SOURCE - Abbé Philippe Nansenet, fsspx - Le Petit Eudiste - mars 2017
Le cardinal Sarah a retenu notre attention par la parution de livres d'entretiens («Dieu ou rien» en 2015, et « a force du silence en 2016). De plus, comme préfet de la Congrégation pour le Culte divin, dans le cadre d'un congrès international organisé par le mouvement Sacra Liturgia, il a donné une allocution remarquée, à Londres, le 5 juillet dernier. Elle est rapportée avec les plus vifs éloges par Tu es Petrus, la revue des amis de la Fraternité Saint-Pierre, en son numéro de septembre 2016.
Le cardinal Sarah a retenu notre attention par la parution de livres d'entretiens («Dieu ou rien» en 2015, et « a force du silence en 2016). De plus, comme préfet de la Congrégation pour le Culte divin, dans le cadre d'un congrès international organisé par le mouvement Sacra Liturgia, il a donné une allocution remarquée, à Londres, le 5 juillet dernier. Elle est rapportée avec les plus vifs éloges par Tu es Petrus, la revue des amis de la Fraternité Saint-Pierre, en son numéro de septembre 2016.
De prime abord, le cardinal
Robert Sarah, Guinéen,
né en 1945, ordonné
prêtre en 1969, sacré évêque
en 1979, attire notre estime. Il
est issu d'un pays ravagé par la
persécution du sanguinaire Sekou
Touré. Le cardinal sait
rendre un hommage appuyé à
son prédécesseur, Mgr Tchidimbo
qui, par fidélité au Seigneur
Jésus, a connu l'atrocité
des geôles communistes. Mais
quelle conception de la liturgie
promeut-il aujourd'hui, de Rome?
Fait-il montre de courage? Et quand
même il en ferait, est-il en mesure de
remédier au désastre liturgique entraîné
par la révolution conciliaire?
Le cardinal, aussi bien dans le
chapitre trois de La force du silence («Le silence et le mystère sacré») que dans son allocution,
invoque et cite sans cesse les derniers pontifes
qu'il tente de rattacher à leurs prédécesseurs du
début du XXe. Dans le même temps, il se dit en
plein accord de vue avec le pape François. Cependant,
avec une naïveté qui ne peut être que diplomatique,
il ose quelques remarques acerbes. Il fait
remarquer entre autres choses: «J'ai vu des prêtres,
des évêques, habillés pour célébrer la sainte messe,
sortir leurs téléphones ou leurs appareils photos et
s'en servir au cours de la sainte liturgie… Il est
urgent, à mon sens, de réfléchir et de poser la question
de l'idonéité de ces immenses concélébrations…» |[1] Mais qui a multiplié les happenings
liturgiques avec des centaines de concélébrants?
Jean-Paul II! De plus, à l'heure de Amoris Laetitia, il
n'est pas non plus anodin d'écrire: «Certains prêtres
traitent l'Eucharistie avec un parfait mépris. Il voient
la messe comme un banquet bavard où les chrétiens
fidèles à l'enseignement de Jésus, les divorcés remariés,
les hommes et les femmes en situation d'adultère,
les touristes non baptisés qui participent aux
célébrations eucharistiques des grandes foules anonymes
peuvent avoir accès au corps et au sang du
Christ, sans distinction. L’Église doit examiner avec
urgence l'opportunité ecclésiale et pastorale de ces
immenses célébrations eucharistiques composées de
milliers et de milliers de participants. Il y a grand
danger à transformer le grand mystère de la foi en
une vulgaire kermesse et à profaner le corps et le
précieux sang du Christ.» [2] Ne vise-t-il pas là les
Journées Mondiales de la Jeunesse instituées par Jean-Paul
II et relayées par Benoît XVI et François?
Mais ne nous y trompons pas, le cardinal, tout
rempli de bonnes intentions qu'il est, reste un
conservateur embarrassé par les conséquences de
causes profondes qu'il semble percevoir par instants,
mais qu'il ne saurait dénoncer, car il va de soi pour
lui qu'en les promulguant, Paul VI a rendu les réformes normatives et leur a assuré licéité – autrement
dit bonté, légitimité - et validité [3]. Aussi, même
s'il ne passe pas sous un entier silence le Bref examen
critique placé sous le patronage des cardinaux Ottaviani
et Bacci [4] - étude qui démontre que le nouveau
rite s'écarte de manière impressionnante, dans l'ensemble
comme dans le détail de la théologie de la
Sainte Messe telle qu'elle fut définie lors de la 20e
session du Concile de Trente [5] - devant les nombreuses
dérives déplorables, le cardinal reste démuni:
il ne peut que crier à la trahison des intentions des
Pères du Concile Vatican II, «à de mauvaises interprétations» [6], «à des pratiques abusives» [7]. Notre
réponse de principe est simple et devrait rallier tout
esprit non prévenu : qui a mis en œuvre dans les diocèses
au fil des ans la constitution liturgique Sacrosanctum
Concilium et le Novus Ordo Missae? Les
Pères du Concile! C'est le législateur même qui a
été l’interprète, l'organisateur et l'exécuteur de la réforme. Dans ces conditions, est-il honnête d'en référer à une prétendue herméneutique des media qui se
serait imposée par de mystérieux canaux? Aussi ne
pouvons-nous pas lire le numéro 1 de la Constitution
comme le cardinal Sarah le fait. Mais commençons par le reproduire: «1) Puisque le saint Concile
se propose de faire progresser la vie chrétienne de
jour en jour chez les fidèles; 2) de mieux adapter aux
nécessités de notre époque celles des institutions qui
sont sujettes à des changements; 3) de favoriser tout
ce qui peut contribuer à l'union de tous ceux qui
croient au Christ 4) et de fortifier tout ce qui
concourt à appeler tous les hommes dans le sein de
l’Église, il estime qu'il lui revient à un titre particulier
de veiller aussi à la restauration et au progrès de
la liturgie.» Quatre raisons ont été données pour entreprendre
la réforme liturgique. Examinons-les.
A
la première et à la deuxième - «puisque le
saint Concile se propose de faire progresser la
vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles ; de
mieux adapter aux nécessités de notre époque celles
des institutions qui sont sujettes à des changements»
- nous pourrions répondre que le progrès de la vie
chrétienne ne nécessitait plus aucune réforme liturgique
majeure. Cette dernière était en voie d'achèvement.
De saint Pie X à Jean XXIII, les papes y
avaient travaillé. Il fallait surtout s'appliquer à la
mettre en œuvre et à en vivre. Le prurit d'adaptation à tout crin au monde qui change ne serait-il pas le
signe d'une incurable superficialité, la manifestation
de la substitution du souci de l'homme au souci de la
louange à l'adresse de la Trinité adorable? Pourquoi
ne pas continuer de prier comme d'innombrables
saints l'ont fait?
La troisième raison avancée – «puisque le Saint
Concile se propose de favoriser tout ce qui peut
contribuer à l'union de tous ceux qui croient au
Christ» – ne prête-t-elle pas le flanc à la critique
d'intention œcuménique ? «Bien sûr – répond le
cardinal, en substance – après le Concile certains ont
eu ce but en vue et ont cru pouvoir user de la liturgie
comme d'un moyen, mais les Pères eux-mêmes savaient
que cela n'est pas possible.» Des aveux de
taille ont pourtant manifesté le contraire. Témoin
l'ami de Paul VI, le philosophe Jean Guitton qui a
pu dire: «… Je ne crois pas me tromper en disant
que l'intention de Paul VI et de la nouvelle liturgie
qui porte son nom, c'est de demander aux fidèles une
plus grande participation à la messe, c'est de faire
une plus grande place à l’Écriture, une moins grande
place à tout ce qu'il y a, certains diront de magique,
d'autres de consécration transubstantielle, ce qui est
la foi catholique. Autrement dit, il y a chez Paul VI
une intention œcuménique d'effacer, ou du moins de
corriger, ou du moins d'assouplir, ce qu'il y a de trop
catholique au sens traditionnel dans la messe, et de
rapprocher la messe, je le répète, de la cène calviniste.» [8] Qui plus est, le principal auteur de la réforme liturgique, Mgr Bugnini, n'a pas caché cette
préoccupation œcuménique en écrivant, en 1965, à
l'occasion des modifications apportées à la liturgie
du Vendredi Saint: «L’Église a été guidée par
l'amour des âmes et le désir de tout faire pour faciliter
à nos frères séparés le chemin de l'union, en écartant
toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce
que l’ombre d'un risque d'achoppement ou de déplaisir.» [9] Pour ne pas déplaire aux protestants, l'offertoire
qui mettait déjà en lumière le caractère
sacrificiel de la messe a été remplacé par une formule
juive de bénédiction; le vernaculaire a chassé le latin; à l'autel, une table a été substituée, laquelle est
bien évidemment tournée vers l'assemblée; la communion
est distribuée dans la main etc... Le cardinal
s'en désole. Il voudrait reprendre d'une manière ou
d'une autre le chantier ratzingérien de la réforme de
la réforme, car c'est une question de vie ou de mort:
«Malgré les grincements de dents, elle adviendra,
car il en va de l'avenir de l’Église» [10]. Plus modestement, dans son allocution, le cardinal avance : « e
débat a parfois lieu sous l'intitulé de réforme de la
réforme… Je ne pense par qu'on puisse disqualifier la
possibilité ou l'opportunité d'une réforme officielle
de la réforme liturgique. [11] Et le cardinal de souhaiter
la réintroduction des prières de l'offertoire [12],
de souligner l'importance de la Messe célébrée tournée
vers l'abside, autrement dit vers l'orient, le plus
souvent, afin de parer au danger d'une assemblée autocélébrante.
Mais conscient des oppositions que les
propositions de redressement suscitent, il se contenterait
en définitive d'un simple orient mystique, d'une
croix posée sur l'autel. Il demande le rééquilibrage
entre les langues vernaculaires et l'usage du latin [13].
Certes, il n'ose pas aborder de manière directe la
question de la communion sur la langue, mais ce
qu'il dit de l’agenouillement pour sa réception suppose
le retour à la pratique millénaire. A vrai dire, sa
réticence à traiter de ce sujet se révèle éloquent! Le
cardinal est un prélat en cage, dénué de tout pouvoir
véritable. Il ne fait pas bon d'être une simple conservateur! Le camouflet d'un désaveu menace toujours! Pour preuve, l'introducteur de l'Allocution
dans Tu es Petrus, nous apprend, en maniant la litote [14] que: «la salle de presse du Vatican a donné
l'impression de relativiser la portée des propos du
cardinal, voire d'en infirmer les déclarations.»
Quand l’Église s'autodétruit, le salut n'est que dans
une réaction vive faisant suite à un diagnostic lucide.
Il faut porter le fer dans la plaie, ne pas se contenter
d'une cotte mal taillée. Que penser de cette proposition: «J'ajoute que la célébration pleine et riche de
la forme ancienne du rite romain, l'usus antiquior,
devrait être une part importante de la formation liturgique
du clergé. Sans cela, comment commencer à
comprendre et à célébrer les rites réformés selon
l'herméneutique de la continuité si l'on n'a jamais fait l'expérience de la beauté de la tradition liturgique que connurent les Pères du Concile eux-mêmes et qui a façonné tant de saints pendant des siècles?» [15] Sans le dire, le cardinal n'admet-il pas ici l’équivocité foncière et irrémédiable du nouveau rite? Peut-on alors continuer de le prétendre légitime ou licite alors même que le pape l'a promulgué? Ce n'est pas sans raison que beaucoup de protestants qui refusaient bien évidemment la messe traditionnelle, ont affirmé qu'ils ne voyaient aucune difficulté à utiliser le nouveau rite pour célébrer la cène protestante [16] Comme le disait un supérieur du District de France de la Fraternité, notre combat liturgique prendra fin quand on aura soufflé la dernière bougie de la dernière nouvelle messe, pas avant!
La quarième raison – «puisque le Saint Concile se propose de fortifier tout ce qui concourt à appeler tous les hommes dans le sein de l’Église» – ne laisse pas non plus de nous inquiéter. La liturgie s'adresse-t-elle à Dieu ou à l'homme? Nous tourne-t-elle vers notre Créateur et Sauveur ou vers le prochain, voire le lointain? Nous assistons ici à la naissance de ce qui est maintenant appelé inculturation. Notre cardinal se dresse là-contre: «Je suis Africain. Permettez-moi de le dire clairement: la liturgie n'est pas le lieu pour promouvoir ma culture. Elle est bien plutôt le lieu où ma culture est baptisée, où ma culture s'élève à la hauteur du divin.» [17] Il ne veut pas d'une africanisation, d'une latino-américanisation de la liturgie, il ne veut pas «d'une liturgie horizontale, anthropocentrique et festive, ressemblant à des événements culturels bruyants et vulgaires» [18]. Mais la destruction de l'offertoire
et son remplacement par la présentation des
dons n'en a-t-elle pas été l'occasion? De l'inculturation,
le cardinal garde le mot, mais s'efforce d'en inverser
le sens couramment admis: elle ne devrait
plus être selon lui l’appropriation de la culture locale
par la liturgie, mais l'appropriation par la culture locale
du message chrétien. Faisons remarquer qu'à
garder le mot, on risque fort d’avaler la chose telle
qu'elle existe et non pas telle qu'on aimerait qu'elle
fût! L’Église n'en a-t-elle pas déjà fait l'expérience
amère avec le terme de démocratie, sous Léon XIII?
En conclusion, peut-on dire comme le cardinal
que «les Pères n'avaient pas l'intention de faire
la révolution, mais une évolution, une réforme modérée»? 19 Il nous faut distinguer. Sans doute la plupart
des Pères ne savaient pas en 1963 qu'ils
donnaient le branle à une machine infernale. La
suite du Concile avec sa nouvelle conception de
l’Église comme communion hiérarchique qui place
le peuple de Dieu en première ligne les préparerait
bientôt à l'admettre (Cf. la Constitution Lumen
Gentium). La Révolution est un mouvement. La
Constitution Sacrosanctum Concilium doit être lue à
la lumière de tous les textes du Concile. La Révolution
liturgique, les Pères finiront par l'approuver ou
du moins par y consentir à quelques notables exceptions
près. Elle était déjà inscrite pour les initiés
dans ce premier numéro de Sacrosanctum Concilium,
sur lequel le cardinal veut s'appuyer pour engager un
renouveau liturgique [20]. Ce fondement n'est que du
sable! On se doit de le dénoncer si l'on veut rendre
sa splendeur au culte liturgique. Le cardinal veut reconstruire,
mais qu'il prenne garde de ne pas détruire
ce qui reste debout, sur l'ordre du pape François. La
Révolution aime à utiliser les conservateurs! Ainsi le
cardinal Sarah a-t-il rédigé le 6 janvier 2016 puis
promulgué le 21 janvier un décret qui modifie la cérémonie du lavement des pieds dans le rite romain.
Jusque là réservé aux hommes baptisés, il est désormais
étendu à l'ensemble des humains dans leur diversité.
Le droit s'aligne sur le fait du pape avec
l'accord d'un opposant conservateur!
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- TEP p 38
- LFDS p 160
- TEP p 31
- TEP p 38
- Nous lisons au début de la lettre à l'adresse de Paul VI : « Comme le prouve suffisamment l'examen critique ci-joint, si bref soit-il, œuvre d'un groupe choisi de théologiens, de liturgistes et de pasteurs d'âmes, le nouvel Ordo Missae, si l'on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus, ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l'ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu'elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement, les « canons » du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l'intégrité du mystère. » L'étude théologique qui accompagne la lettre se termine ainsi : « L'abandon d'une tradition liturgique qui fut pendant quatre siècles le signe et le gage de l'unité de culte, son remplacement par une autre liturgie qui ne pourra être qu'une cause de division par les licences innombrables qu'elle autorise implicitement, par les insinuations qu'elle favorise, et par ses atteintes manifestes à la pureté de la foi : voilà qui apparaît, pour parler en termes modérés, comme une incalculable erreur. »
- TEP p 31
- TEP p 33
- Catéchisme de la Crise dans l’Église catholique – abbé Gaudron – 2e édition – p 185
- Ibid. p 186
- LFDS p 203
- TEP p 37
- LFDS p 210
- TEP p 41
- TEP p 18
- TEP p 35
- ITINÉRAIRES N°192, p 16 et 17 :- Selon Max Thurian, de Taizé : Le Novus Ordo Missae « est un exemple de ce souci fécond d'unité ouverte et de fidélité dynamique, de véritable catholicité : un des fruits en sera peut-être que des communautés non catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l’Église catholique. Théologiquement, c'est possible. »- Selon M. Siegvalt, professeur de dogmatique à la faculté protestante de Strasbourg, « rien dans la messe maintenant renouvelée ne peut gêner le chrétien évangélique ».- Selon le Consistoire supérieur de la Confession d'Augsbourg et de Lorraine, « étant donné les formes actuelles de la célébration eucharistique dans l’Église catholique et en raison des convergences théologiques présentes… il devrait être possible, aujourd'hui à un protestant de reconnaître dans la célébration eucharistique catholique la cène instituée par le Seigneur… Nous tenons à l'utilisation des nouvelles prières eucharistiques dans lesquelles nous nous retrouvons et qui ont l'avantage de nuancer la théologie du sacrifice que nous avions l'habitude d'attribuer au catholicisme. Ces prières nous invitent à retrouver une théologie évangélique du sacrifice… »
- TEP p 25
- LFDS p 203
- TEP p 27
- SEDES SAPIENTIAE N°77, p 74 . En janvier 1963, le cardinal Suenens faisait paraître simultanément en sept langes le livre Promotion apostolique de la vie religieuse, et citait J. Chevalier : « Une identité de vie suppose un changement continu dont la continuité même suffit à assurer l'unité. » Ce mobilisme général n'entraîne-til pas à une révolution permanente?