SOURCE - Abbé Franz Schmidberger, fsspx - 2 avril 1991
[présentation par fsspx.news] "Le 2 avril 1991 furent célébrées les obsèques de Mgr Marcel Lefebvre, à Ecône. Voici le sermon que prononça l’abbé Franz Schmidberger, alors Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, au cours de la Messe de Requiem"
Une vie à l’imitation de Jésus-Christ
Ecce sacérdos magnus, qui in diébus suis plácuit Deo, et invéntus est justus. Non est invéntus símilis illi qui conserváret legem Excélsi. Voici le souverain prêtre, qui, durant sa vie a plu à Dieu et fut trouvé juste. Nul ne s’est trouvé semblable à lui pour observer la Loi du Très-Haut. (Graduel de la messe Statuit des confesseurs pontifes)
Excellences, Chers membres de la famille, frères et sœurs de Monseigneur Lefebvre,
Mes bien chers frères et amis,
Nous voici réunis autour de la dépouille mortelle de notre Père bien-aimé, de notre fondateur et Supérieur général pendant de longues années, autour de cet évêque fidèle à sa mission de docteur et pasteur de l’Église, une, sainte, catholique et apostolique, de ce missionnaire infatigable, de ce père d’une nouvelle génération de prêtres, de ce sauveur du très saint sacrifice de la messe dans son rite romain authentique et vénérable, de ce combattant du règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Voici le grand prêtre qui durant sa vie a plu à Dieu et fut trouvé juste. Nul ne s’est trouvé semblable à lui pour observer la Loi du Très-Haut. »
Nous voici réunis, dis-je, avec une douleur profonde, comme des orphelins, dans les larmes et dans les gémissements, mais aussi dans l’espérance chrétienne et l’admiration en face d’une telle vie chrétienne, sacerdotale et épiscopale. Mes confrères et moi-même, nous vous remercions, chers fidèles, d’être venus des quatre coins du monde pour rendre un dernier hommage à cet homme extraordinaire de notre siècle. Avant d’exprimer quelle fut sa vie, je vous donnerai quelques détails sur les dernières semaines et les derniers jours du cher défunt.
Ses derniers jours
Le soir de la fête de saint Thomas d’Aquin, le 7 mars, Monseigneur célébrait à Écône la messe pour les amis et bienfaiteurs du Valais, et leur donna ensuite une conférence sur la situation de l’Église et sur notre devoir dans le combat et les labeurs pour les institutions chrétiennes. Il se plaignait de douleurs au ventre et ne participa pas au repas. Le jour suivant, il offrait pour la dernière fois le saint sacrifice sur nos autels et, malgré des douleurs sensibles, il partait aussitôt pour Paris à une réunion des responsables des Cercles de la Tradition. En route, son état de santé s’avérait alarmant. Après avoir passé la première partie de la nuit du vendredi au samedi dans un hôtel, il revenait à l’aube à Écône avec M. Borgeat, son chauffeur. Sur sa propre demande il est hospitalisé à l’hôpital de Martigny. Les médecins supposèrent d’abord une infection intestinale et le mirent à la diète, lui prescrivant des perfusions.
Le lundi 11 mars, dans l’après-midi, je lui rendis visite une dernière fois ; il était plein d’humour et les douleurs avaient diminué un peu. « Je trouve injuste, dit-il à l’infirmière, que l’on ne me donne rien à manger et que malgré tout, je paye le même prix de pension. Vous faites une affaire avec moi ! » Et se tournant vers moi, il dit avec un sourire : « J’ai demandé à M. l’abbé Simoulin de bien préparer le caveau. Si je pouvais mourir comme ma sœur Jeanne, ce serait une belle mort… ». Et dans ce contexte, il me dit : « Je vous appellerai », faisant sans doute allusion à ses derniers moments. Je lui donnais les dernières nouvelles de la Fraternité qu’il écouta avec grand intérêt : c’était, avant tout, le projet d’une nouvelle maison généralice que je lui exposais, avec les raisons favorables à ce projet. « Que Dieu bénisse ce projet », fut sa conclusion. C’est sur ces paroles que je l’ai quitté.
Au soir de ce même jour, M. l’abbé Simoulin, à la demande de Monseigneur lui-même, lui donna l’extrême-onction. Avec le scanner, les médecins diagnostiquèrent, le 15 mars, une tumeur importante. Une opération s’avérait nécessaire. Le dimanche de la Passion, il put encore s’unir sacramentellement une dernière fois à la Victime eucharistique de nos autels. L’opération se fit dans la matinée du 18 mars et se déroula tout à fait normalement : trois grands kystes furent enlevés. Les analyses subséquentes révéleront leur nature cancéreuse. Quelques jours plus tard, des problèmes cardiaques se manifestaient, c’est pourquoi notre patient fut gardé aux soins intensifs. Le samedi précédant le dimanche des Rameaux, il confirma à M. l’abbé Simoulin qu’il offrait ses souffrances pour la Fraternité et pour l’Église. Ce furent pratiquement ses dernières paroles.
Le matin du dimanche des Rameaux, la fièvre montait à 40 degrés ; seuls les antibiotiques les plus forts parvenaient à la maîtriser. Monseigneur restait conscient mais il perdit au cours de la journée du dimanche la faculté de s’exprimer. Le soir, l’abbé Simoulin le visitait encore une fois vers 19 heures, son état était très inquiétant ; vers 23 heures, l’hôpital prévenait Écône que Monseigneur venait de subir une attaque, probablement une embolie pulmonaire. Toute la communauté du séminaire se rassembla alors à la chapelle. L’abbé Simoulin se rendit à l’hôpital et pria au chevet de Monseigneur les prières des agonisants ; il était dans le coma. Vers 1 h 15 le lundi, le téléphone sonnait à la maison généralice : M. l’abbé Laroche nous annonçait que Monseigneur était à ses derniers instants. Tandis que la communauté de la maison se rassemblait à la chapelle, je partis immédiatement à Martigny où j’arrivais à 3 h l5. Monseigneur était ranimé artificiellement, les fonctions du corps se mouraient peu à peu ; vers 3 h 30, le médecin constatait la mort. Dans un dernier service d’amour, j’ai fermé les yeux à notre Père bien-aimé.
A l’imitation de Jésus-Christ
Si nous jetons un regard sur cette vie très riche, on ne peut que la voir dans une profonde et authentique imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ dans les différentes étapes de sa vie, spécialement dans son sacerdoce souverain et dans son sacrifice sur le Calvaire. Les trois ministères de l’Homme-Dieu peuvent se résumer à trois devises qui ont rayonné comme des phares sur le chemin de sa vie : « Credídimus caritáti. Nous avons cru à l’amour » (1 Jn 4, 16) ; « Instauráre ómnia in Christo. Tout renouveler dans le Christ » (Ep 1, 10) ; « Accépi quod et trádidi vobis. Je vous ai transmis ce que j’ai reçu moi-même » (1 Cor 11, 23).
Premièrement : Accépi quod et trádidi vobis ou le munus docendi, le ministère de l’enseignement.
Monseigneur vécut complètement plongé dans la lumière de la foi, où il puisait la doctrine de ses conférences innombrables ; ses entretiens spirituels étaient de véritables sermons. Il était pénétré du mystère de la Sainte Trinité et de l’action du Saint-Esprit dans l’Église et dans les âmes. Toute sa vie était orientée vers le mystère de Jésus-Christ : les mystères du Verbe incarné, du Seigneur et Sauveur crucifié et ressuscité, du souverain Prêtre du Nouveau Testament et de la Victime de nos autels. La très sainte Vierge Marie – avec le dogme de sa maternité divine, de son Immaculée Conception, de sa préservation de tout péché et de sa virginité perpétuelle, de son Assomption au Ciel avec son âme et son corps – était pour lui le seul chemin vers le mystère du Seigneur. L’Épouse mystique du Christ, la sainte Église avec le pontife romain, valaient à ses yeux plus que toute autre chose au monde.
Dans la lumière de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, il priait les vérités de la foi ; il les aimait ; il les exposa durant tout son ministère sacerdotal et épiscopal. Sous la direction du grand docteur de l’Église, il composait encore sa dernière œuvre, son Itinéraire spirituel. La fidélité était pour lui un devoir suprême, considérant les paroles de l’Évangile : « Celui qui change ne serait-ce qu’un iota ou un trait de la Loi de foi sera le plus petit dans le Royaume des cieux » (cf. Mt 5, 19).
Il ne se voyait que comme l’écho, le reflet, le porte-parole de l’Église et des conciles, ainsi que de la doctrine des papes. C’est par sa bouche que Pie VI a de nouveau condamné la Révolution française et les soi-disant droits de l’homme. C’est à travers lui que Pie IX, en nos jours, a de nouveau élevé la voix pour rejeter la liberté religieuse comme une iniquité, comme il l’a fait dans l’encyclique Quanta Cura. C’est par lui que le Syllabus a repris vie pour mettre au pilori l’aggiornamento de l’Église, son adaptation aux erreurs contemporaines et à l’esprit du siècle. Les grandes encycliques de Léon XIII se trouvaient sur ses lèvres, comme si ce pape lui-même nous parlait. Mais c’est spécialement saint Pie X qui, par lui, dans les années 70-80, a jeté l’anathème contre un modernisme et un nouveau « Sillon » qui sèment aujourd’hui des ravages bien plus grands que sous le pontificat même de saint Pie X. Depuis 1960, aucun évêque ne s’est trouvé pour insister comme il l’a fait sur la doctrine de l’encyclique Quas Primas du pape Pie XI, sur le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. Personne n’a combattu les communistes avec une énergie comparable à la sienne, selon les directives de l’encyclique Divini Redemptoris où Pie XI les désigne comme les ennemis par excellence de la chrétienté, et où il rejette comme impossible toute collaboration avec eux. La même chose vaut pour la franc-maçonnerie. Avec attention il a écouté les mises en garde du pape Pie XII dans Humani Generis contre la nouvelle philosophie et la nouvelle théologie, et il a de nouveau transmis ses avertissements.
Si l’Église, dans les documents des papes et des conciles, est l’oracle du Dieu vivant – et elle l’est – nous devons désigner Monseigneur Lefebvre comme un témoin fidèle à la révélation du Dieu Trine au XXe siècle. C’est pour ce témoignage qu’il a vécu, c’est pour ce témoignage qu’il a souffert, c’est pour ce témoignage qu’il est mort. Témoin en grec se dit « martyr ». Rendant fidèlement témoignage, il a dû nécessairement entrer en contradiction avec l’esprit du Concile, ainsi qu’avec les textes conciliaires qui contredisent la doctrine constante de l’Église. Il avait alors à faire un choix : ou être fidèle à la doctrine de l’Église dans son épanouissement glorieux et sa fertilité en institutions chrétiennes pendant deux millénaires ; ou rompre cette fidélité et s’aligner sur le Concile et les erreurs postconciliaires. C’est la grâce de Dieu qui lui fit choisir sans hésitation la première solution, avec Monseigneur de Castro Mayer, l’autre témoin fidèle. Deo gratias !
Si aujourd’hui, partout dans le monde, sur tous les continents, une nouvelle génération d’apôtres et de témoins de la foi travaillent dans de vrais séminaires, prieurés, maisons de retraite, écoles, couvents et monastères, si nous voyons des groupes de jeunesse catholiques et des familles avec de nombreux enfants réunis autour de l’autel du sacrifice de l’Agneau immolé, c’est en grande partie les fruits de la foi de cet homme, une foi à transporter les montagnes. Le petit grain de sénevé est devenu un grand arbre, dans les rameaux duquel les oiseaux du ciel viennent habiter.
Deuxièmement : Credídimus caritáti, nous avons cru à la charité ou le munus sanctificandi, le ministère de la sanctification.
A quel amour avons-nous cru ? A l’amour immolé, crucifié, de Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, Prêtre et Victime du sacrifice. Laissons parler Monseigneur Lefebvre lui-même. A la date du 4 juin 1981, il écrit aux membres de la Fraternité les mots suivants :
« Toute l’Écriture est tournée vers la Croix, vers la Victime rédemptrice et rayonnante de gloire, et toute la vie de l’Église est tournée vers l’autel du sacrifice, et par conséquent sa principale sollicitude est la sainteté du sacerdoce. L’esprit de l’Église est orienté vers les choses divines, sacrées. Elle forme celui qui donne les choses sacrées : sacérdos, c’est-à-dire sacra dans, celui qui accomplit les actions saintes et sacrées ; sacrifícium, c’est-à-dire sacrum fáciens. Elle lui met dans ses mains consacrées les dons divins et sacrés : sacraménta, les sacrements. L’Église consacre, donne un caractère sacré aux baptisés, aux confirmés, aux rois, aux vierges, aux chevaliers, aux églises, aux calices, aux pierres d’autel, et toutes ces consécrations sont faites dans le rayonnement du sacrifice de Notre-Seigneur et en la Personne de Jésus lui-même. »
Et dans l’homélie de son jubilé d’or, le 23 septembre 1979 à Paris, il expose ceci : « La notion du sacrifice est une notion profondément chrétienne et profondément catholique. Notre vie ne peut pas se passer du sacrifice, dès lors que Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu lui-même, a voulu prendre un corps comme le nôtre et nous dire : "Prenez votre croix et suivez-moi, si vous voulez être sauvé" ; et qu’il nous a donné l’exemple de la mort sur la Croix, qu’il a répandu son Sang. Voilà tout le mystère de la civilisation chrétienne. La compréhension du sacrifice de sa vie dans la vie quotidienne, l’intelligence de la souffrance chrétienne : ne plus considérer la souffrance comme un mal, comme une douleur insupportable, mais partager ses souffrances et sa maladie avec les souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ en regardant la Croix, en assistant à la sainte messe qui est la continuation de la Passion de Notre-Seigneur sur le Calvaire. Comprendre la souffrance, alors la souffrance devient une joie, et unie à celle de tous les martyrs, unie à celles de tous les saints, de tous les catholiques, de tous les fidèles qui souffrent dans le monde, elle devient un trésor inexprimable pour la conversion des âmes, pour le salut de notre propre âme. Beaucoup d’âmes saintes, chrétiennes, ont même désiré souffrir, ont désiré la souffrance pour s’unir davantage à la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ.
« Voilà les hommes qu’a produits la grâce de la messe, des hommes qui assistaient à la messe tous les jours, communiaient avec ferveur et qui sont devenus des modèles et des lumières autour d’eux, sans compter beaucoup de chrétiens et chrétiennes transformés par la grâce. J’ai pu voir, en Afrique, ces villages de païens devenus chrétiens se transformer non seulement, je dirais, spirituellement et surnaturellement mais se transformer physiquement, socialement, économiquement, politiquement ; se transformer parce que ces personnes, de païennes qu’elles étaient, étaient devenues conscientes de la nécessité d’accomplir leur devoir malgré les épreuves, malgré les sacrifices, de tenir leurs engagements et en particulier les engagements du mariage. Alors le village se transformait peu à peu sous l’influence de la grâce du saint sacrifice de la messe. Des âmes aussi, se sont consacrées alors à Dieu, des religieux, des religieuses, des prêtres se donnaient à Dieu. Voilà le fruit de la sainte messe.»
Et dans son Itinéraire spirituel de 1989, il relate un rêve dans lequel Dieu lui a fait entrevoir un jour dans la cathédrale de Dakar, l’image suivante : « devant la dégradation progressive de l’idéal sacerdotal, transmettre dans toute sa pureté doctrinale, dans toute sa charité missionnaire le sacerdoce catholique de Notre Seigneur Jésus-Christ, tel qu’il l’a transmis jusqu’au milieu du XXe siècle ».
Dieu lui-même, par le choix du jour de décès, a imposé le sceau d’authenticité à une telle action sacrificielle pour la sauvegarde du saint sacrifice de la messe et le renouveau du sacerdoce catholique. Monseigneur Lefebvre meurt dans les heures matinales du 25 mars, fête de l’Annonciation, en ce jour où Notre Seigneur Jésus-Christ s’incarne dans le sein de la Mère très sainte et très pure, et où sa nature humaine à ce moment-là, est ointe pour être le Souverain Prêtre éternel du Nouveau Testament. A partir de cette entrée dans le monde, tout son regard est tourné vers l’autel sacrificiel de la Croix et la réfection de nos âmes par les fruits de ce sacrifice.
Monseigneur s’éteint le premier jour de la Semaine sainte, au moment donc où Notre-Seigneur se prépare à son sacrifice, et où dans le Temple, il tient encore les grands discours qui l’opposent aux pharisiens au sujet de sa mission. Comme Notre-Seigneur, on a traîné notre Père bien-aimé devant les tribunaux ecclésiastiques et civils, devant Anne et Caïphe, devant Pilate et Hérode ; et c’est encore sur son lit de mourant qu’on l’a condamné pour soi-disant racisme, lui qui pendant presque trente ans a travaillé comme missionnaire en Afrique noire. « Par sa mort, le juste est arraché de devant la face de l’iniquité » dit la sainte Écriture (Sp 4, 14).
La nuit voile encore la terre quand il expire à 3 h 30, à l’hôpital. Mais peu après, la lumière du nouveau jour transparaît à travers les brumes matinales : le sacrifice est consommé et sa mort devient un triomphe et une victoire. L’éclat de la résurrection nimbe de lumière le deuil et les funérailles d’aujourd’hui. L’Église ne célèbre-t-elle pas, chaque lundi où il n’y a pas de fête, la messe votive de la Sainte Trinité qui commence avec ces paroles : « Louée soit la très sainte Trinité et son indivisible unité, remercions-la parce qu’elle nous a fait miséricorde » ?
Troisièmement : Instauráre ómnia in Christo, tout restaurer, tout instaurer dans le Christ, ou le munus regendi, le pouvoir de gouverner.
Avec toute l’Église, Monseigneur Lefebvre confessait Dieu comme Créateur, Rédempteur, Seigneur et fin ultime de toutes choses. La deuxième Personne de Dieu un et trine, est devenue homme. Et donc tout doit être ordonné vers Notre Seigneur Jésus-Christ, tout doit être résumé en lui, tout consiste en lui et tout doit être restauré en lui. Que la lumière de la foi illumine l’intelligence. Que la lumière et la grâce du Christ fortifient la volonté. Que les mariages, les familles, les écoles et les États se soumettent à sa Loi. Et d’une façon toute particulière le Christ a posé cette Loi de charité dans son Église avec son sacerdoce et sa vie religieuse. La vie et l’enseignement de Monseigneur Lefebvre sont par conséquent christocentriques et, parce qu’on a méprisé ses avertissements, qui, encore une fois, ne sont rien d’autre que l’écho des avertissements des papes, tout s’écroule, tout se dissout : « la fumée de Satan est entrée dans l’Église » (Paul VI, le 29 juin 1972) et les forces anti-chrétiennes détruisent les institutions chrétiennes. Laissons encore une fois la parole à Monseigneur :
« Le résultat de ce Concile est bien pire que celui de la Révolution : les exécutions et les martyrs sont silencieux, des dizaines de milliers de prêtres, de religieux et de religieuses abandonnent leurs engagements, les autres se laïcisent. Les clôtures disparaissent, le vandalisme envahit les églises, les autels sont détruits, les croix disparaissent, les séminaires et les noviciats se vident. Les sociétés civiles encore catholiques se laïcisent sous la pression des autorités romaines : Notre-Seigneur n’a plus à régner ici-bas ! L’enseignement catholique devient œcuménique et libéral, les catéchismes sont changés et ne sont plus catholiques. La Grégorienne à Rome devient mixte, saint Thomas n’est plus à la base de l’enseignement. » (Itinéraire spirituel). Il n’y a qu’une seule solution aux problèmes du genre humain, spécialement pour notre temps : tout ramener au Christ en qui seul il y a la tranquillité dans l’ordre, dans l’ordre de la création et l’ordre de la Rédemption. Pax Christi in regno Christi. La paix du Christ dans le Royaume du Christ.
Monseigneur souffrait des injustices qui lui étaient faites personnellement, des humiliations dans son honneur, foulé aux pieds. Il souffrait de quelques-uns de ses fils prêtres qui lui disaient : « Cette doctrine est dure, qui peut l’entendre ? » (Jn 6, 61), et qui se retiraient et n’allaient plus avec lui. Il souffrait encore mille fois plus à cause de l’Église, il souffrait pour l’Église. A dire vrai, le Christ souffrait en lui pour accomplir dans son Corps mystique l’œuvre de la Rédemption (cf. Col 1, 24).
Continuer son œuvre
Il y a deux conséquences qui semblent devoir être tirées de cette vie et de cette mort : une première pour nous, chers confrères, chers séminaristes, chers frères, chères sœurs, chers fidèles. Le meilleur hommage que nous pouvons rendre au cher défunt, est celui de continuer son œuvre avec courage et confiance, sans dévier ni à droite, ni à gauche du chemin tracé. Que Notre Dame – que Monseigneur invoquait dans toutes ses prédications et conférences – nous obtienne de son divin Fils en cette heure, l’esprit de fidélité, afin que nous puissions transmettre à notre tour ce que Monseigneur nous a transmis. Qu’en cela consiste notre honneur ! Lisez par conséquent sa Déclaration du 21 novembre 1974, qui définit exactement l’esprit de la Fraternité dans la crise de la foi d’aujourd’hui. Lisez la lettre de Monseigneur adressée aux quatre évêques qu’il a consacrés, lettre d’où ressort exactement leur place par rapport à la hiérarchie de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. En ce qui concerne la juridiction vis-à-vis des laïcs, c’est une juridiction exceptionnelle et de suppléance pour le salut des âmes, en raison de la faiblesse ou de la défaillance de l’autorité.
Une deuxième conséquence s’ensuit, pour les responsables dans l’Église. Monseigneur Lefebvre a, durant toute sa vie, témoigné de son amour pour le Saint-Siège. Il ne voulait servir que le pape et les évêques, et il l’a fait de triple manière. Tout d’abord, où serait l’Église aujourd’hui, si le Paul de notre temps n’avait pas résisté à Pierre, résistance qui a évité certainement beaucoup d’autres malheurs ? En outre, Monseigneur Lefebvre par son action exemplaire a sauvé l’honneur de l’Église qui, par son essence même, est l’image du Dieu immuable. Ensuite, au milieu de tant de contradictions et d’hostilité, il a réussi à maintenir et à éveiller de nouveau, dans un petit cercle de prêtres et de fidèles, l’esprit authentique de Jésus-Christ. C’est ainsi qu’il a tracé le chemin qui seul, peut conduire à la guérison et au renouveau de l’Église : c’est l’esprit de sainteté qui découle de la Croix du Christ. Enfin, il a en effet formé une petite élite qui est à la disposition du Saint-Siège et des évêques. Mais permettez-moi de préciser : elle est à leur disposition en excluant tout compromis et toute concession vis-à-vis des erreurs du concile Vatican II et des réformes qui en découlent. Tant que l’esprit de destruction soufflera dans les évêchés et les dicastères romains, il n’y aura aucune harmonisation ni accord possibles. Nous voulons travailler à la construction de l’Église et non pas à sa démolition.
On lit dans les journaux que Rome aurait attendu jusqu’à la fin le « repentir » de Monseigneur… De quoi peut se repentir un homme qui a accompli son devoir jusqu’au bout, en préservant ou en redonnant à l’Église les moyens qui sont absolument nécessaires à la sainteté ? N’était-ce pas une bonne œuvre de lui donner des pasteurs catholiques, elle qui est occupée par des mercenaires, des voleurs et des larrons ? « Est-ce pour cette bonne œuvre que vous lapidez votre frère ? » (cf. Jn 10, 32).
En cette heure, nous supplions Rome et les évêques : Abandonnez l’œcuménisme funeste, la laïcisation de la société et la protestantisation du culte divin. Retournez à la saine Tradition de l’Église. Même si vous scellez le tombeau que vous avez creusé à la vraie messe, au Catéchisme du concile de Trente et au titre de Roi universel de Jésus-Christ par mille décrets et excommunications, la vie ressuscitera du tombeau fermé. « Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu ! »
Un signe essentiel d’une telle conversion et d’un tel retour pourrait être – une fois fermé le tombeau de Monseigneur Lefebvre – l’ouverture officielle d’un procès d’information pour constater le degré héroïque de ses vertus. Nous, ses fils, nous sommes les témoins privilégiés de ses mérites, de la force de sa foi, de son amour brûlant de Dieu et du prochain, de sa résignation dans la volonté de Dieu, de son humilité et de sa douceur, de sa vie de prière et d’adoration, de sa haine du péché et son horreur de l’erreur. Personne ne s’est approché de lui sans repartir meilleur ; il a rayonné la sainteté et il l’a créée instrumentalement dans son entourage. Un jour, un vieux prêtre, observateur critique de la situation d’aujourd’hui, me disait : « Monseigneur Lefebvre est la charité ».
Tournons-nous en cette heure vers la très sainte Vierge Marie, Mère de miséricorde, Mère du souverain Prêtre, Médiatrice de toutes les grâces, afin qu’elle recommande l’âme de son fidèle serviteur à son divin Fils et la lui présente. L’œuvre de Monseigneur Lefebvre sur cette terre est accomplie. Maintenant commence son ministère d’intercesseur dans l’éternité. Il a donné tout ce qu’il avait à donner : sa doctrine d’évêque, son action de missionnaire infatigable, le miracle d’une nouvelle génération de prêtres, un exemple dans la souffrance, et les quatre évêques auxiliaires dispensateurs du Saint-Esprit sur l’Église et les âmes. Dieu lui a demandé une dernière chose : sa vie. « Puisqu’il a aimé les siens, il les aima jusqu’au bout, usque in finem » (Jn 13, 1).
Ecce sacérdos magnus, qui in diébus suis plácuit Deo, et invéntus est justus. Non est invéntus símilis illi qui conserváret legem Excélsi (Eccli 44, 16-20).