Le pape Paul VI reçoit des pasteurs protestants à Rome, le 4 avril 1970. |
SOURCE - FSSPX Actualités - 29 novembre 2018
Le libéralisme
Par l’introduction du libre-examen dans la genèse de l’acte de foi, Luther a faussé la notion de liberté pour la placer au-dessus de toute autorité ecclésiastique. Fameuse est la boutade de Nicolas Boileau : « Tout protestant est pape, Bible à la main».
Issue du protestantisme, la philosophie dite des Lumières admit cette fausse liberté conçue comme une indépendance. Elle ne voulut reconnaître que la vérité atteinte par la raison – écartant ainsi l’ordre surnaturel – pour finalement s’affranchir de tout absolu. La seule « vérité » qui demeure est le refus de tout ordre que l’homme n’a pas établi : le libéralisme conduit au scepticisme. En conséquence, il se dresse farouchement contre l’Eglise, dépositaire de la Révélation et garante de la loi naturelle. Son opposition avec le catholicisme est radicale.
Il s’est pourtant trouvé des hommes qui, au XIXe siècle, ont tenté de concilier l’Eglise avec la société issue de la philosophie libérale. Ce fut la naissance du « catholicisme libéral » qui n’est pas tant une doctrine qu’une attitude pratique d’accueil favorable aux idées de la Révolution. L’incohérence de ce système gît dans la coexistence de la foi catholique – qui professe la divinité du Christ et de sa religion – avec une franche coopération à l’établissement d’un monde où l’homme n’aurait d’autre règle que la paix sociale. Cette attitude conciliante – et somme toute bien commode – devant les persécuteurs de l’Eglise se devait tout de même de trouver un argument qui la légitimerait. Il fut vite trouvé. Selon ces réformateurs, la vérité ne réclame plus d’aide pour éclairer les esprits ; le bien parvient toujours à s’imposer ; l’évangile peut rayonner par sa seule force au sein d’une humanité devenue « adulte » ; Notre-Seigneur n’a plus besoin du trône que la chrétienté lui avait offert. En d’autres termes, le catholique libéral est confiant que sous le règne de la liberté, l’Eglise retrouvera toute sa gloire. Luther avait commencé en exagérant les conséquences du péché originel, le catholicisme libéral nie son existence, au moins en pratique.
Les noms des premiers catholiques libéraux sont bien connus : Lamennais, Montalembert, Mgr Dupanloup. Malgré les condamnations des papes jusqu’à Pie XII, leur nombre n’a cessé de croître. Que dire du pape Paul VI?
Témoignage du cardinal Daniélou
Paul VI était-il libéral ? Il est bien délicat de juger d’une autorité et certains n’hésitent pas à accuser de « libéralisme » toute personne qui tente de le faire. L’insoumission à l’autorité n’est-elle pas, comme nous venons de le voir, une de ses caractéristiques ? Pourtant dans le cas du pape Paul VI, c’est un de ses amis, le cardinal Daniélou, qui l’écrit dans ses Mémoires : « Il est évident que Paul VI est un pape libéral. » Cette citation est intéressante non seulement par ce qu’elle affirme, mais aussi par le principe qu’elle suggère. Quand une chose est évidente, il n’y a pas de « libéralisme » à la reconnaître. C’est l’inverse qui serait vrai. En l’occurrence, la circonspection qu’impose le respect dû à l’autorité doit prendre en compte la réalité du scandale des fidèles après le concile Vatican II. Devant l’autodestruction de l’Eglise, de nombreux catholiques sont perplexes et plusieurs pensent qu’il n’y a plus de pape. Mgr Lefebvre, s’appuyant sur le jugement du cardinal Daniélou, a toujours proposé une solution « beaucoup plus complexe [que le sédévacantisme], pénible et douloureuse » : Paul VI était bien pape, mais il était fortement marqué par le libéralisme.
L’idéal du libéralisme selon Lamennais
Lamennais en présentant son journal l’Avenir expliquait que la foi catholique avait permis de développer dans les âmes le vrai sentiment du droit. Parlant de l’Eglise, il déclarait : « Tous les amis de la religion doivent comprendre qu’elle n’a besoin que d’une seule chose : la liberté ». On connaît la formule de son ami, le comte de Montalembert, au Congrès malinois de 1863 : « L’Eglise libre au sein d’un Etat libre, voilà mon idéal ». En 1864 Pie IX condamna ce libéralisme par son encyclique Quanta cura. Il y citait son prédécesseur Pie VII qui lui-même reprenait le pape saint Léon le Grand : « La puissance royale n’est pas uniquement conférée pour le gouvernement de ce monde, mais par-dessus tout pour la protection de l’Eglise ». Pie IX reprit l’expression de l’utopie libérale pour la condamner. Non, dit le pape, il n’est pas vrai que « le meilleur gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande».
Or il n’est pas douteux que la pensée de Paul VI était celle de Lamennais. Dans le message aux gouvernants, à la clôture du Concile, il assuma sa formule : « Que demande-t-elle de vous, cette Eglise… aujourd’hui ? Elle vous l’a dit dans un des textes majeurs de ce Concile : elle ne vous demande que la liberté.» (8 décembre 1965)
Quelques faits du pontificat de Paul VI
L’incohérence du libéralisme catholique provoque une véritable torture morale chez ses adeptes puisqu’il affirme ce qu’il ne permet pas de faire dans la réalité. La tristesse qui se lisait sur le visage parfois torturé de Paul VI trouve peut-être son explication dans cette attitude contradictoire qu’illustrent les exemples suivants :
- Dans le discours d’ouverture de la deuxième session du concile Vatican II – la première dont il devait être la tête en tant que pape – Paul VI déclara « n’avoir au cœur nul dessein de domination humaine, aucun attachement jaloux à un pouvoir exclusif ». Pourtant un peu plus de dix jours avant l’ouverture de cette session, il avait annoncé une réforme de la direction générale des travaux. Le Concile ne serait plus dirigé par les présidents nommés par Jean XXIII, mais par quatre « modérateurs » dont trois étaient connus pour leur libéralisme – les cardinaux Döpfner, Suenens et Lercaro – et dont le quatrième était « considéré par les libéraux comme le plus acceptable des cardinaux de la Curie », commentait le premier historien du Concile, le père Ralph M. Wiltgen, qui concluait : « il apparaissait donc que Paul VI, en choisissant ces quatre hommes, donnait son appui au parti libéral du Concile».[1]
- A la fin de cette session, une pétition signée par plus de deux cents Pères conciliaires était remise au Saint Père pour lui demander la condamnation du communisme par le Concile. Paul VI répondit à cette demande dans sa première encyclique, Ecclesiam suam, du 6 août 1964. Il se disait contraint « de condamner les systèmes de pensée négateurs de Dieu et persécuteurs de l’Eglise, systèmes souvent identifiés à des régimes économiques, sociaux et politiques, et, parmi eux, tout spécialement le communisme athée ». Cependant dans l’aula conciliaire les interventions se multipliaient pour que le concile du XXème siècle ne restât pas silencieux devant le communisme qui persécutait l’Eglise. Une pétition de quatre cent trente-cinq Pères conciliaires demanda la modification du schéma sur l’Eglise afin que fût insérée une mention du communisme. Mais la pression exercée par d’autres évêques, et surtout les accords secrets avec Moscou dont l’existence ne fait plus de doute aujourd’hui[2], firent reculer Paul VI. Pour toute excuse, Mgr Gabriel-Marie Garrone reconnaîtra publiquement que la pétition s’était égarée dans le bureaux de la Commission chargée de l’amendement du schéma.[3]
- Le 4 avril 1965, dimanche de la Passion, Paul VI célébra la messe dans une église de la banlieue romaine. Il parla du peuple juif qui avait été préparé par Dieu pour recevoir le Messie, mais qui ne le reconnaît pas et même « le combat, le calomnie, l’injurie, et finalement le met à mort. » [4] Mais, là encore, Paul VI céda devant les pressions. La question juive fut finalement traitée dans le déclaration Nostra ætate [5] qui se contenta de reconnaître que « des autorités juives, avec leurs partisans, (avaient) poussé à la mort du Christ » mais seulement après avoir affirmé que « les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance », sans rappeler que ces dons et cet appel les invitent à se convertir au catholicisme dans lequel seul perdure, après avoir été portée à sa fin, l’ancienne Alliance.
- Le 3 septembre 1965, dans son encyclique Mysterium fidei, Paul VI rappela que le changement opéré par la consécration de l’hostie et du vin, « l’Eglise catholique l’appelle justement et exactement transsubstantiation ». Quatre ans plus tard, il promulgua un rite – conçu avec la collaboration active de six experts protestants – qui, de tous les signes de respect dû à la présence réelle, ne garda que ceux qui soulignent leur relation avec le peuple rassemblé. La longue introduction au nouveau missel (Institutio generalis) n’utilisa pas une seule fois le terme de transsubstantiation.
- Le 24 juin 1967, dans son encyclique Sacerdotalis cœlibatus, Paul VI réaffirma la valeur du célibat des prêtres : « Nous estimons donc que la loi du célibat actuellement en vigueur doit, encore de nos jours et fermement, être liée au ministère ecclésiastique ». Mais dans la constitution Lumen gentium, le concile Vatican II n’avait abordé le mystère du sacerdoce catholique que dans le cadre du sacerdoce « commun des fidèles » ne permettant plus aux prêtres de reconnaître la sublimité de leur vocation. La nouvelle messe les présenta comme de simples présidents de l’assemblée eucharistique. L’œcuménisme pratiqué par Paul VI eut aussi une influence indirecte sur le sacerdoce puisque cette erreur reconnaît aux ministres non catholiques et non validement ordonnés des pouvoirs qui n’appartiennent qu’aux prêtres de Dieu (comme celui de bénir une assemblée ce qui fit le Dr Ramsey, « archevêque et primat » de l’Eglise anglicane, en présence et à la demande de Paul VI). Les conséquences ne se firent pas attendre. Jamais l’Eglise n’avait vu autant de ses ministres trahir leurs engagements. Avant le concile Vatican II, les réductions à l’Etat laïc étaient relativement rares. Paul VI les multiplia à une échelle inouïe. Plus de vingt mille prêtres ont obtenu cette réduction entre 1962 et 1972 [6] alors que quantité d’autres ne s’embarrassaient même pas d’en faire la demande.
- Le 30 juin 1968, il professa un Credo orthodoxe, mais il supprima l’Index et ne prit aucune mesure contre les négateurs de la foi.
- Le 25 juillet 1968 dans l’encyclique Humanæ vitæ, il rappela l’enseignement traditionnel de l’Eglise, mais il n’imposa pas le silence aux conférences épiscopales et aux publications catholiques qui s’opposaient publiquement à sa décision.
- Le 29 mai 1969, dans l’instruction Memoriale Domini, il loua la pratique traditionnelle de communier sur la langue, mais dans le même document romain, il encouragea les Conférences épiscopales à prendre les décisions opportunes pour que l’usage de la communion dans la main « s’établisse comme il faut ».
- Le 26 novembre, lors de la présentation de la nouvelle messe, il fit l’éloge de la langue latine, mais ce fut pour la sacrifier : « Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. »
Le catholicisme libéral empêche l’âme de se donner totalement à Dieu. Son triomphe ne peut être que le détrônement du Christ et l’incohérence de toute la vie. Que l’exemple malheureux que donna Paul VI encourage du moins les catholiques à vivre en conformité avec les principes de leur foi.
Abbé Thierry Gaudray
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1. Ralph M. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, quatrième édition, p. 82.
2. Roberto de Mattei, Il Concilio Vaticano, p. 174.
3. Wiltgen, op.cit., p. 273.
4. Osservatore Romano, 7 avril 1965 cité dans Vatican II, l’Eglise à la croisée des chemins, M.J.C.F. tome 1 page 206.
5. 22 octobre 1965.
6. Chiffre donné par Matthias Gaudron, Catéchisme catholique de la crise dans l’Eglise, deuxième édition, p. 9.