SOURCE - Abbé Jean-Michel Gleize, fsspx - Le Courrier de Rome - février 2018
1. La formule selon laquelle il faudrait « interpréter le Concile à la lumière de la Tradition » est souvent attribuée à Mgr Lefebvre. Et de fait, dans une conférence spirituelle à Écône, celui-ci avait en effet déclaré : « Dire qu’on voit, qu’on juge les documents du Concile à la lumière de la Tradition, ça veut dire évidemment qu’on rejette ceux qui sont contraires à la Tradition, qu’on interprète selon la Tradition ceux qui sont ambigus et qu’on accepte ceux qui sont conformes à la Tradition. C’est là une chose claire, je l’ai d’ailleurs mis dans une lettre au cardinal Ratzinger 1.»
2. Cependant, cette formule est attribuée à tort, car elle vient en réalité de Jean-Paul II. Le Discours adressé par ce dernier au Sacré Collège, au terme de la toute première année de son Pontificat, ne passa pas inaperçu en raison de cette allusion à la Tradition, alors objet de vifs débats. « Mais on ne peut pas non plus courir présomptueusement en avant », déclarait le Pape polonais, « vers des manières de vivre, de comprendre et de prêcher la vérité chrétienne, et finalement vers des modes d’être chrétien, prêtre, religieux et religieuse, qui ne s’abritent pas sous l’enseignement intégral du Concile ; intégral, c’est-à-dire entendu à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Église 2.»
3. L’expression pouvait sur le moment faire naître certaines espérances, mais trois ans plus tard, Mgr Lefebvre devait en dévoiler toute l’ambiguïté et toute l’insuffisance : « Dans la pensée du Saint-Père et dans la pensée du cardinal Ratzinger, si j’ai bien compris, il faudrait arriver à intégrer les décrets du Concile dans la Tradition, s’arranger pour les y faire rentrer, à tout prix. C’est une entreprise impossible. » Toute autre est la pensée qui devrait inspirer une Pape vraiment catholique, et Monseigneur l’indique à travers la phrase citée plus haut, en montrant quelle attitude devraient adopter des autorités romaines dignes de ce nom pour corriger les enseignements défectueux du concile Vatican II. S’il y a un tri, il peut se faire à différents points de vue. La simple autorité théologique des gens compétents peut y suffire à son propre niveau, mais son résultat ne saurait être que provisoire et s’entendre restant sauve toute détermination ultérieure du Magistère du Souverain Pontife. Seul celui-ci est en mesure d’accomplir le tri définitif et contraignant comme tel, car il est le seul à être pourvu de l’autorité nécessaire pour cela, autorité suprême du Pasteur et Docteur de tous les chrétiens. Monseigneur Lefebvre n’entend donc pas dire ici ce que nous devons faire et faisons en effet, nous les catholiques, évêques, prêtres et laïcs, demeurés fidèles à la Tradition ; il veut dire plutôt ce que devrait faire le Pape, le Saint-Siège de Rome, pour clarifier les textes de ce Concile. Car, si l’on envisage Vatican II comme un ensemble de textes, bien évidemment, il est toujours possible de faire le tri entre la vérité, l’équivoque et l’erreur, en prenant chaque passage isolément. Cet examen critique pourrait prendre forme dans le cadre d’un travail d’experts officiellement mandatés par le Pape ou d’une Commission de révision. Mais quoi qu’il en serait du mode de procéder, seule Rome pourrait accomplir une correction semblable et l’imposer définitivement.
4. Ce tri aurait pour objet de faire la distinction entre des documents contraires à la Tradition, des documents équivoques et des documents conformes à la Tradition. Mais considérer des documents comme conformes à la Tradition, c’est tout autre chose que de les considérer comme revêtus d’une valeur proprement magistérielle. Autre est la vérité ou l’orthodoxie catholique d’un document, autre est la nature de sa valeur doctrinale, magistérielle ou simplement théologique. La valeur magistérielle des documents de Vatican II est douteuse 3 , et le simple fait de devoir recourir à un discernement et à un tri ne fait que confirmer ce fait, car on ne saurait passer au crible d’un discernement et d’un tri des textes dont la valeur magistérielle est indubitable et reconnue comme telle. Les documents du Magistère sont en effet l’aune à laquelle la doctrine doit être jugée ; ils ne sauraient faire eux-mêmes l’objet d’un jugement. Affirmer la nécessité d’un pareil jugement, c’est affirmer aussi que la valeur magistérielle des textes soumis à ce jugement est problématique.
5. Voilà pourquoi il nous semble que l’on ne saurait tirer argument de la réflexion de Mgr Lefebvre rapportée plus haut pour conclure à la valeur magistérielle des textes de Vatican II. Il nous semble plutôt que cette réflexion est un argument – et un argument de poids – pour confirmer le fait par ailleurs solidement établi que le Fondateur de la Fraternité Saint Pie X avait un doute sérieux sur cette valeur magistérielle des textes du Concile.
Abbé Jean-Michel Gleize
1. La formule selon laquelle il faudrait « interpréter le Concile à la lumière de la Tradition » est souvent attribuée à Mgr Lefebvre. Et de fait, dans une conférence spirituelle à Écône, celui-ci avait en effet déclaré : « Dire qu’on voit, qu’on juge les documents du Concile à la lumière de la Tradition, ça veut dire évidemment qu’on rejette ceux qui sont contraires à la Tradition, qu’on interprète selon la Tradition ceux qui sont ambigus et qu’on accepte ceux qui sont conformes à la Tradition. C’est là une chose claire, je l’ai d’ailleurs mis dans une lettre au cardinal Ratzinger 1.»
2. Cependant, cette formule est attribuée à tort, car elle vient en réalité de Jean-Paul II. Le Discours adressé par ce dernier au Sacré Collège, au terme de la toute première année de son Pontificat, ne passa pas inaperçu en raison de cette allusion à la Tradition, alors objet de vifs débats. « Mais on ne peut pas non plus courir présomptueusement en avant », déclarait le Pape polonais, « vers des manières de vivre, de comprendre et de prêcher la vérité chrétienne, et finalement vers des modes d’être chrétien, prêtre, religieux et religieuse, qui ne s’abritent pas sous l’enseignement intégral du Concile ; intégral, c’est-à-dire entendu à la lumière de toute la sainte Tradition et sur la base du Magistère constant de l’Église 2.»
3. L’expression pouvait sur le moment faire naître certaines espérances, mais trois ans plus tard, Mgr Lefebvre devait en dévoiler toute l’ambiguïté et toute l’insuffisance : « Dans la pensée du Saint-Père et dans la pensée du cardinal Ratzinger, si j’ai bien compris, il faudrait arriver à intégrer les décrets du Concile dans la Tradition, s’arranger pour les y faire rentrer, à tout prix. C’est une entreprise impossible. » Toute autre est la pensée qui devrait inspirer une Pape vraiment catholique, et Monseigneur l’indique à travers la phrase citée plus haut, en montrant quelle attitude devraient adopter des autorités romaines dignes de ce nom pour corriger les enseignements défectueux du concile Vatican II. S’il y a un tri, il peut se faire à différents points de vue. La simple autorité théologique des gens compétents peut y suffire à son propre niveau, mais son résultat ne saurait être que provisoire et s’entendre restant sauve toute détermination ultérieure du Magistère du Souverain Pontife. Seul celui-ci est en mesure d’accomplir le tri définitif et contraignant comme tel, car il est le seul à être pourvu de l’autorité nécessaire pour cela, autorité suprême du Pasteur et Docteur de tous les chrétiens. Monseigneur Lefebvre n’entend donc pas dire ici ce que nous devons faire et faisons en effet, nous les catholiques, évêques, prêtres et laïcs, demeurés fidèles à la Tradition ; il veut dire plutôt ce que devrait faire le Pape, le Saint-Siège de Rome, pour clarifier les textes de ce Concile. Car, si l’on envisage Vatican II comme un ensemble de textes, bien évidemment, il est toujours possible de faire le tri entre la vérité, l’équivoque et l’erreur, en prenant chaque passage isolément. Cet examen critique pourrait prendre forme dans le cadre d’un travail d’experts officiellement mandatés par le Pape ou d’une Commission de révision. Mais quoi qu’il en serait du mode de procéder, seule Rome pourrait accomplir une correction semblable et l’imposer définitivement.
4. Ce tri aurait pour objet de faire la distinction entre des documents contraires à la Tradition, des documents équivoques et des documents conformes à la Tradition. Mais considérer des documents comme conformes à la Tradition, c’est tout autre chose que de les considérer comme revêtus d’une valeur proprement magistérielle. Autre est la vérité ou l’orthodoxie catholique d’un document, autre est la nature de sa valeur doctrinale, magistérielle ou simplement théologique. La valeur magistérielle des documents de Vatican II est douteuse 3 , et le simple fait de devoir recourir à un discernement et à un tri ne fait que confirmer ce fait, car on ne saurait passer au crible d’un discernement et d’un tri des textes dont la valeur magistérielle est indubitable et reconnue comme telle. Les documents du Magistère sont en effet l’aune à laquelle la doctrine doit être jugée ; ils ne sauraient faire eux-mêmes l’objet d’un jugement. Affirmer la nécessité d’un pareil jugement, c’est affirmer aussi que la valeur magistérielle des textes soumis à ce jugement est problématique.
5. Voilà pourquoi il nous semble que l’on ne saurait tirer argument de la réflexion de Mgr Lefebvre rapportée plus haut pour conclure à la valeur magistérielle des textes de Vatican II. Il nous semble plutôt que cette réflexion est un argument – et un argument de poids – pour confirmer le fait par ailleurs solidement établi que le Fondateur de la Fraternité Saint Pie X avait un doute sérieux sur cette valeur magistérielle des textes du Concile.
Abbé Jean-Michel Gleize
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1. MGR LEFEBVRE, « Conférence à Écône, le 2 décembre 1982 » dans Vu de haut n° 13, p. 57.
2. « Ex altera tamen parte nefas est audacter procurrere ad formas vivendi, intellegendi, prædicandi christianam veritatem vel etiam ad modos se gerendi ut christianum, sacerdotem, religiosum et religiosam, qui in integra doctrina Concilii non innituntur : in « integra » videlicet doctrina quatenus, intellegitur sub sanctae Traditionis lumine et quatenus ad constans Ecclesiæ ipsius magisterium refertur » - JEAN-PAUL II, « Discours d’ouverture lors de la réunion plénière du Sacré-Collège, le 5 novembre 1979 », n° 6 dans les Acta Apostolicae Sedis, vol. LXXI, année 1979, p. 1452 pour le texte latin, et dans la Documentation catholique n° 1775, p. 1003 pour la version française.
3. Cf. les articles parus dans le numéro de janvier 2018 du Courrier de Rome.