SOURCE - Anne Le Pape - Présent - 9 juin 2017
L’abbé de Servigny a présenté dans un entretien (voir Présent du 3 décembre 2016) son précédent livre, Joseph Ratzinger et l’esprit de la liturgie ancienne. C’est au sujet de son dernier ouvrage, Les Cathos sont-ils de retour ? qu’il nous répond aujourd’hui.
L’abbé de Servigny a présenté dans un entretien (voir Présent du 3 décembre 2016) son précédent livre, Joseph Ratzinger et l’esprit de la liturgie ancienne. C’est au sujet de son dernier ouvrage, Les Cathos sont-ils de retour ? qu’il nous répond aujourd’hui.
— Monsieur l’abbé, vous qui êtes en contact avec la jeune génération de catholiques dans votre paroisse de Versailles, comment la définiriez-vous ? En quoi est-elle différente de celle qui l’a précédée?
— On pourrait l’appeler la génération de la Manif pour tous, celle qui s’est lancée dans cette belle aventure portée par un nouvel élan de résistance aux errements culturels de la post-modernité. On y a vu son audace et sa détermination. Elle fut une surprise pour tous. On a mesuré là sa capacité à réagir.
Mais cette génération joyeuse et généreuse est aussi de son temps : façonnée par la culture de l’immédiateté, elle renâcle à tracer son sillon dans la patience et la persévérance par des engagements durables et solitaires. Si elle accorde beaucoup d’importance aux émotions, elle est moins attirée par l’intériorité, la lecture, le labeur de l’intelligence. Dans la vie de l’Eglise, cela se manifeste dans des engouements successifs, des engagements à court terme, une vie spirituelle où la sensibilité à une grande part et l’intelligence beaucoup moins. Et puis il y a ce talon d’Achille : les écrans, qui sont souvent un réel obstacle à toute forme de vie intérieure…
— Votre constat sur l’état de l’Eglise catholique, en tout cas en France, est lucide et donc assez accablant (4 % de catholiques pratiquants, souvent âgés, 1 % chez les 18-24 ans). Vous n’en concluez pas : « Moins de quantité mais plus de qualité », slogan à la mode dans les années 70 ?
— Dans toute vie, la nôtre y compris, il y a des moments de tiédeur où c’est plutôt les habitudes qui portent la vie de foi que l’inverse. Voilà pourquoi il y aura toujours et partout des catholiques fervents et des catholiques tièdes.
Mais c’est plutôt le nombre important (et la forte concentration) de catholiques qui peut tout à la fois permettre un enthousiasme nouveau dans la pratique dominicale (pour des jeunes éloignés de la foi par exemple), mais aussi favoriser une sorte d’affadissement dans la vie chrétienne (en des endroits où tout est un peu trop facile).
Quoi qu’il en soit, il faut passer de la Manif pour tous à l’approfondissement spirituel pour tous car, pour durer, toute résistance authentique s’enracine nécessairement dans une résistance et un combat spirituels.
— Vous évoquez une influence marxisante dans le clergé, vous citez notamment Mgr Decourtray parlant, en 1990, d’une « certaine connivence » avec le marxisme. Quelle est la tentation de nos jours?
— Dans l’Eglise, le marxisme et ses corollaires – le progressisme et l’anthropocentrisme radical – sont heureusement en train de passer. Mais elle en sort affaiblie et peu nombreuse. Si elle est alors plus unie et recentrée sur les vérités essentielles de la foi (Dieu, Jésus-Christ, l’Eglise), elle reste vulnérable devant les coups de boutoir de la déconstruction post moderne ; vulnérabilité qui se vérifie aujourd’hui, par exemple, dans l’affaiblissement de la morale familiale et conjugale.
— Les catholiques français sont-ils touchés par la « vaporisation », le morcellement, qui caractérisent notre société ? Ne sont-ils pas victimes eux aussi d’une certaine confusion ambiante?
— Dans une tribune de 2015 le père Humbrecht, op, employait pour parler des jeunes catholiques cette formule : les « intermittents du réveil ». C’est peut-être un peu sévère, mais cela illustre bien leurs difficultés à vivre d’authentiques engagements. « Le temps est supérieur à l’espace », répète souvent le pape François. C’est important de se le redire aujourd’hui, dans notre culture de l’immédiateté.
— Vous insistez sur le fait que le rôle du catholique est de « transmettre aux générations suivantes ». Est-ce encore possible de nos jours?
— Depuis des années, les catholiques ont abandonné le terrain culturel, laissant alors toute la place aux errements modernes et postmodernes dans la société française. Même si la tâche est immense, le travail de refondation culturelle doit s’amplifier : l’inventivité doit être mise au service de la reconstruction. Toutes les bonnes volontés seront nécessaires. Reste à promouvoir chez les cathos, pour supplanter l’obsession ambiante de la réussite, une culture de la transmission : on attend les professeurs, les journalistes, les magistrats, les artistes de demain ! La multiplication des écoles hors contrat, un peu partout en France, est déjà un signe encourageant de cette prise de conscience pour un renouveau culturel d’envergure.
Je n’oublie pas le rôle si important des parents et des grands-parents dans cet effort de transmission. Je veux leur dire qu’ils ont un trésor : une culture de la vieille France façonnée par des siècles de christianisme et qui constitue la meilleure part de leur patrimoine. Qu’ils prennent le temps de la transmettre à leurs enfants et leurs petits-enfants.
— Quelles sont selon vous les conditions d’un renouveau de l’Eglise catholique en France?
— Je donne quelques pistes dans le livre, mais elles ne sont pas des recettes toutes prêtes qu’il suffirait d’appliquer : un sursaut des consciences qui fait commencer ce renouveau par sa propre conversion, un esprit de résistance face à la culture capitaliste et hédoniste, un enracinement culturel par un investissement éducatif de tous…
— D’un mal peut sortir un bien : la place grandissante de l’islam ne peut-elle réveiller les consciences occidentales et leur faire redécouvrir leurs racines chrétiennes?
— Voici les mots de conclusion du livre : « Quant à l’islam qui occupe très largement les esprits ces derniers temps, viendra-t-il hâter ce mouvement de déchristianisation et recueillir le dernier souffle de l’Occident fatigué et amnésique qui a même oublié qu’il fut chrétien (cf. la question des racines chrétiennes de l’Europe) ou bien va-t-il au contraire favoriser le réveil des Occidentaux qui auront enfin le souci de redécouvrir leur identité, leurs racines et leur histoire ? (…)
« Effondrement numérique, mutation anthropologique, regain d’intérêt culturel, quête identitaire : l’Eglise catholique en France est soumise à des tendances contraires. Il est difficile de dire quels en seront les effets. Mais n’oublions pas que, si l’avenir de notre civilisation chrétienne dépend un peu de ces courants passagers et davantage de chacun d’entre nous, il appartient d’abord, mystérieusement, à la Providence divine. »
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Propos recueillis par Anne Le Pape
Gérald de Servigny, Les Cathos sont-ils de retour ? éd. Artège, 168 pages, 14,50 euros