10 juin 2016

[Le Sel de la Terre] «Normalisation»?

SOURCE - Le Sel de la Terre - n°96 - printemps 2016

Au sujet du texte que nous examinons ici, l’abbé Franz Schmidberger a fait le communiqué suivant le 15 avril 2016: «Le document Réflexions sur l’Église, et la position de la FSSPX en son sein a été écrit par moi-même, de ma propre initiative, sans que personne ne m’y incite, ne m’y pousse ni ne m’en charge. Il représente mes propres réflexions, et a un caractère purement privé. Il a été communiqué à un petit cercle de personnes, en tout à neuf personnes: au Supérieur Général, à un autre évêque de la Fraternité, aux autres prêtres du Séminaire de Zaitzkofen, et à un laïc non nommé. Il n’a pas été montré aux séminaristes ni aux frères du séminaire, qui n’ont pas eu connaissance de son contenu. De même, aucune traduction dans une autre langue n’a été faite, ni envisagée, ni autorisée. Je n’ai aucune responsabilité dans la publication de ce document sur internet. J’assume naturellement les remarques que j’ai faites, et je les tiens pour pertinentes dans la situation actuelle de l’Église et de la Fraternité. Du reste, je ne m’interdis ni de penser ni de Sentire cum Ecclesia [1].» 
Même si le document avait au départ un caractère privé, sa diffusion sur internet l’a rendu public. Une reconnaissance canonique de la Fraternité Saint-Pie X ayant des conséquences dramatiques pour l’Église, nous pensons, tant qu’il est encore temps, devoir exposer publiquement les motifs qui poussent à refuser une telle reconnaissance. 
Le Sel de la terre.
Réflexions de l’abbé Schmidberger sur l’Église et sur la place de la Fraternité Saint-Pie X en elle

I. L’Église est un mystère. Elle est le mystère du seul vrai Dieu, présent parmi nous, le Dieu Sauveur qui ne veut pas que le pécheur meure, mais qu’il se convertisse et vive. La conversion nécessite notre collaboration.
[Commentaires du Sel de la terre:] I. Au mystère de l’Église, s’oppose celui de la Contre-Église. Depuis sa fondation, l’Église a dû lutter contre ses ennemis qui ont essayé de l’écraser dans le sang, de la pervertir par l’hérésie, de l’étouffer dans la boue. Une réflexion sur l’Église qui ne tiendrait pas compte de ses ennemis, surtout à l’heure actuelle, serait incomplète et amènerait à des conclusions fausses.
II. L’Église est infaillible dans sa nature divine ; mais elle est gérée par des hommes qui peuvent se tromper et en plus être encombrés de défauts. La charge du concerné doit être distingué de sa personne. Celle-ci occupe sa charge pendant un certain temps et puis s’en va, que ce soit par la mort ou par d’autres circonstances : la charge demeure. Aujourd’hui le pape François possède la charge papale avec le pouvoir de primat. A une heure que nous ne savons pas, il s’en ira et un autre pape sera élu. Mais tant qu’il occupera le Saint-Siège, nous le reconnaissons comme tel et prions pour lui. Nous ne disons pas que c’est un bon pape. Bien au contraire, il répand avec ses idées libérales et sa gestion de sa charge beaucoup de désarroi dans l’Église. Mais au moment ou le Christ instaura la papauté, il prévoyait tout le lignage des papes à travers l’histoire entière de l’Église, même un pape François. Et néanmoins, il a permis que celui-ci monte sur le trône papal. De façon analogue le Seigneur a-t-il instauré le Saint-Sacrement de l’autel tout en prévoyant bien des sacrilèges au cours de l’histoire.
[Commentaires du Sel de la terre:] II. Dieu a permis de tout temps à ses ennemis d’occuper des places dans la hiérarchie de l’Église. Judas, choisi par Notre-Seigneur lui-même, fut l’un des douze Apôtres et celui qui tenait la bourse. 
Mais, ce qui est particulier à notre époque, c’est que l’Église est occupée par un parti libéral et moderniste qui cherche à la détourner de sa fin pour la mettre au service des intérêts du mondialisme, c’est-à-dire du projet des loges et des arrière-loges de «reconstruction du Temple», par le biais de l’œcuménisme, de la fausse liberté religieuse, de la collégialité, etc. 
Lorsque les représentants de cette Église conciliaire réclament d’avancer vers la «pleine communion», ils demandent d’entrer dans ce mouvement au service des ennemis de Notre-Seigneur Jésus-Christ[2].
III. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X fut fondée en plein milieu de ces temps déconcertants par l’archevêque Mgr Lefebvre pour l’Église. Elle a vocation d’offrir à l’Église une nouvelle génération de prêtres, de conserver le vrai Saint Sacrifice de la messe et de proclamer le royaume de Jésus-Christ sur la société entière, justement en face de papes libéraux et princes de l’Église qui trahissent la Foi. Ainsi s’ensuivit inexorablement le conflit : la Fraternité fut exilé en 1975. Non seulement a-t-elle survécu à son exil, mais elle s’y est agrandie pour devenir pour beaucoup de gens un signe d’opposi­tion à l’œuvre de destruction qui se poursuit en notre temps. Cette opposition se révéla tout particulièrement le 30 juin 1988 lors du sacre, devenu nécessaire pour des causes internes, de quatre évêques nullius par Mgr Lefebvre.
[Commentaires du Sel de la terre:] III. Mgr Lefebvre a été suscité par Dieu pour résister à l’auto-démolition de l’Église. La Providence a mis peu à peu les œuvres fidèles à la Tradition à l’écart de ce système de l’Église conciliaire. Cela leur a permis de prospérer en gardant la foi et la morale.
IV. Toujours est-il que Mgr Lefebvre a continué après la condamnation de la Fraternité à chercher une solution en droit canonique pour elle et n’a pas craint de chercher le dialogue avec les autorités romaines ; à cet effet c’était important pour lui de les inciter à prendre conscience et ainsi à rebrousser chemin. Il continua ces efforts même après avoir sacré les évêques, en dépit du fait qu’en tant que réaliste il eût peu d’espoir de succès. Se servant d’un argument ad hominem, il demandait qu’on lui permît de faire « l’expérience de la Tradition ». Il reconnaissait donc pleinement le fait que la Fraternité se trouve dans une situation d’exception, et ce nullement de sa propre faute, mais de celle de ses opposants. La situation en est restée ainsi jusqu’à l’an 2000. À partir de ce moment-là Rome s’est occupée d’un règlement, parfois mue par rouerie, parfois à dessein honnête, et ce en fonction de la personne du côté romain qui s’était saisi du problème
[Commentaires du Sel de la terre:] IV. Mgr Lefebvre a toujours cherché à faire revenir les autorités romaines à la Tradition. Quand il demandait la permission de «faire l’expérience de la Tradition», c’était pour montrer par l’exemple que le salut de l’Église ne pouvait venir que d’un tel retour. 
Peu à peu, et de façon définitive à partir de mai 1988, Mgr Lefebvre a compris qu’un accord pratique ne pouvait se faire avant un accord doctrinal et il décida de réclamer de ses interlocuteurs qu’ils souscrivent aux grandes encycliques antimodernistes et antilibérales avant toute autre chose. 
A partir de l’an 2000, les autorités supérieures de la Fraternité Saint-Pie X ont commencé une évolution en sens contraire. Elles ont changé de politique, d’abord de façon discrète (notamment par les discussions dans le cadre du G.R.E.C. [3]), puis de façon publique à partir de 2011 après l’échec des discussions doctrinales (qui ont eu lieu de 2009 à 2011). Une tentative d’accord pratique a échoué en 2012, mais le principe d’obtenir un accord pratique avec des autorités continuant de prôner les erreurs conciliaires a été entériné par le chapitre général de 2012 et les discussions pour y aboutir ont perduré.
V. Le déclin dramatique et continu de l’Église dès lors et l’évolution simultanée et persistante de la Fraternité amenèrent l’un ou l’autre cardinal ou évêque à une prise de conscience partielle ou complète, mais pas pour autant toujours ouvertement avouée. Rome elle-même rabattit petit à petit ses exigences, et dans les propositions les plus récentes il n’est plus question d’une reconnaissance soit du 2e concile du Vatican, soit de la légitimité du Novus Ordo Missæ.
[Commentaires du Sel de la terre:] V. Il y a toujours eu dans l’Église conciliaire des prélats (cardinaux Gagnon, Palazzini, Oddi, etc.) qui regardaient assez favorablement la Tradition et voulaient l’aider. Il y a toujours eu aussi des prélats (cardinal Hoyos, Mgr Perl, etc.) qui ont cherché à attirer les traditionalistes dans l’Église conciliaire en leur proposant des «accords». Les conditions pour cela ont varié. Parfois on prétendait ne rien demander en échange (par exemple pour le Barroux), mais le résultat fut toujours le même: ceux qui se mettent sous l’autorité directe des prélats conciliaires finissent par abandonner le combat de la foi. 
A supposer que les autorités romaines actuelles ne demandent pas de reconnaître Vatican II, ni la légitimité du Novus Ordo Missæ, elles demanderont vraisemblablement à la Fraternité Saint-Pie X de se soumettre au nouveau Code. Elles surveilleront ensuite les nominations des supérieurs, et notamment le choix des nouveaux évêques, et, par ce moyen, en peu de temps, elles «normaliseront» la Fraternité et l’amèneront à n’être qu’une réserve de «traditionalistes» au sein de l’Église conciliaire, comme il y a des réserves de Peaux-Rouges aux USA. 
Rappelons-nous comment Benoît XVI voyait, de son point de vue, les avantages d’une «normalisation»: «Moi-même j’ai vu, dans les années qui ont suivi 1988, que, grâce au retour de communautés auparavant séparées de Rome, leur climat interne a changé; que le retour dans la grande et vaste Église commune a fait dépasser des positions unilatérales et des durcissements, de sorte qu’ensuite en ont émergé des forces positives pour l’ensemble[4].»
Ainsi semble être arrivé le bon moment pour régulariser la situation de la Fraternité, et ce pour plusieurs raisons :

1) Toute situation anormale tend de par sa nature vers la normalisation.
[Commentaires du Sel de la terre:] Il y a deux erreurs dans cette courte phrase: 
D’abord, il est faux que nous soyons dans une situation anormale. Bien au contraire, tant que la situation reste anormale à Rome (du fait de l’occupation moderniste), il est normal que nous nous maintenions à distance. 
Ensuite, il est absurde de dire qu’une «situation anormale tend de par sa nature vers la normalisation». Autant dire que toute maladie conduit à la santé. Sans doute tout malade souhaite retrouver la santé, mais il ne peut la retrouver tant qu’il conserve la cause de la maladie. Pour que la situation cesse d’être anormale, il faudrait que les membres de la hiérarchie, le pape en premier, rejettent le modernisme.
2) Ne perdons pas de vue le danger que des fidèles et certains confrères s’habituent à la situation anormale et considèrent celle-ci comme normale. L’opposition ici et là à une participation à l’Année Sainte, tout comme le mépris total de l’attribution par le pape François de la juridiction ordinaire de confesser – ayant toujours fait état de la situation d’urgence, c’est de plein droit que nous en avons réclamé la juridiction extraordinaire – laisse voir qu’il y a un problème. Si des fidèles ou des confrères se sentent bien dans cet état de liberté en ce qui concerne la dépendance de la hiérarchie, alors cela laisse prévoir une perte lente du sensus ecclesiæ. Nous n’avons pas le droit d’argumenter : « Nous avons la doctrine saine, la messe véritable, nos séminaires et prieurés, et avant tout des évêques. Donc il ne nous manque rien.»
[Commentaires du Sel de la terre :] L’obéissance de la foi est supérieure à l’obéissance aux hommes: «Mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes.» L’Église est fondée d’abord sur la foi avant de l’être sur l’obéissance. En se maintenant à une distance respectueuse de la hiérarchie gangrenée par le modernisme afin de se préserver de la contagion, Mgr Lefebvre a montré qu’il avait plus le sens de l’Église que ceux qui se sont ralliés à la Rome moderniste. 
Les exemples choisis par l’abbé Schmidberger font voir qu’il a perdu de vue la gravité de la crise. La participation à l’Année sainte est une participation à l’anniversaire de Vatican II et une approbation implicite de la nouvelle conception de la miséricorde de François. Quant à l’octroi d’une juridiction ordinaire, c’est un premier pas vers une reconnaissance canonique: les supérieurs de la Fraternité auraient dû refuser poliment.
3) Nous avons bel et bien des sympathisants et même des amis parmi les évêques et cardinaux. L’un ou l’autre nous appellerait volontiers au secours, nous donnerait une église ou bien même nous confierait son séminaire; mais dans la situation actuelle ils n’en ont pas la possibilité. Ces Nicodèmes attendent avec impatience une solution qui en plus les épaulerait personnellement. De toute façon mainte barrière tomberait et maint blocage se débloquerait chez des catholiques fidèles dans la foi mais anxieux. Les mentions dans les mass média et ailleurs d’une Fraternité schismatique ou apostate ou séparée de l’Église seraient à tout jamais déracinées.
[Commentaires du Sel de la terre:] Des évêques et cardinaux prêts à nous demander de l’aide: à quelles conditions? Une compromission avec les idées conciliaires que continuent d’avoir et de propager ces prélats. Nous représentons la foi de l’Église, et cela ne peut être mis au niveau d’une opinion à égalité avec les théories conciliaires.
4) Dans les années qui viennent nous aurons un besoin impératif de nouveaux évêques. Les sacrer sans mandat papal est certainement possible dans une situation d’extrême urgence. Mais si l’on peut sacrer des évêques avec la permission de Rome, il faut demander cette permission.
[Commentaires du Sel de la terre:] Si la Rome conciliaire donne la permission de sacrer un évêque, ce sera un évêque ayant le «profil» conciliaire. Or, précisément, Mgr Lefebvre a arrêté les discussions en mai 1988 parce que Rome réclamait qu’on lui présentât un candidat avec le «profil».
5) Les modernistes, les libéraux et les autres ennemis de l’Église sont très inquiets en ce qui concerne la solution pour la Fraternité en droit ecclésiastique. Est-ce que le discernement des esprits ne nous fait pas comprendre que c’est la bonne voie?
[Commentaires du Sel de la terre:] Les Montagnards ont éliminé les Girondins, avant de se faire éliminer à leur tour. C’est la loi de la Révolution d’aller toujours plus à gauche, en suscitant au besoin une réaction lui permettant d’avancer par une nouvelle synthèse (provisoire). 
Dans la dialectique moderniste bien décrite par saint PieX, le rôle des progressistes est d’aller toujours plus loin en s’opposant aux forces conservatrices, que l’autorité doit soutenir [5]. Ainsi l’autorité a le souci des retardataires. A chacun son rôle dans la Révolution. 
Le fait que les plus extrémistes des progressistes soient contre un «accord» ne prouve donc pas «que c’est la bonne voie ».
6) Comment l’Église peut-elle au juste surmonter sa crise? On ne voit aucun rayon d’espoir dans l’état actuel des choses. Par contre, un acte officiel de reconnaissance de la Fraternité déclencherait une agitation salutaire à l’intérieur de l’Église. Les bons seraient encouragés, les méchants essuieraient une déroute.
[Commentaires du Sel de la terre:] L’Église surmontera la crise par un retour de la hiérarchie, et en premier lieu du pape, à la Tradition. «Et toi, quand tu seras revenu, confirme tes frères» dit Notre-Seigneur à saint Pierre. 
C’est faire preuve de présomption que d’imaginer que l’entrée dans l’Église conciliaire de trois évêques et quelques centaines de prêtre va provoquer un retour à la Tradition. Cela représentera quelques gouttes d’eau rapidement assimilées par l’océan conciliaire.
VI. Réponse à quelques objections :

1) Comment peut-on rechercher une reconnaissance par le pape François ?

Réponse : Nous avons déjà indiqué la différentiation nécessaire entre la charge et la personne qui en est chargée. Le pape actuel a sans aucun doute le devoir, imposé par Dieu, de démontrer à chacun ce que fut en réalité le Concile et ce qu’opèrent ses dernières conséquences au sein de l’Église : le désarroi, la dictature du relativisme, la priorité accordée à la pastorale sur la doctrine, l’amitié avec tous les ennemis de Dieu et autres opposants de la chrétienté. Mais justement, c’est à cause de cela que certains comprennent les erreurs du Concile, à savoir en remontant à la cause à partir des effets. En outre, ceux qui ont misé trop sur la personne de Benoît XVI ont été complètement désemparés, lors de sa démission, pour ne pas avoir placé la fonction papale en première place et le détenteur de cette charge en second. Ne commettons pas la même erreur, en regardant trop la personne concrète au lieu de l’institution divine !

C’est peut-être justement le pape François avec son caractère imprévisible et ses improvisations qui serait capable d’une telle démarche. Les mass média lui pardonneront peut-être une telle mesure là où ils ne l’auraient jamais de la vie pardonnée à Benoît XVI. Avec son style de gouverner autoritaire, pour ne pas dire tyrannique, il serait très probablement capable d’imposer une telle mesure même contre une levée de boucliers.

2) Mais que diront les gens de la « résistance » ?

Réponse : Nous ne pouvons pas orienter nos actions sur des gens qui ont de toute évidence perdu le sens et l’amour de l’Église dans sa forme concrète. Ils sont d’ailleurs entre-temps totalement déchirés par des luttes intestines.

3) Vous devrez dorénavant observer le silence envers toutes les erreurs de nos jours.

Réponse : Nous ne nous laissons pas museler ; nous désignons les erreurs par leurs noms avant une normalisation et également après une normalisation. Nous voulons retourner de l’« exil » dans l’état où nous sommes aujourd’hui.

4) Le pape François a une réputation tellement mauvaise chez les catholiques qu’une reconnaissance de la Fraternité de sa part promet plus de dégâts que d’avantages pour elle.

Réponse : Nous avons commencé en faisant la distinction entre la charge et la personne qui en est chargée. Si François est pape – et il l’est –, alors il possède la juridiction sur l’Église entière, égal, si d’autre part il est utile à l’Église ou plutôt nuisible à elle. Prenons le chemin qui est utile à l’Église ; ne dirigeons pas notre opération selon la faveur des hommes, et Dieu nous bénira.
[Commentaires du Sel de la terre:] Nous passons sur les premières objections qui ne sont pas très fortes et ne commentons que les deux dernières.
5) Mais cette intégration dans le système conciliaire coûtera à la Fraternité son profil, peut-être même son identité.

Réponse: Tout dépend de la fermeté avec laquelle nous tenons et de qui convertit qui. Si nous nous y prenons énergiquement, étayés sur la grâce de Dieu, alors notre nouvelle situation deviendra une bénédiction pour l’Église entière. Où existe-t-il une autre communauté qui puisse entreprendre concrètement une telle œuvre de conversion? Certes, on ne doit pas compter sur ses propres capacités et vertus, mais justement sur l’aide de Dieu. Pensez au combat entre David et Goliath, et passons à une analogie : en tant que chrétiens nous sommes implantés dans un monde complètement sans Dieu, pourri, et nous devons y faire nos preuves. Le danger de contamination est grand ; et quand même nous devons et pouvons y échapper avec la grâce de Dieu. Une chose est certaine : une nouvelle situation ne facilitera pas notre activité, mais plutôt l’entravera ; néanmoins, elle la rendra d’autant plus féconde.
[Commentaires du Sel de la terre:] Cette réponse est bien téméraire. Comme le disait justement Mgr Lefebvre: «Ce ne sont pas les sujets qui font les supérieurs, mais les supérieurs qui font les sujets [6].» 
Une fois soumis directement et ordinairement aux autorités conciliaires, les membres de la Fraternité Saint-Pie X en recevront l’influence. 
En revanche, la situation actuelle permet de témoigner de manière plus efficace puisqu’elle permet de prêcher la vérité intégrale… si du moins l’on a l’énergie nécessaire. Mais a-t-on encore cette fermeté? On constate que depuis quelques années les autorités supérieures de la Fraternité Saint-Pie X ont faibli dans la dénonciation des erreurs de l’Église conciliaire et qu’elles ménagent le pape[7]. 
Quant à la comparaison avec David et Goliath, elle se retourne contre l’abbé Schmidberger. David représente la Tradition (petite aux yeux des hommes) et Goliath l’Église conciliaire (apparemment si formidable, car elle représente « l’autorité»). Or, David ne s’est pas approché de Goliath pour négocier un accord, mais pour le combattre… et lui couper la tête.
6) Toutes les communautés qui se sont soumises à Rome ou bien se sont assimilées au système conciliaire ou bien elles ont coulé.

Réponse: La situation initiale n’est pas la même. Dans notre cas c’est Rome qui exige une solution et qui s’est approché de nous; dans d’autres cas ces communautés sont allées à Rome comme suppliantes, souvent déjà en conscience de faute. Ensuite aucune d’elles ne possède des évêques, à part l’Association saint Curé d’Ars dans le diocèse de Campos au Brésil, où Mgr Rifan est prêt à tout compromis. Évidemment il y a besoin du rempart solide d’une structure ecclésiale correspondante. Celle-ci paraît quand même être assurée par une prélature personnelle. Jusque-là une telle structure n’a été proposée à aucune autre communauté. Enfin l’objection alléguée n’est que partiellement pertinente: la Fraternité Saint-Pierre existe par exemple déjà depuis plus de 27 ans et, du moins dans l’espace de langue allemande, est restée à quelques exceptions près fidèle à la messe traditionnelle. Toutefois, son assurance-vie était la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X à l’arrière-plan.
[Commentaires du Sel de la terre:] La dernière phrase est intéressante et suffit à elle seule à démolir toute l’argumentation. En effet, quelle sera l’assurance-vie de la Fraternité Saint-Pie X, une fois celle-ci normalisée? 
Que faire notamment si des prêtres (voire des fidèles) font appel d’une sanction ou se plaignent à Rome comme l’ont fait les «16 signataires» de la Fraternité Saint-Pierre en juin 1999? 
Remarquons aussi que l’abbé Schmidberger ne répond pas clairement à l’objection pour ce qui est de Campos. Mgr Rifan est prêt au compromis: c’est vrai pour aujourd’hui, mais ce n’était pas vrai avant qu’il passe un accord. Cela ne garantit donc nullement que la Fraternité Saint-Pie X, une fois les accords passés, ne fera pas de compromis. 
Enfin, l’abbé prend en exemple la Fraternité de Saint-Pierre. Le fait qu’elle reste «à quelques exceptions près fidèle à la messe traditionnelle» n’est pas du tout suffisant pour nous rassurer: en effet cette Fraternité a clairement abandonné le combat de la foi et ne dénonce pas publiquement les erreurs des autorités conciliaires.
VII. Bilan : Si Dieu veut venir efficacement en aide à son Église qui saigne de mille blessures, Il dispose de mille possibilités à cet effet. Entre celles-ci se trouve la reconnaissance officielle de la Fraternité sacerdotale par les autorités romaines. La Fraternité n’est-elle pas consacrée à la Bienheureuse Vierge, qui protégera et mènera son œuvre dans une nouvelle situation aussi ?
[Commentaires du Sel de la terre:] VII. On doit agir selon la prudence et ne pas tenter Dieu. Mgr Lefebvre avait bien noté les inconvénients d’un tel accord: 
«Relations avec les Congrégations et Ordres, avec statut spécial, mais malgré tout avec une dépendance morale, que Rome souhaite voir transformée le plus tôt possible en dépendance canonique. Danger de contamination. 
«Relations avec les évêques et un clergé et des fidèles conciliaires. Malgré l’exemption très étendue, les barrières canoniques disparaissant, il y aura nécessairement des contacts de courtoisie et peut-être des offres de coopération, pour les unions scolaires union des supérieurs – réunions sacerdotales – cérémonies régionales, etc. Tout ce monde est d'esprit conciliaire – œcuméniste – charismatique. 
«Nous étions jusqu'à présent protégés naturellement, la sélection s'assurait d'elle-même par la nécessité d'une rupture avec le monde conciliaire. Désormais, il va falloir faire des dépistages continuels, se prémunir sans cesse des milieux romains, des milieux diocésains[8].» 
Mgr Lefebvre disait encore: 
«Ce transfert d’autorité, c’est cela qui est grave, c’est cela qui est excessivement grave. Il ne suffit pas de dire: «On n’a rien changé dans la pratique [9]». C’est ce transfert qui est très grave, parce que l’intention de ces autorités, c’est de détruire la Tradition [10].» 
«Nous éprouvons la nécessité absolue d’avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise [11].» 
«Je vous conférerai cette grâce [de l’épiscopat], confiant que sans tarder le Siège de Pierre sera occupé par un successeur de Pierre parfaitement catholique en les mains duquel vous pourrez déposer la grâce de votre épiscopat pour qu’il la confirme [12].»
Dignare me laudare te, Virgo sacrata, da mihi virtutem contra hostes tuos. [Daignez, Vierge sacrée, que je vous loue, donnez-moi de la force contre vos ennemis.]

Zaitzkofen, le 19 février 2016

Abbé Franz Schmidberger, Regens
[Commentaires du Sel de la terre:] Ceux qui occupent l’Église et la détournent de sa mission ne sont-ils pas des ennemis de Notre-Seigneur et de Notre-Dame actuellement? Et si c’est le cas, pourquoi vouloir traiter avec eux en vue d’une «normalisation»?
----------
[1] — MCI nº 14 du 28 avril 2016, p. 7-8, medias-catholique.info. Adresse postale: 105 Route des Pommiers, Centre UBIDOCA, 10125, 74370 Saint Martin Bellevue. Nous avons pris, avec quelques corrections, la traduction donnée par MCI nº13 du 21 avril 2016.

[2] — «[Le pape] a aussi dit: Vous êtes catholiques, il a continué en disant: en cheminement dans la pleine communion.» Mgr Fellay, Sermon du 10 avril 2016 au Puy (Dici.org).

[3] — Voir Fr. Marie-Dominique O.P., «Le G.R.E.C.: Une histoire cachée, maintenant révélée», Le Sel de la terre 90, automne 2014, p. 142-158.

[4] — Benoît XVI, Lettre aux évêques de l’Église catholique au sujet de la levée de l’excommunication des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, 10 mars 2009.

[5] — «Or, toute société a besoin d'une autorité dirigeante, qui guide ses membres à la fin commune, qui, en même temps, par une action prudemment conservatrice, sauvegarde ses éléments essentiels. […] La force conservatrice, dans l'Église, c'est la tradition, et la tradition y est représentée par l'autorité religieuse. Ceci, et en droit et en fait : en droit, parce que la défense de la tradition est comme un instinct naturel de l'autorité ; en fait, parce que, planant au-dessus des contingences de la vie, l'autorité ne sent pas, ou que très peu, les stimulants du progrès. La force progressive, au contraire, qui est celle qui répond aux besoins, couve et fermente dans les consciences individuelles, et dans celles-là surtout qui sont en contact plus intime avec la vie.» (Pascendi dominici gregis, 8 septembre 1907.)

[6] — Mgr Lefebvre, dans Fideliter n°70, p. 6.

[7] — « Rome souhaite que nous attaquions moins ; et je suis d’accord.» Mgr Fellay, conférence au séminaire de Winona (USA) en février 2015. A Arcadia en Californie le 10 mai 2015, Mgr Fellay précisera : « Quand nous voyons le pape, des cardinaux, des évêques, dire des choses mauvaises, ne sommes-nous pas prêts à les critiquer rapidement ? Mais pensezvous que cela les aidera ? Une prière pour eux les aidera davantage. » Mgr Fellay a eu, le 21 septembre 2014, «un entretien cordial» avec le cardinal Muller (qui nie la virginité perpétuelle de la sainte Vierge: voir Le Sel de la terre 84, printemps 2013, p.165) et sa rencontre avec le pape François le 1er avril 2016 «s’est déroulée dans un climat cordial», selon les comptes-rendus officiels de la Fraternité Saint-Pie X.

[8] — Exposé de la situation, rédigé de la main de Mgr LEFEBVRE et remis par lui aux supérieurs et supérieures de communautés traditionnelles et à quelques prêtres, réunis par lui au Pointet, le 30 mai 1988.

[9] — Ou encore de dire: «Rome nous accepte tel que nous sommes.»

[10] — Mgr Lefebvre, Conférence à Écône le 8 octobre 1988.

[11] — Mgr Lefebvre, Lettre au pape Jean-Paul II, 2 juin 1988.

[12] — Mgr Lefebvre, Lettre aux futurs évêques, 28 août 1987.