SOURCE - Le Seignadou - juin 2017
Pendant plus de 20 années, j’ai occupé des postes d’autorité: recteur, directeur, prieur-doyen, supérieur… Par la grâce de Dieu, depuis 2004 je suis en position de réaliser que je ne suis pas plus malin que les autres et de voir les choses avec plus de détachement. Quand on est supérieur, on risque facilement de croire qu’on a nécessairement raison, et, si l’on a un tempérament scrupuleux, pessimiste, méfiant, inquiet, susceptible, voire prétentieux ou arrogant – ce qui est un signe de médiocrité – , on peut même en venir à donner des leçons à ses propres supérieurs ! Et j’ai appris à redouter ce faux-pli intellectuel qui porte à considérer que tout autre supérieur est nécessairement dans l’erreur quand son jugement est différent !
Pendant plus de 20 années, j’ai occupé des postes d’autorité: recteur, directeur, prieur-doyen, supérieur… Par la grâce de Dieu, depuis 2004 je suis en position de réaliser que je ne suis pas plus malin que les autres et de voir les choses avec plus de détachement. Quand on est supérieur, on risque facilement de croire qu’on a nécessairement raison, et, si l’on a un tempérament scrupuleux, pessimiste, méfiant, inquiet, susceptible, voire prétentieux ou arrogant – ce qui est un signe de médiocrité – , on peut même en venir à donner des leçons à ses propres supérieurs ! Et j’ai appris à redouter ce faux-pli intellectuel qui porte à considérer que tout autre supérieur est nécessairement dans l’erreur quand son jugement est différent !
Pourquoi vous confier cela ?
Parce qu’il m’est arrivé de me tromper lorsque la crainte de me tromper (ou
l’humilité) ne se mêlait pas à mes réflexions et à mes choix ! Je n’en suis pas
spécialement fier mais cela m’a rendu peut-être plus prudent (à défaut
d’humilité !) Mais ce retour en arrière m’a remis en mémoire certains
souvenirs.
Je me souviens par exemple que, dans
les débuts, Monseigneur encourageait ses prêtres à chercher des curés de
paroisse disposés à les accueillir pour les mariages et recevoir les
consentements, afin d’éviter les risques de contestation. Il nous est arrivé à
tous de procéder ainsi, et nul n’y a trouvé à redire.
Ou encore, alors que j’étais tout
jeune sous-diacre, j’avais accompagné Mgr Lefebvre aux obsèques de sa
belle-sœur. Monseigneur avait hésité puis choisi d’assister à la messe
(nouvelle) avant de donner l’absoute. Quelques jours plus tard, dans certains
bulletins paraissait un article : Rallions-nous ! L’exemple vient d’en
haut ! Née de l’église Conciliaire par Mgr Charrière, le 1er novembre 1970,
dans le diocèse de Fribourg, la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX)
retourne aujourd’hui à l’église Conciliaire !
Son fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, donnait un bel exemple, le 30 juin
1980 en participant « activement » au rite Conciliaire... etc… Rien de nouveau
sous le soleil !
Un autre souvenir plus récent est
celui de certaines réflexions d’un vénérable correspondant, évoquant le thème
trop connu de la communion à l’Eglise spirituelle, à la foi de l’Eglise sans
nécessité de recours à la communion hiérarchique. C’est ce que les hétérodoxes
de la fin du Moyen-Âge réclamaient et que le Concile de Constance a condamné en
Jean Huss. Selon saint Thomas d’Aquin et ses meilleurs commentateurs, comme la
nécessité n’a pas de loi, si le cas de nécessité se présente, la loi de
l’Eglise n’empêche plus que le prêtre absolve même sacramentellement, dès lors
qu’il a la puissance des clefs. C’est ce que l’on nomme la suppléance de
l’Eglise : Ecclesia supplet. Mais quand nous parlons de l'Eglise, il
s’agit de l’Eglise non séparée de sa tête visible. Cette suppléance de
juridiction ne s’exerce que par la relation essentielle que tout ministre doit
entretenir dans l'Eglise au moins avec le chef suprême.
Se dispenser du lien avec Pierre,
vivre et agir comme s’il n’existait pas, reviendrait à se priver de ce pouvoir
de suppléance.
Bref, je ne veux pas vous
assommer avec mes souvenirs, mais ils font partie de la formation de mon
esprit, sans doute limité et moins éclairé que d’autres… ce qui me préserve de vouloir
donner des leçons à mes supérieurs.
Cela dit, j’observe que les actes
de Jean-Paul II avec l’indult de 1984 et Benoit XVI avec le motu-proprio de
2007, qui avaient pour objet de reconnaître que la Messe Tridentine n’avait pas
été abrogée et d’en permettre donc la célébration, souffraient d’un profond
illogisme, en accordant la faculté de cette célébration à ceux qui ne
contestent pas les doctrines du Concile Vatican II. Pourquoi illogisme ?
Parce que la fidélité à la messe est intrinsèquement liée à la fidélité à la
doctrine dont elle est l’expression et le rempart : Trente et sa Messe, ou
Vatican II et sa messe. Le choix doit être total pour être cohérent. Et
l’indult de 1984 était déjà incohérent : Qu’il soit bien clair que ces
prêtres et ces fidèles n’ont rien à voir avec ceux qui mettent en doute la
légitimité et la rectitude doctrinale du Missel Romain promulgué par le Pape
Paul VI en 1970 et que leur position soit sans aucune ambiguïté et publiquement
reconnue. C’est l’illogisme du fameux nullam partem, que ne démentira pas le
motu-proprio de 2007. Si nous refusons le NOM, ce n’est pas parce qu’il est
moins beau, ou pour une histoire de latin ou d’orientation, mais bien parce
que, comme l’affirmait le Bref examen critique de 1969 : le nouvel ORDO
MISSAE s'éloigne de façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le
détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu'elle a été
formulée à la XXème session du Concile de Trente, lequel, en fixant
définitivement les "canons" du rite, éleva une barrière
infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte l'intégrité
du Mystère.[…] II est évident que le nouvel ORDO MISSAE renonce en fait à être l'expression
de la doctrine que le Concile de Trente a définie comme étant de foi divine et catholique.
Il n’est pas possible de séparer la Messe et la doctrine, et il est illogique
de se contenter de la Messe sans combattre les doctrines qui la
contredisent ! Certains s’en accommodent, je le sais, mais c’est une
attitude boiteuse, qui ne fut pas celle de Mgr Lefebvre et n’est pas celle de
la Fraternité. Alors, que Rome nous fasse quelques faveurs nous est agréable,
mais cela ne peut pas nous satisfaire, et tant que Rome n’acceptera pas de nous
donner une doctrine conforme à la Messe que nous célébrons, celle qui n’a
jamais été abrogée, nous attendrons des heures plus favorables pour cesser
notre résistance.
Quant à François, ses arguments
sont différents, et ses actes sont d’une tout autre nature. En fait, il n’a pas
d’arguments, et bouscule tout à son gré : doctrine, morale, droit canon,
etc. La situation est vraiment inédite
et théologiquement absurde : « malgré la persistance objective, pour
le moment, de la situation d’illégitimité dans laquelle se trouve la Fraternité
Saint Pie X », il est reconnu que nous avons le droit de faire ce que nous
faisons depuis quarante ans sans rien changer dans nos positions ! Bref, cela
sous-entend, sans le dire, que l’état de l’Eglise est tel que nous pouvons
administrer les sacrements validement ; c’est ce qui s’appelle l’état de
nécessité, qui fonde la juridiction de suppléance !
Car le plus anormal est bien dans
le fait que le pape n’a rien changé à ce que nous sommes : il ne nous a rien
concédé, mais il dit aux fidèles que nos confessions sont valides (ce qui
revient à admettre l’état de nécessité) et il dit à présent aux évêques qu’ils
peuvent nous « concéder des permissions pour la célébration de mariages de
fidèles qui suivent l’activité pastorale de la Fraternité ».
Pour faire cela, il n’invoque que
son désir « d’éviter les débats de conscience chez les fidèles qui
adhèrent à la FSSPX et les doutes sur la validité du sacrement de mariage, tout
en facilitant le chemin vers la pleine régularisation institutionnelle ».
Il s’agit donc d’une disposition en faveur des fidèles, et non d’un droit
nouveau accordé à nos prêtres ! Ces actes ne sont en rien le fruit d’un
accord quelconque entre Rome et la Fraternité, mais sont des actes unilatéraux,
non sollicités ni obtenus par quelque manœuvre secrète. La Fraternité en a été
informée comme tout le monde, par la presse ! Et leur raison d’être est
clairement affirmée : il s’agit du bien des âmes, et non de la situation
de la Fraternité ! Il est clair, et, en cela François est logique, qu’il
espère que cela nous conduira à une régularisation institutionnelle, mais cela
n’est pas inscrit dans les actes eux-mêmes.
Certains évêques, dont celui de
Carcassonne et celui de Fréjus ont déjà suivi les indications de Rome en
accordant à nos prêtres la faculté de célébrer les mariages, et je ne vois pas
comment nous pourrions nous opposer à cela ! Pour demeurer purs de toute
compromission, faudrait-il retourner son décret à notre évêque ? Dire à
nos fidèles que nos confessions ne valent rien, puisque leur validité est
admise par le Pape ?
Ne soyons pas idiots à force de
vouloir être plus intelligents que les autres, et admettons que la situation
est simplement absurde sans nous être défavorable : alors que nous sommes
« hors-la-loi » nos sacrements sont reconnus valides et conformes au
droit de l’Eglise ! Nous sommes toujours dans une situation
d’illégitimité, mais compétents ! L’état de nécessité perdure et Rome n’y
change rien mais déclare que ce que nous faisons en raison de cette nécessité
correspond au droit de l’Eglise ! Certes, Rome souhaite que nous nous
adressions aux évêques, et reconnaissions ainsi qu’il n’y a plus de nécessité,
mais cela ne trompera personne : l’état de l’Eglise est chaque jour plus
désastreux !
Tout cela a été clairement
rappelé dans l’analyse du document faite par nos supérieurs le 8 avril
2017 : Cet état de grave nécessité dans l’Eglise n’a pas disparu. Il ne
s’agit pas d’en nier la terrible réalité. […] Pour toutes ces raisons, les
fidèles se trouvent dans une situation de nécessité qui leur permet de recourir
aux prêtres de la Tradition. En vertu de la législation de l’Eglise, leur
mariage est certainement valide. Qu’aujourd’hui le pape demande aux évêques de
faciliter ce recours à la juridiction ordinaire, en assurant la régularité du
témoin autorisé qu’est le prêtre recevant le consentement des époux, ne fait
pas cesser cet état objectif de crise de l’Eglise.
Et nul doute que, dans
l’hypothèse où l’Ordinaire refuserait et de désigner un prêtre délégué, et de
« concéder directement les facultés nécessaires au prêtre de la
Fraternité », celui-ci célébrerait validement en vertu de cet état de
nécessité, tandis que l’évêque s’opposerait manifestement à la volonté du chef
suprême de l’Eglise.
Que tous se rassurent donc :
nous conservons toujours la possibilité de confesser et de célébrer nos
mariages comme toujours, sans rien demander à l’ordinaire ou au curé du lieu,
en raison de cet état de nécessité. Le texte n’impose aucune obligation, et se
limite à offrir une possibilité. Libre à nous d’en user ou non.
Alors, comme disait Mgr
Ducaud-Bourget : on continue, sans nous laisser troubler par les inquiets semeurs
d’inquiétude et de méfiance ! N’oublions pas de prier avant de parler ou
d’écrire, et de prier encore après l’avoir fait.
Par les mérites infinis du Très
Saint Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion
des pauvres pécheurs que nous sommes.