère de loin la comparaison de Mgr Lefebvre qui, lors des ordinations de 1982, montrait que l’Église vivait sa passion, tel son divin époux, le Christ flagellé et crucifié.
Vous dites ne pas vouloir « juger
les partisans d'une paix avec Rome », mais à vous lire leur position relèverait
néanmoins d’une « motivation obscure », d’une « tentation » qui ne « s’avoue
pas », fruit d’une « lassitude », de la « peur de la marginalisation », de la «
pression sociale ou mondaine » ou d’une quête « d’honneurs recherchés ». En
réalité, sous votre plume, votre interlocuteur est déjà jugé. Il ne paraît
guère honnête de limiter ses motivations à la pusillanimité ou à une lâcheté à
court d’arguments sous prétexte que vous ne daignez pas mesurer l’importance du
lien hiérarchique – même s’il est malmené – au sein de l’Église catholique
romaine. On ne peut décemment le balayer d’un revers de main à moins de
remettre en cause la hiérarchie elle-même. Sans doute la régularisation
n’est-elle pas indemne de risques. Les apôtres n’ont pas attendu une mutuelle
tous risques avant de s’engager et au jour de la Pentecôte ils ont décidé de ne
pas rester calfeutrés au Cénacle. Ils sont allés éprouver leur foi aux quatre
coins du monde, malgré les dangers de meurtres ou de contamination. Il est
évident que cette normalisation ne coïncidera pas avec une fin du modernisme et
d’un paradis terrestre. Les difficultés continueront comme elles ont toujours
existé depuis 2000 ans.
La vision que vous présentez (des
vendéens qui attendent une France entièrement royaliste et catholique, des
monarchistes espérant vainement la restauration du roi absolu sur son cheval
blanc, ou des traditionalistes imaginant un retour soudain au catéchisme
pérenne en tout lieu et en tous temps) relève d’un romantisme bien peu réaliste
et caresse des suppositions qui n'ont pas prise avec les faits. C’est celui, je
le crains, qui a gagné les rangs des anticoncordataires qui ont formé la
nébuleuse de la Petite Église, des donatistes n’acceptant pas la trêve de
l’arianisme ou des derniers Cristeros qui ne se sont jamais
résigné aux dénouements en demi-teinte et qui ont terminé un combat désespéré.
Tous pouvaient assurément affirmer que le mal qu’ils combattaient n’était pas
mort lorsque les papes appelaient à des situations pragmatiques. Nous pouvons même
affirmer que ces maux (la révolution, la maçonnerie et leurs succédanées)
existent encore aujourd’hui. Quel partisan actif d’un « accord », écrivez-vous,
peut dire, au fond de lui-même, qu’il est totalement indemne du genre de
tentations d'affadissement ? Inversement, quel partisan actif d’un refus «
d’accord » peut dire, au fond de lui-même, qu’il est totalement indemne de ces
tentations de perte de sens de l’Église et d’adoption silencieuse du schisme ?
Néanmoins la situation d’il y a
trente ans a changé. Plaquer un argumentaire de 1990 sur la situation de la
Fraternité, c’est inconsciemment lui faire un immense tort qui ne prendra
aucunement auprès de la jeune génération à qui on affuble des arguments de
trahison sur des histoires qui ont eu lieu alors qu’ils n’étaient même pas nés.
Certes, la crise magistérielle est très vive dans les sphères romaines mais sur
le terrain, la situation du traditionalisme est radicalement changée. Mgr
Lefebvre et ses prêtres ne sont plus du tout le repoussoir des milieux Ecclesia
Dei. La messe traditionnelle est permise universellement. Les critiques de
la papauté émergent. Les derniers papes ont vanté les mérites de la FSSPX dans
des textes pontificaux. Les évêques ont entériné depuis quinze ans la prochaine
régularisation de la Fraternité que les médias annoncent à intervalles
réguliers. Sans doute la raison est-elle due à la désorientation actuelle du
clergé. Il est évident que vous pourrez trouver des exceptions, des cas de
prêtres mal vus par leurs évêques. Il n’en demeure pas moins que l’ère des
persécutions des années 1970 n’a plus cours aujourd'hui, à moins de vivre dans
le mythe. Quant à la thèse du piège laissant penser que Benoît XVI aurait ruiné
son pontificat pour orchestrer un guet-apens, elle ne tient pas une seconde la
route. Force est de constater qu’un traditionalisme est en train de s’implanter
dans l’Église, d’être réapproprié, même si ce n’est pas de façon fulgurante. Le
fait que les anciens de la FSSPX qui ont tout bâti et qui ont été les meilleurs
se permettent d'envisager la régularisation devrait faire réfléchir sans que,
pour autant, par réflexe, nous soyons obligés de les taxer de découragement.
Les milieux régularisés qui n’osent pas parler très fort, pas assez fort à
notre goût, adoptent une vie liturgique qui fait abstraction de Vatican II.
Inconsciemment, on comprend qu’ils n’en sont pas les adeptes et il paraît un
peu ridicule de les faire passer pour des adulateurs du Concile. Le pontificat
actuel ne doit pas cacher les tendances à l'oeuvre dans l’Église et qui se
réalisent à l’échelle temporelle de plusieurs pontificats, notamment le suivant
et celui qui le suivra. La réappropriation de la tradition est en train de
s’opérer. Elle est plus forte que ces figures ecclésiastiques soixante-huitardes
qui passeront. Se fera-t-elle sans la figure tutélaire de Mgr Lefebvre ou avec
lui ? C’est le fait que la FSSPX sera régularisée ou non qui le dira.