En commençant cette première lettre à la veille de l’ouverture du Concile, me viennent à la pensée les paroles de saint Paul à Timothée (2 Tm 1,6) : « C’est pourquoi je te supplie de ressusciter la grâce de Dieu qui est en toi. »
Je dis : cette première lettre, parce que le mot qui a paru dans le premier Bulletin général après le Chapitre est comme un préliminaire, une introduction aux lettres que je veux vous faire parvenir.
Oui ! Il me semble que je ne puis résister au désir de m’adresser à tous les membres de la Congrégation et à tous les aspirants en ces jours qui précèdent immédiatement le grand événement de l’Église qu’est le Concile, faisant ainsi écho aux appels réitérés du Saint-Père le pape pour une plus grande générosité dans notre sanctification et une plus grande ferveur dans la sanctification de ceux vers lesquels nous sommes envoyés.
« Ressusciter la grâce qui est en nous », non seulement par l’imposition des mains pour le sacerdoce, mais aussi par l’imposition des mains de la profession religieuse signifiée par les bénédictions, j’ajouterai même la grâce qui est en nous par l’imposition des mains du jour de notre baptême et de notre confirmation ! En effet la grâce du sacerdoce et de la vie religieuse vient se greffer sur la grâce du baptême et de la confirmation et la parfaire. Nous l’oublions peut-être trop.
Nous qui avons le bonheur d’être consacrés tout spécialement à l’Esprit Saint et au Saint Coeur de Marie, n’avons-nous pas un devoir tout spécial de faire revivre en nous ce baptême de l’Esprit (Jn 1,33) que Notre Seigneur est venu apporter à ses disciples et à la Vierge Marie d’une manière éminente ?
Puisse cette reviviscence de l’Esprit se porter sur les trois points suivants :
1) – Que l’Esprit Saint vivant en nous, nous fasse prendre une conscience toujours plus vive de notre appartenance à l’Église tout entière encore soumise au souffle et au feu de la Pentecôte, image et signe de la lumière et de l’ardeur qui illumina et embrasa les coeurs des Apôtres à l’unisson du Saint Coeur de Marie. Et subitement se fit un bruit comme un souffle puissant venant du ciel et qui remplit la maison, et apparurent comme des langues de feu… (Ac 2,1 sq.).
Aujourd’hui encore cette Pentecôte continue et va apparaître d’une manière plus sensible à l’occasion du Concile. Nous devons être les premiers à recevoir cette nouvelle grâce, cette nouvelle impulsion qui remplira nos âmes de lumière et de générosité.
Nous sommes d’Église par notre sacerdoce et par notre profession religieuse. Il faut l’affirmer bien fort, notre profession religieuse nous lie d’une manière intime et particulière à l’Église. C’est dans les mains de l’Église que nous faisons profession, c’est au service de l’Église que nous nous consacrons, c’est pour être plus semblables à Celui dont l’Église est le Corps, Notre Seigneur Jésus-Christ que nous faisons nos promesses publiques d’obéissance, de pauvreté et de chasteté.
Nous voulons être comme un corps d’élite à la disposition du chef de l’Église, du successeur de Pierre pour les oeuvres difficiles et les âmes les plus délaissées. À cette fin et pour être plus entièrement sous l’influence de l’Esprit Saint, de l’Esprit de Notre Seigneur, nous nous efforçons de nous libérer plus parfaitement des impedimenta de ce monde : notre caprice, notre volonté propre, nos biens personnels, nos satisfactions personnelles. Ainsi nous serons tout entiers au Christ et à son Église.
Que ce soit donc notre point d’honneur et notre fierté d’être de parfaits serviteurs de l’Église, de conformer notre esprit, notre intelligence à notre foi, à l’Esprit de Vérité qui nous est donné par l’Église et par les dons de l’Esprit Saint, de soumettre parfaitement notre volonté et nos coeurs à l’Esprit de Vie qui nous conformera entièrement à la volonté du Père Céleste à l’image de Notre Seigneur. Qu’il n’y ait pas de place pour nos idées propres, mais que toutes nos idées soient celles de l’Église et du pape, que notre volonté soit de nous conformer à la volonté de l’Église.
Soyons heureux d’apporter notre concours, selon la manière qu’il plaira à Dieu, à nos évêques quels qu’ils soient. Ce sera notre manière de servir l’Église. Indirectement tout service dans la Congrégation est aussi un service rendu aux évêques dans leur apostolat. Quelle consolation pour nos coeurs d’apôtres de nous savoir tous serviteurs de l’Église !
Il ne devrait donc jamais avoir d’oppositions ou de difficultés entre la Congrégation et les évêques que nous servons. Il ne peut y en avoir dans le principe. Nous nous efforcerons donc toujours de nous mettre dans toute la mesure du possible au service des évêques pour collaborer à leur apostolat d’Église.
Dans cette insertion de notre famille spirituelle à l’Église, gardons ce qui caractérise notre famille : les ministères difficiles, les âmes les plus abandonnées. J’ajouterai volontiers ce qui caractérise aussi notre Société dès son origine et tout au cours de son histoire : la formation du clergé. C’est en gardant ces buts que notre Congrégation se développera et aura les bénédictions de l’Esprit Saint et du Saint Coeur de Marie.
2) – Mais quel est celui d’entre les missionnaires qui travaille « sur le tas » qui niera que, pour de tels ministères d’Église, il faut des âmes bien trempées et strictement attachées à Notre Seigneur et à son Esprit ?
C’est le deuxième point que je veux aborder.
Il nous est arrivé d’entendre dire de la part de certains confrères qu’ils étaient entrés dans la Congrégation, ayant comme premier but d’être missionnaires. D’autres au contraire affirment que nous sommes d’abord religieux et ensuite chargés d’un apostolat. Les deux options peuvent exister et existent sans doute. La Providence a ses voies qui ne sont pas les mêmes pour tous. Mais ce qui est certain c’est que nous sommes à la fois religieux et apôtres, et que notre état de religieux, loin de nous gêner dans notre apostolat, doit au contraire nous rendre plus véritablement apôtres.
Cette discussion me paraît bien vaine et manifeste chez certains une certaine incompréhension de la vie religieuse et de la vie apostolique.
Ne nous manque-t-il pas, pour nous aider à mieux juger de cette apparente opposition, les vues de l’Esprit Saint ? Notre Seigneur est venu essentiellement pour nous donner son Esprit dont la première et nécessaire conséquence, le premier effet, est de nous rendre religieux. Restaurer dans les créatures humaines, dans les âmes, la vertu de justice vis-à-vis de Dieu avec l’aide du don de piété c’est introduire en premier lieu la vertu de religion, dont les actes essentiels sont l’adoration, la dévotion, la prière.
C’est donc d’abord à la première effusion de l’Esprit Saint dans nos âmes au jour du baptême, puis à celle de notre confirmation qu’il faut remonter pour nous convaincre que nos âmes sous cette divine influence doivent devenir essentiellement adorantes, vouées à Dieu et priantes. Une âme chrétienne dénuée de ce premier et fondamental besoin d’adorer, de prier et de se dévouer totalement à Dieu manque à sa vocation chrétienne essentielle.
Si l’on comprend clairement que la première vertu de la créature humaine et de l’âme baptisée est d’être religieuse, de pratiquer la vertu essentielle de justice, on discuterait moins de la primauté de la vie religieuse sur la vie apostolique ou inversement.
Que dire alors de l’exercice de la vertu de religion par le prêtre qui se situe par définition, par toute sa fonction, dans la religion, puisque c’est son rôle de relier les hommes à Dieu par Notre Seigneur ! Le prêtre doit donc être éminemment religieux et manifester dans tout son être, dans toute sa vie, dans toute son attitude ce caractère religieux. Manifestation extérieure de ce qu’il est intérieurement, c’est-à-dire que son âme doit être adorante, priante et tout entière vouée à Dieu. C’est parce qu’il est prêtre, consacré aux choses de Dieu (He 5,1 ss) qu’il ne doit pas se mêler aux affaires de ce monde (2Tm 2,4) et que l’Église lui demande de garder le célibat, de renoncer à sa volonté propre et d’avoir l’esprit de pauvreté. C’est là une conclusion de sa similitude avec le religieux par excellence Notre Seigneur Jésus Christ (He 4,14).
Si, comme prêtre, nous devons mettre en oeuvre d’une manière particulière le don de piété qui anime la vertu de justice et de religion, faisant profession de religion, nous nous engageons à parfaire notre imitation de Notre Seigneur et, en conséquence, à être plus prêtre encore. Pour ceux qui ne sont pas prêtres, leur profession de religion donne au caractère de leur baptême et de leur confirmation une perfection telle qu’elle tend à les assimiler d’une façon plus parfaite à Celui dont la vie tout entière a été un acte de religion : Père, j’ai consommé l’oeuvre que vous m’avez donnée à faire, je vous ai glorifié sur la terre (Jn 17,4). Et c’est pour agir à son exemple que les religieux, s’approchant de la sainteté du fils de Dieu, imitent aussi son obéissance, sa pauvreté, sa chasteté.
La vie religieuse ainsi comprise, est d’une richesse de grâce insondable, parce qu’elle prend sa racine dans le baptême, dans la naissance spirituelle, dans la nouvelle vie, dans le nouvel Esprit qui nous est donné lorsque le prêtre a dit sur nous : Exi spiritus immunde et da locum Spiritui Sancto ; sors esprit mauvais et laisse la place à l’Esprit Saint.
Ainsi, une âme profondément marquée par le don de piété, donné en surabondance dans le sacerdoce et la vie religieuse, sera assoiffée de religion, de vie religieuse, c’est-à-dire d’adoration, de dévotion et de prière.
Cette âme ne pourra pas accomplir sa journée sans soupirer après ces moments bénis qui lui permettent d’être toute à Dieu, d’être absorbée en Lui, de vivre de cette vertu de justice, de religion, de piété, de manifester sa charité et son amour envers Celui qui est son tout.
Oserai-je dire que l’ordonnance des actes extérieurs importe peu, pourvu que la durée, le silence, le recueillement y soient ? N’est-ce pas la condition des prisonniers, des militaires, de certains malades privés de tous exercices mais qui trouvent le temps et le moyen de vivre certaines heures, ou du moins, certains moments prolongés avec Dieu, c’est-à-dire le moyen de vivre en religieux ?
Pour nous qui pouvons et devons organiser notre temps et en soumettre l’emploi au jugement de nos Supérieurs, nous devons aimer de toute notre âme notre bréviaire, notre messe, notre oraison et autres exercices de piété prescrits.
Puissions-nous ainsi donner une âme et une unité fondamentale à ces actes divers qui ne doivent être que l’expression et la nourriture de notre religion intérieure et spirituelle animée par l’Esprit de Notre Seigneur.
3) – Nous aboutissons ainsi naturellement et par voie de conséquence au troisième point : l’esprit de notre vie apostolique.
Mais quelle est la fin, le but de l’apostolat ? Notre Seigneur l’indique : Je suis venu en ce monde pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance (Jn 10,10).
Quelle est cette vie sinon une vie tout entière inspirée de religion ? Le désir des vrais apôtres est de communiquer à ceux vers lesquels ils sont envoyés l’Esprit de Notre Seigneur afin qu’il donne à leur vie son vrai sens, sa vraie signification, son véritable aboutissement : c’est-à-dire que tous demeurent définitivement en Dieu (Ap 21,4 et 7).
Tout notre apostolat est marqué de cette orientation restaurée par Notre Seigneur. Les hommes de toutes races, de toutes origines, attendent de nous par notre prédication, par notre enseignement, notre conversation, au sens scripturaire du mot, l’annonce du Christ et de sa rédemption, l’annonce du ciel et du chemin qui y conduit. Faire revivre dans les hommes la vertu de religion sous l’influence des vertus de foi, d’espérance et de charité chrétienne, c’est les introduire dans l’Église et la Jérusalem céleste.
L’Église nous donne les moyens d’atteindre ce but. Nos initiatives ne peuvent se situer que dans ce cadre donné par Notre Seigneur. Ces quelques principes fondamentaux doivent déterminer notre conduite dans l’apostolat. J’espère que la Providence me permettra d’en parler plus longuement dans d’autres lettres.
En conséquence, il ne doit pas y avoir d’opposition entre notre vie religieuse et notre vie apostolique. Elles sortent du même principe, s’alimentent aux mêmes sources et ont le même but. La distinction entre la vie contemplative et la vie active, la vie religieuse et la vie apostolique n’est pas adéquate. Car on peut dire en toute vérité que la vie contemplative est entièrement active, de cette activité surnaturelle et spirituelle qui fut en premier lieu la vie de Notre Seigneur. De même on doit dire que la vie religieuse et sacerdotale est essentiellement apostolique. Le bréviaire, la sainte messe, sont des actes de la vie religieuse et sacerdotale essentiellement missionnaires et apostoliques, sans lesquels un apostolat extérieur n’a plus de sens ni d’efficacité.
Les difficultés éprouvées entre les exigences de la vie religieuse et celles de la vie apostolique surgissent souvent de l’incompréhension et même de l’ignorance de ces vérités premières.
Par ces quelques considérations, je souhaite que tous les membres de la Congrégation trouvent un réel réconfort et un soutien dans leur attachement à leur vocation religieuse sacerdotale et apostolique.
Que l’Esprit Saint, en ce temps de Concile, ranime en nous les grâces qui feront de nous de vrais religieux, de vrais prêtres, de vrais apôtres. Demandons-le à Notre Seigneur par le Saint et Immaculé Coeur de Marie.