Dans cet article, Monsieur l’abbé Paul Robinson se demande si Monseigneur Marcel Lefebvre changea sa politique sur les relations avec Rome après les consécrations de 1988. L'auteur est prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, professeur au Séminaire de la Sainte-Croix, à Goulburn en Australie. L'original de cet article est en anglais ; il est consultable ici et là.
Introduction
Monseigneur Marcel Lefebvre est
connu pour avoir été, tout au long de sa vie, un homme d'une grande intégrité.
Il était inébranlable dans ses principes, honnête dans toutes ses transactions,
et charitable à l'excès. Parmi les idées fondamentales qui le guidaient,
il y avait les notions catholiques d'autorité et d'obéissance, qui dirigeaient
sa prudence héroïque, dans les nombreuses décisions difficiles qu'il avait à
prendre dans ses relations avec Rome.
Certaines personnalités semblent
cependant nier le fait que Monseigneur Lefebvre était un homme intègre de
principe dans ses idées sur l'Église et dans ses relations avec les autorités
romaines. Les uns l'accusent d'avoir tenu des principes contradictoires,
d'autres d'avoir changé ses principes après les consécrations épiscopales.
Cet article tente de défendre sa
réputation en considérant la position de Monseigneur Lefebvre et en montrant
qu'il ne l'a jamais changée. Nous examinerons d'abord la notion d'autorité chez
Monseigneur Lefebvre et comment cette notion a influencé son attitude envers
les autorités romaines. Ensuite, nous montrerons que les consécrations
épiscopales de 1988 n'ont pas amené Monseigneur Lefebvre à changer ni ses
principes, ni leur application.
Les principes de Monseigneur Lefebvre en matière d'autorité
La manière la plus utile de
considérer les principes de Monseigneur Lefebvre en matière d'autorité est de
comparer trois positions différentes concernant l'autorité de la Hiérarchie
post-conciliaire, où une majorité d'hommes d'Eglise a été plus ou moins
infectée par le modernisme. Ces trois positions sont les suivantes:
- Une hiérarchie moderniste n'a pas d'autorité ;
- Une hiérarchie moderniste a une autorité illimitée ;
- Une hiérarchie moderniste exerce légitimement l'autorité quand elle commande selon la foi, mais n'exerce pas légitimement son autorité quand elle commande contre la foi.
La première position juge
l'autorité sur la base des personnes. Si la personne utilise mal son autorité
ou est en déroute dans la théologie, alors elle perd son poste. Elle ne possède
plus aucune autorité. C'est une manière protestante de juger l'autorité, et le
camp sédévacantiste penche vers cette notion d'autorité.
La deuxième position juge
l'autorité uniquement sur la base de la fonction. Si une personne occupe un
certain poste, alors il faut faire tout ce qu'elle dit. Les catholiques
néo-conservateurs penchent dans cette direction, car ils soutiennent que le
pape doit être suivi aveuglément, à moins qu'il ne commande quelque chose de
manifestement peccamineux, comme la commission d'un meurtre.
La troisième position correspond
à la notion catholique d'autorité et était celle de Monseigneur Lefebvre. Il a
jugé l'autorité à la fois selon la fonction et les personnes. Ceux qui occupent
un poste reçoivent leur autorité de Dieu et continuent d'exercer légitimement
cette fonction, même lorsqu'ils abusent de leur autorité. Une distinction doit
cependant être faite dans la manière dont les autorités utilisent leur pouvoir.
Si celui qui commande exige quelque chose qui est moralement licite, alors il
doit être obéi ; s'il commande quelque chose qui est contre Dieu, alors il agit
en dehors de son autorité et on doit lui désobéir. C'est la position catholique
en matière d'obéissance qui vaut pour toutes les situations.
La conformité ou la discordance
d'un commandement aux lois de Dieu, est alors ce qui dicte le devoir d'obéir ou
de désobéir à l'autorité qui commande. Quand les subordonnés sont confrontés à
un cas manifeste où ceux constitués en autorité commandent ce qui est une
offense à Dieu, ils doivent désobéir; sinon, ils doivent obéir.
Références au principe
Monseigneur Lefebvre a
constamment appliqué la notion catholique d'obéissance tout au long de sa vie.
Cela était particulièrement vrai à l’égard de l'autorité de l'Église. Nous
illustrons cette affirmation par deux exemples : l’un d’obéissance à l'autorité
quand celle-ci n’en abusait pas et un exemple de désobéissance à l'autorité
quand celle-ci en a abusé.
Le premier exemple :
Monseigneur Lefebvre a fait face à une crise dans le district des États-Unis.
Certains de ses prêtres, dont le recteur du séminaire, monsieur l’abbé Donald
Sanborn, refusaient d'utiliser le missel de 1962, argumentant que ce missel
avait été promulgué par un pape moderniste, Jean XXIII. C'était un cas
classique où la personne exerçant l'autorité (le pape Jean XXIII) est regardée,
sans considérer s'il utilisait bien ou mal son autorité.
Monseigneur Lefebvre s’opposait à
un tel positionnement argumentant qu’il n'y a rien dans le missel de 1962 qui
constitue un danger pour la foi. Donc la FSSPX n'a aucune raison de le
refuser. Comme il l'expliquait aux séminaristes américains de l'époque, il ne
faisait, dans cette décision, qu'appliquer le principe de l'Église :
Le principe de l'Église est le principe de saint Thomas-d'Aquin ... Alors, que dit Saint Thomas-d'Aquin à propos de l’autorité dans l'Église? Quand pouvons-nous refuser quelque chose venant de l'autorité de l'Église ? Seulement quand la foi est en jeu. Seulement dans ce cas. Pas dans d'autres cas. Seulement quand la foi est en jeu. (1)
Le deuxième exemple concerne la
désobéissance à une autorité qui abuse de son pouvoir. Monseigneur Lefebvre a
exprimé le principe sur cette question, en 1978:
L'obéissance présuppose une autorité qui donne un ordre ou qui édicte une loi. Les autorités humaines, même celles qui sont instituées par Dieu, n'ont d’autorité que pour atteindre la fin assignée par Dieu et pour ne pas s'en détourner. Quand une autorité utilise le pouvoir en opposition à la loi pour laquelle ce pouvoir lui a été donné, une telle autorité n'a pas le droit d'être obéie et il faut y désobéir. (2)Dix ans plus tard, Monseigneur Lefebvre a cité le même principe en vue d’expliquer la consécration de quatre évêques contre la volonté des autorités romaines. Rome ne permettait pas à la FSSPX de continuer comme elle l'était. Or continuer ainsi était nécessaire pour garder la foi. Ainsi, la consécration de quatre évêques était une «opération de survie», une étape drastique nécessaire pour maintenir la foi. En ce cas, c’était justifié, même si cela était contraire à la volonté des autorités romaines. (3)
Application à la crise
Revenons aux trois positions en
matière d'autorité énoncées ci-dessus pour voir comment elles sont appliquées à
la décision prudentielle de savoir si l'on devrait ou non être sous l'autorité
d'une hiérarchie moderniste:
- Les sédévacantistes : les modernistes n'ont pas d'autorité. C'est pourquoi il ne faut pas se soumettre aux autorités de Rome de quelque manière que ce soit tant qu'ils ne reviennent pas à la Tradition.
- Néo-conservateurs : les modernistes ont toute autorité. C'est pourquoi il faut se placer sous qui que ce soit qui a autorité, peu importe ce que ces autorités commandent.
- Monseigneur Lefebvre: Les modernistes exercent légitimement l'autorité quand ils commandent selon la foi, c'est pourquoi on devrait se soumettre à l'autorité de Rome quand on peut être assuré de garder sa foi catholique. La base de cette assurance, dans le cas de la FSSPX, serait l'exemption de l'influence moderniste, par l'octroi d'une entité distincte, telle une prélature personnelle. Si la FSSPX obtenait une reconnaissance canonique « telle quelle est», elle serait laissée telle quelle, tout en étant sous l'autorité romaine, et serait ainsi capable de garder la foi.
Il devrait être clair que la
position de Monseigneur Lefebvre était tout à fait conforme à la notion
catholique d'autorité. Il devrait également être clair que ses décisions
prudentielles concernant la régularisation de la FSSPX sous une hiérarchie
moderniste étaient simplement une application de cette notion. Ainsi, il était
un homme d'intégrité dans ses principes et dans leur application.
Voyons maintenant les objections
contre cette position. La première objection est d’affirmer que les principes
de Monseigneur Lefebvre étaient incohérents et la seconde d’affirmer qu'il les
a changés après les consécrations de 1988.
L'objection de principes contradictoires
En 1994, onze ans après avoir été
expulsé de la Fraternité Saint-Pie X, l’évêque sédévacantiste Donald Sanborn a
écrit un article intitulé «Les Montagnes de Gelboe» (4). Il persiste à
dire que Monseigneur Lefebvre n'était pas un homme de principes. Si l’argument
de l’auteur était mis en syllogisme, il se présenterait comme suit :
Majeure : pour un homme de
principes, il n'y a que deux positions possibles à tenir dans cette crise:
- la ligne dure : rejeter l'autorité de l'Eglise post-Vatican II et maintenir la foi
- la ligne molle : accepter l'autorité de l'Eglise post-Vatican II et compromettre la foi. (5)
Mineure : Or Monseigneur Lefebvre
voulait accepter et être sous l'autorité de l'Eglise post-Vatican II (ligne
molle), et il voulait maintenir la foi traditionnelle (ligne dure).
Conclusion: Par conséquent, il
n'était pas un homme de principes fixes.
Il est évident ... qu'il y avait deux côtés opposés chez Monseigneur Lefebvre, capable de dicter sa propre théorie et sa propre ligne de conduite distincte et contradictoire. (6)
Il est évident ... qu'il y avait deux côtés opposés chez Monseigneur Lefebvre, capable de dicter sa propre théorie et sa propre ligne de conduite distincte et contradictoire. (6)
En tant qu'homme de foi, Monseigneur Lefebvre était d’une ligne dure ; en tant qu'homme d'Église, en tant que diplomate, il était un adepte d’une ligne molle. En tant qu'homme de principes, il n'était ni l'un ni l'autre. En tant que tel, il n'était pas un homme de principes du tout.
Donc, à son Chapitre Général de
1994, la FSSPX aurait dû :
- reconnaître que son fondateur avait des idées préconçues, mais qu'il était, au fond, un sédévacantiste,
- rejeter la fausse ecclésiologie de Monseigneur Lefebvre qui reconnaît l'autorité du pape et accepte la vraie ecclésiologie de ligne dure, (7)
- dénoncer la hiérarchie conciliaire comme hérétique,
- abandonner toutes les tentatives de régularisation.
Réfutation
Monseigneur Sanborn semble avoir
du mal à comprendre les principes supérieurs par lesquels Monseigneur Lefebvre
opérait et propose ainsi un faux dilemme (8) (Cf. Conférence du 5 novembre 1983, New York). Pour lui, il
faut soit accepter entièrement l'autorité, soit la rejeter complètement si l'on
veut avoir des principes cohérents. Il ne voit pas qu'il existe un troisième
scénario dans lequel il est possible d'être cohérent : accepter l'autorité
d’une part et la rejeter d’autre part.
Il est vrai qu'il est
contradictoire de soutenir que l'autorité doit être à la fois obéie et désobéie
sous le même rapport. Mais Monseigneur Lefebvre a soutenu l’obéissance aux
autorités post-conciliaires d’une part, dans ce qui ne constitue pas un danger
immédiat pour la foi, et la désobéissance d’autre part, dans ce qui constitue
un danger immédiat pour la foi. Aucune contradiction n'existe dans une telle
obéissance, mais c'est plutôt la définition même de l'obéissance catholique
vertueuse.
Une fois que nous réalisons que
Monseigneur Lefebvre a obéi au Pape comme Pape mais ne lui a pas obéi comme
Dieu, le faux dilemme de la ligne dure et de la ligne molle, qui tente de
diviser la vision unique de Monseigneur Lefebvre en deux personnalités
concurrentes, s'évapore.
Stratégie logique
Le fait que les conclusions de
Monseigneur Sanborn au sujet de Monseigneur Lefebvre découlent de ses prémisses
est quelque peu hors du propos de cet article, mais il est important de le
noter. Si nous acceptions une telle prémisse, à savoir que Monseigneur Lefebvre
avait une ecclésiologie contradictoire, il serait logique que nous n'ayons rien
à voir avec Monseigneur Lefebvre. Le catholicisme traditionnel, s'il en est,
consiste à tenir fermement aux vérités immuables de la foi, à ce qui a toujours
été cru, partout et par tous. Mais si Monseigneur Lefebvre n'était pas ferme
dans ses principes sur l'Église et son autorité - s'il soutenait que l'autorité
de l'Église devait être acceptée et rejetée, dans le même ordre d'idées - alors
il était sûrement, dans ce domaine au moins, plus proche du modernisme que du
traditionalisme.
De plus, il est de notoriété
publique que la Romanité était l'une des principales caractéristiques de
Monseigneur Lefebvre. Il a été formé au séminaire français à Rome, il a servi
fidèlement et avec zèle l'autorité directe de Rome en tant que Délégué
Apostolique en Afrique, il professait constamment aux membres de sa Fraternité
sacerdotale, son attachement à Rome et à l'Église. Ainsi, quand Monseigneur
Sanborn attaque la position de Monseigneur Lefebvre envers la hiérarchie
conciliaire, il attaque un aspect de Monseigneur Lefebvre proche de l’essence
de son identité sacerdotale. Si Monseigneur Lefebvre s’était trompé dans une
telle affaire, si importante pour lui, nous pourrions alors conclure que son
esprit entier, sa façon entière de voir la crise de l'Église, étaient également
erronés.
La stratégie de Monseigneur
Sanborn est donc cohérente:
- Établir que Monseigneur Lefebvre était un homme aux principes hésitants en ecclésiologie.
- Argumenter alors que Monseigneur Lefebvre ne devait pas être suivi dans ces principes et, en réalité, dans tout autre principe.
- Conclure que la position de Monseigneur Lefebvre doit être rejetée en faveur de la position dite de la ligne dure, ce qui conduit logiquement au sédévacantisme.
Celui qui accepte le premier
point devrait logiquement accepter ceux qui suivent. Nous avons montré
précédemment que le premier point est faux. Pour cette raison, nous n'avons pas
besoin de réfuter les deuxième et troisième points.
Il y a cependant une classe de
personnes qui acceptent le premier point sans accepter le second ou le
troisième. Ce sont ceux qui ont avancé la deuxième objection contre l'intégrité
de Monseigneur Lefebvre, en prétendant qu'il a changé ses principes en 1988.
Ils sont les membres d'un conglomérat des tenants de la ligne dure qui
travaillent sous le nom de «La Résistance».
L'objection de principes changeants
Les membres de la Résistance
séparent Monseigneur Lefebvre en deux périodes : le Monseigneur Lefebvre
d’avant les Sacres et le Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres, sans avoir
l'air de se rendre compte que, ce faisant, ils détruisent l'intégrité de
Monseigneur Lefebvre.
Le Monseigneur Lefebvre d’avant
les Sacres voulait l'autonomie pour la FSSPX sous l'autorité de Rome, le droit
de tenter «l'expérience de la Tradition», une reconnaissance canonique de la
FSSPX «telle quelle est». Ce premier Monseigneur Lefebvre est le même que celui
identifié par Mgr Sanborn, un Monseigneur partagé en « ligne molle »
et « ligne dure » qui veut la reconnaissance de la part d'une
hiérarchie à laquelle il s'oppose à bien des égards.
Selon la Résistance, le
Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres se rendait compte, que le premier
Monseigneur Lefebvre se trompait non seulement sur la question d'un
discernement prudentiel, mais sur les principes mêmes qui dirigeaient ses
négociations avec la Rome moderniste. Reconnaissant son erreur, Monseigneur
Lefebvre rejetait alors les faux principes sous lesquels il avait opéré pendant
toute sa carrière ecclésiastique et embrassait l'ecclésiologie de ligne dure:
vous ne pouvez pas vous placer sous l'autorité des modernistes, donc aucune
reconnaissance canonique ne doit être acceptée jusqu'à ce que Rome revienne à
la Tradition. Ce Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres, selon le discours de
la Résistance, a fermement maintenu sa nouvelle ecclésiologie durant les deux
dernières années de sa vie, et a voulu que sa Fraternité sacerdotale suive
cette ecclésiologie dans toutes ses futures relations avec Rome.
La Résistance est donc d'accord
avec le premier point de Monseigneur Sanborn : Monseigneur Lefebvre était un
homme aux principes hésitants en ecclésiologie. De là, cependant, la Résistance
se sépare de Monseigneur Sanborn et donc aussi de sa logique, ne semblant pas
réaliser, que si leur Monseigneur Lefebvre d’après les Sacres était le vrai,
alors:
- Il n'est pas un point de référence fiable pour les catholiques traditionnels ou même pour sa FSSPX.
- La Résistance devrait, au moins en principe, embrasser le sédévacantisme, car l'ecclésiologie de ligne dure est identique à une ecclésiologie sédévacantiste. Les deux ecclésiologies font de la reconnaissance canonique sous une hiérarchie moderniste une question de principe plutôt que de prudence et les deux ecclésiologies considèrent donc, explicitement ou implicitement, qu'une hiérarchie moderniste ne possède pas une autorité véritable.
En bref, la Résistance détruit la
crédibilité de Monseigneur Lefebvre en le dépeignant comme changeant fondamentalement
son point de vue sur l'Église, puis demande à chacun de respecter et de suivre
sa caricature de ce grand homme d'Église. Par son acceptation de
l'ecclésiologie de ligne dure, la Résistance sape le principe de toute
autorité, parce qu'elle sape sa base même. D’une charge accordée par Dieu et
qui se maintient indépendamment de la façon dont elle est utilisée, l'autorité
devient une qualité personnelle qui est perdue lorsque les subordonnés jugent
que la personne n'a plus la qualité. En projetant cette notion subjective
d'autorité sur Monseigneur Lefebvre post mortem, ils sapent tous les points
fixes pour les catholiques traditionnels qui le suivent. Le fruit de cette
stratégie est évident : le chaos total.
Monseigneur Sanborn, au moins, a
reconnu que les consécrations de 1988 n'ont pas amené Monseigneur Lefebvre à
changer son ecclésiologie d’une reconnaissance canonique de sa Fraternité
« telle quelle est » :
Peu de temps après les consécrations de 1988, Monseigneur Lefebvre a déclaré que les négociations se poursuivraient, et que peut-être dans cinq ans, tout serait résolu. (9)
En fait, Monseigneur Lefebvre n'a
pas changé de position; le double Monseigneur Lefebvre de la Résistance est un
mythe. Monseigneur Lefebvre, tout au long de sa carrière ecclésiastique, a
maintenu la notion catholique d'autorité en général et la notion catholique
d'autorité de l'Église en particulier. De même, de 1975 jusqu'à sa mort, il a
toujours tenu au même critère prudentiel de reconnaissance canonique, à savoir
que la FSSPX soit acceptée « telle quelle est ». Il était un homme de
principes, à la fois dans son jugement spéculatif et dans son jugement
pratique. En tant que tel, il était et est un point de référence fiable pour
les catholiques traditionnels et la Fraternité sacerdotale qu'il a fondée.
Pourquoi donc la Résistance
prétend-elle que Monseigneur Lefebvre a changé?
Citation hors contexte
La principale stratégie utilisée
par la Résistance pour convaincre à propos de son double Monseigneur Lefebvre
est l’utilisation de citation hors contexte. Cela consiste à considérer les
mots ou les écrits d'une personne dans un isolement complet du contexte où ils
ont été dits, afin de projeter sa propre position sur cette personne.
Nous pouvons prendre un exemple
de cette pratique dans le mouvement Feeneyite. Il cherche à prouver que
l'Église enseigne que seul le baptême d'eau fait parvenir au ciel, que les
baptêmes de sang et de désir ne sont pas salvifiques. Mais l'Église n'enseigne
pas cela. Il n'y a aucune déclaration du Magistère disant quelque chose comme:
"Quiconque croit que le baptême de sang est efficace pour le salut
éternel, qu'il soit anathème".
En tant que tels, les Feeneyites
concoctent une série impressionnante de citations des Pères et des Conciles
qui, prises hors contexte, semblent favoriser leur position. Par exemple, ils
citent ce qui suit du pape Eugène IV:
Personne, peu importe l'aumône qu'il a pu donner, même s'il devait verser son sang pour l'amour du Christ, ne peut être sauvé à moins de demeurer dans le sein et l'unité de l'Église catholique (10).
Les Feeneyites lisent ceci pour
signifier qu'on ne peut pas être sauvé par le baptême de sang. En fait, cela
signifie que celui qui meurt pour le Christ ne reçoit pas le baptême de sang
s'il meurt en opposition à l'Église.
Les mots de Monseigneur Lefebvre
Maintenant, la Résistance met en
avant, comme principale défense de sa position, de nombreuses citations de Mgr
Lefebvre. Aucune de ces citations ne dit "En principe, nous devons refuser
l'autorité de la Rome conciliaire jusqu'au jour où Rome reviendra à la
Tradition" ou "Je croyais que nous devions accepter la reconnaissance
canonique si elle nous gardait tels que nous sommes, mais maintenant je réalise
que je me suis trompé » ou « Il serait contraire à la foi d’accepter la
reconnaissance canonique dans n’importe quelles conditions avant que Rome ne
revienne à la Tradition ». Ainsi, la Résistance doit se contenter de citations
qui pourraient sembler étayer sa position, quand elles sont prises hors
contexte.
Voici, par exemple, une citation
post-consécrations, favorite de la Résistance, tirée de l’Itinéraire Spirituel
de Monseigneur Lefebvre:
C'est donc un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique de se séparer de cette Église conciliaire aussi longtemps qu'elle ne retrouvera pas la Tradition du Magistère de l'Église et de la foi catholique (11).Toute la question ici est de savoir ce que Monseigneur Lefebvre entend par «cette Eglise conciliaire». Le contexte immédiat fait référence à une décision du Secrétariat pour l'unité des chrétiens d'intégrer dans l'Église les non-catholiques tels qu'ils sont. Monseigneur Lefebvre semble ici identifier «cette» église conciliaire avec des actions de Rome qui sont contre le magistère pérenne. (12)
Ainsi, il semble dire que les
prêtres qui veulent rester catholiques ne doivent pas compromettre leur foi en
s'associant à de telles activités.
Mais la question de savoir si
Monseigneur Lefebvre estime qu'il n'y a pas d'autorité à Rome jusqu'à ce que
celle-ci retourne à la Tradition, n'est pas abordée par cette citation. Il est
tout à fait possible de réconcilier cette citation avec une reconnaissance canonique
qui permet aux prêtres d’agir en autonomie par rapport aux congrégations
romaines promouvant le faux œcuménisme.
Peut-être que les tous premiers
mots de l’Itinéraire Spirituel peuvent clarifier la position de Monseigneur
Lefebvre non filtrée par la Résistance:
C’est à vous particulièrement que s’adresseront les quelques pages qui vont suivre, vous prêtres et séminaristes de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, vous qui, en ce jour, renouvelez vos engagements dans cette société catholique et romaine, approuvée officiellement par les ordinaires des lieux et par les autorités romaines.
Si nous désirons affirmer que
Monseigneur Lefebvre est, de quelque manière que ce soit, un homme intègre et
cohérent, nous devons réconcilier cette citation, qui reconnaît l'autorité de
la hiérarchie ecclésiale post-Vatican II, avec sa citation qui nous appelle à
nous séparer de 'cette église conciliaire'. Le moyen logique de les réconcilier
est de recourir à sa position claire et constante sur l'autorité de l'Église: elle
doit être suivie quand elle est conforme à la foi, et on doit s'y opposer quand
elle agit contre la foi. Au lieu de faire cela, la Résistance choisit de
déchirer Monseigneur Lefebvre en deux morceaux, pour détruire sa constance et
son intégrité, et ainsi saper toute son autorité morale.
La charité de défendre l'intégrité
Peut-être plus hardiment, la
Résistance fait la même chose avec les gens vivants. Elle affirme que
Monseigneur Fellay et son Conseil général ont tenu l'ecclésiologie de ligne
dure en 2006, mais ont ensuite changé pour l’ecclésiologie de la reconnaissance
canonique "telle quelle" en 2012, malgré toutes les protestations
contraires de ceux-là mêmes dont la Résistance affirme comprendre les
positions. Ainsi, la Résistance crée un deuxième Monseigneur Lefebvre et un
deuxième Monseigneur Fellay, puis procède à la persécution du deuxième
Monseigneur Fellay pour ne pas avoir suivi le premier Monseigneur Fellay et le
deuxième Monseigneur Lefebvre. Les résistants ne semblent pas avoir l'impression
que Monseigneur Lefebvre et Monseigneur Fellay sont des hommes intègres, se
tenant à des principes catholiques inchangés sur la nature de l'autorité.
La charité nous commande de ne
pas chercher, autant que possible, à juger si notre voisin est tombé dans des
contradictions. Cela est d'autant plus vrai quand des personnes constituées en
autorité sont concernées. L'Église a une longue histoire de la pratique de
cette charité en interprétant les textes de ses grands personnages. Les Pères
de l'Eglise, par exemple, ont toujours cherché à montrer que les Evangiles ne
se contredisent jamais quand ils racontent de différentes manières le même
épisode de la vie de Notre-Seigneur. Saint Thomas d'Aquin est passé maître dans
l'interprétation des citations contestables des Pères de telle sorte qu’ils ne
tombent pas dans l'erreur.
Au contraire, les exégètes
modernistes pratiquent une anti-charité en trouvant partout des contradictions.
Pour eux, les livres de l'Écriture se contredisent constamment, les livres
individuellement pris sont si incohérents qu'ils doivent avoir plusieurs
auteurs, et chaque chapitre et même chaque verset est si désespérément
diversifié qu'il a dû subir de nombreux changements à travers les âges. En fin
de compte, les modernistes ne semblent pas croire que quelque chose de fixe et
de constant peut exister.
Mais laissez-les simplement
regarder la vie de Monseigneur Lefebvre et ils y trouveront une réfutation
vivante de leur position. Les consécrations épiscopales de 1988 ne l'ont
nullement fait changer de principes. Si Monseigneur Lefebvre retirait sa
signature du protocole de mai 1988 - protocole qui aurait conduit à la
reconnaissance canonique - ce n'était pas parce qu'il cessait de reconnaître
l'autorité des prélats avec lesquels il traitait. Au contraire, c'est parce
qu'il a perdu confiance en eux, en ce sens que ceux-ci refusaient
continuellement de fixer une date pour la consécration d'un évêque. Fixer une
date était devenu le critère de Monseigneur Lefebvre pour faire confiance à
Rome. 13 La date du 15 août était finalement fixée, mais accompagnée
d'un demande de nouveaux candidats à la consécration. Monseigneur Lefebvre a
constaté que le fait de recommencer le processus d'examen des candidats
entraînerait le dépassement de la date du 15 août et que les consécrations
seraient retardées une fois de plus. Alors, il est allé de l'avant en fixant
les consécrations au 30 juin 1988. Il l'a fait seulement après avoir précisé
qu'il n'y avait aucun problème moral avec la signature du protocole. Comme s'il
s'adressait à ceux qui l'accuseraient d'agir selon de mauvais principes, il a
dit à ses séminaristes, le 9 juin 1988 :
«Oui, c'est vrai, j'ai signé le protocole le 5 mai, un peu du bout des doigts, il faut bien le dire, mais quand même ... Bon, en soi, c'est acceptable, sans quoi je ne l'aurais pas signé, bien sûr ... »
Conclusion
Le Monseigneur Lefebvre de
Monseigneur Sanborn, celui qui tient une ecclésiologie contradictoire et
illogique, est de l’ordre du mythe. Une position selon laquelle l’autorité doit
être obéie ou désobéie sur la base de la conformité de ses commandements à la
foi et à la morale est loin d’être contradictoire ; une telle position est
tout à fait catholique.
Le Monseigneur Lefebvre de la
Résistance, celui qui a changé sa conception de l'autorité et son application à
la crise, après les Sacres, relève aussi du mythe. Jusqu'à son dernier jour,
Monseigneur Lefebvre a reconnu l'autorité de la hiérarchie conciliaire. Il
était toujours, en principe, disposé à accepter une reconnaissance canonique de
la FSSPX «telle qu'elle est». Ce n'est que lorsque les motivations
malveillantes des Romains voulant reconnaître la FSSPX sont devenues claires
qu'il a prudemment retiré, non ses principes, mais sa signature.
Le véritable Monseigneur Lefebvre
- l'homme de l'Église, le champion de l'orthodoxie, le phare de la pureté
doctrinale et de la charité missionnaire - était un homme d'une intégrité
inflexible, qui avait la force surnaturelle d'appliquer les principes de la foi
catholique même aux plus difficiles situations concrètes, même jusqu'à
l'héroïsme. En tant que tel, il est un point de référence éminemment fiable
pour les catholiques en général et en particulier pour les membres de la
Fraternité sacerdotale qu'il a fondée.
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NOTES
(1) Conférence du 24 avril 1983.
(2) Conférence du 24 avril 1983.
(3) Il convient de répéter que Monseigneur Lefebvre, en raison de sa conception catholique de l'autorité, se croyait dans l'obligation de demander la permission aux Modernistes, pour ses consécrations épiscopales.
(4) L'article est paru dans Sacerdotium, numéro 12, été 1994. Cf. traditionalmass.org
(5) "Dans la classe, la ligne dure combattait des professeurs de tendance moderniste, un certain évêque britannique maintenant bien connu menant la ligne dure. Les tenant de la ligne molle défendaient les professeurs et attaquaient les durs ». Ibid., P. 4.
(6) Ibid., P. 7.
(7) "La raison pour laquelle la Fraternité poursuit la voie de la négociation avec les modernistes, avec le but ultime d'être absorbés par eux, est qu'ils considèrent Wojtyla comme ayant l'autorité papale" (Ibid. Rappelons que Wojtyla, le pape Jean-Paul II, était encore Pape en 1994).
(8) Pour la justification de Mgr Lefebvre pour ses relations avec Rome et sa vision des actions de Sanborn et des autres prêtres qu'il a expulsés en 1983, voir sa conférence du 5 novembre 1983.
(9) Ibid., P. 9.
(10) Denzinger-Hünermann 1351 ou Denzinger 714.
(11) Itinéraire Spirituel - Ecône - 1990 - p.29.
(12) Le terme «église conciliaire» n'est pas inventé par Monseigneur Lefebvre. C'est plutôt un néologisme qui apparaît dans une lettre envoyée à Monseigneur Lefebvre par le cardinal Benelli, le 25 juin 1976.