28 décembre 2018

[La Porte Latine - FSSPX] Entretien exclusif avec M. l’abbé Davide Pagliarani

SOURCE - La Porte Latine - FSSPX - 28 décembre 2018

L’abbé Davide Pagliarani, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, a accordé un entretien exclusif à La Porte Latine, dans lequel il rappelle la fécondité de la Croix pour les vocations et les familles. Il insiste particulièrement sur la nécessité de garder l’authentique esprit du Fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, « esprit d’amour pour la foi et pour la vérité, pour les âmes, pour l’Eglise », face à la récente canonisation de Paul VI et à la promotion de la synodalité dans l’Eglise.
"L’avenir de l’Eglise et des vocations se trouve dans les familles où les parents ont planté la Croix de Notre-Seigneur"
La Porte Latine –Voici maintenant cinq mois que vous avez été élu Supérieur Général de la Fraternité Saint Pie X, pour un mandat de douze ans. Ces cinq mois vous ont certainement permis de faire un premier tour d’horizon de l’œuvre fondée par Mgr Lefebvre, venant compléter votre expérience personnelle déjà riche. En retirez-vous une première impression générale, en dégagez-vous des premières priorités pour les années à venir ?
La Fraternité est une œuvre de Dieu et plus on la découvre, plus on l’aime. Deux choses me saisissent le plus dans cette découverte. D’abord, le caractère providentiel de la Fraternité : elle est le résultat des choix et des décisions d’un saint guidé uniquement par une prudence surnaturelle et « prophétique », dont on apprécie encore plus la sagesse au fur et à mesure que les années s’écoulent et que la crise de l’Eglise s’aggrave. Ensuite, j’ai pu constater encore une fois que nous ne sommes pas des privilégiés épargnés : le Bon Dieu sanctifie tous nos membres et nos fidèles, par les échecs, les épreuves, les déceptions, en un mot par la croix et non par d’autres moyens.
"Les vocations viennent des foyers où l’on ne respire pas l’amertume ni la critique envers les prêtres"
La Porte Latine- Avec 65 nouveaux séminaristes cette année, la Fraternité détient son record d'entrées dans ses séminaires depuis trente ans. Vous avez été vous-même directeur du séminaire de La Reja (Argentine) pendant près de six ans. Comment comptez-vous favoriser le développement de vocations toujours plus nombreuses et plus solides ?
Je suis persuadé que la vraie solution pour augmenter le nombre de vocations et leur persévérance ne réside pas en premier lieu dans des moyens humains et pour ainsi dire « techniques », tels que bulletins, tournées apostoliques ou publicité. Tout d’abord, une vocation a besoin pour éclore d’un foyer où l’on aime Notre-Seigneur, sa Croix et son sacerdoce ; un foyer où l’on ne respire pas l’amertume ni la critique envers les prêtres. C’est par osmose, au contact de parents véritablement chrétiens et de prêtres profondément imprégnés de l’esprit de Notre-Seigneur, qu’une vocation s’éveille. C’est à ce niveau-là qu’il faut continuer à travailler de toutes nos forces. Une vocation n’est jamais le résultat d’un raisonnement spéculatif ni d’une leçon qu’on a reçue et avec laquelle on est intellectuellement d’accord. Ces éléments peuvent aider à répondre à l’appel de Dieu, seulement à condition de suivre ce que nous avons dit précédemment.
La Porte Latine– Le 14 octobre dernier, le pape François a canonisé le pape qui a signé de sa main tous les documents de Vatican II, le pape de la nouvelle messe, le pape dont le pontificat a été marqué par les 80 000 prêtres qui ont abandonné leur sacerdoce. Que vous inspire cette canonisation ?
Cette canonisation doit nous inspirer une réflexion profonde, au-delà de l’émotion médiatique qui a duré quelques heures et qui ne laisse aucune trace profonde ni chez ses partisans, ni chez ses adversaires. Au contraire, après quelques semaines, cette seule émotion risque de transformer tous en indifférents. Nous devons prendre garde à ne pas tomber dans ces pièges.

D’abord, il me semble assez évident qu’avec les béatifications ou canonisations de tous les papes récents à partir de Jean XXIII, on a essayé de « canoniser » d’une certaine manière le Concile, la nouvelle conception de l’Eglise et de la vie chrétienne que le Concile a établie et que tous les papes récents ont promue.

C’est un phénomène inédit dans l’histoire de l’Eglise. Ainsi, l’Eglise post-tridentine n’a jamais songé à canoniser tous les papes sans distinction de Paul III à Sixte V. Elle n’a canonisé que saint Pie V et cela, non en raison de ses seuls liens avec le concile de Trente ou son application, mais en raison de sa sainteté personnelle, proposée comme modèle à toute l’Eglise et mise au service de l’Eglise en tant que pape.

Le phénomène auquel nous assistons actuellement nous fait plutôt penser au changement de nom des places principales et des boulevards, à la suite d’une révolution ou d’un changement de régime.

Mais il faut lire cette canonisation aussi à la lumière de l’état présent de l’Eglise, car l’empressement à canoniser les papes du Concile est un phénomène relativement récent et il a connu son expression la plus manifeste avec la canonisation presque immédiate de Jean-Paul II.

Cette détermination à « faire vite » manifeste une fois de plus la fragilité dans laquelle l’Eglise issue du Concile se trouve actuellement. Que l’on veuille l’admettre ou non, le Concile est considéré comme dépassé par toute une aile ultra-progressiste et pseudo-réformatrice. Je pense, par exemple, à l’épiscopat allemand. Et d’un autre côté, les plus conservateurs sont amenés à constater, par la force des choses, que le Concile a déclenché un processus conduisant l’Eglise à une stérilité grandissante. Face à ce processus qui semble irréversible, il est normal que la hiérarchie actuelle essaye de redonner, au moyen de ces canonisations, une certaine valeur au Concile, qui puisse freiner la tendance inexorable des faits concrets.

Pour revenir à une analogie avec la société civile, chaque fois qu’un régime est en crise et qu’il en prend conscience, il essaye de faire redécouvrir la Constitution du pays, sa sacralité, sa pérennité, sa valeur transcendante… Or c’est en réalité le signe que tout ce qui est issu de cette Constitution et qui se fonde sur elle, est en péril de mort et qu’il faut essayer de le sauver par tous les moyens possibles. L’histoire prouve que ces mesures sont généralement insuffisantes pour redonner vie à ce qui a fait son temps.
Il n’y a que la Fraternité qui pourra aider l’Eglise, en rappelant qu’elle est une monarchie et non une assemblée moderne chaotique.
La Porte Latine- Voici trois ans (le 17 octobre 2015), le pape François prononçait un important discours pour promouvoir la « synodalité » dans l’Eglise, y invitant les évêques à être désormais « à l’écoute de Dieu jusqu’à entendre avec lui le cri du Peuple, et à écouter le peuple jusqu’à y respirer la volonté à laquelle Dieu nous appelle ». Selon ses propres dires (discours du 25/11/2017), c’est en s’appuyant sur cette nouvelle synodalité qu’il a édicté les nouvelles lois simplifiant les procédures de nullité de mariage, ou encore qu’il a écrit Amoris Laetitia à la suite du synode sur la famille. Reconnaissez-vous en cela la voix de l’Esprit-Saint ? Que pouvez-vous nous dire de cette nouvelle expression dont usent aujourd’hui les autorités de l’Eglise ?
Le débat cyclique sur la synodalité n’est rien d’autre que la projection dans l’après-concile de la doctrine conciliaire sur la collégialité et des problèmes qu’elle a créés à l’Eglise.

De fait, on en parle très souvent, même dans des débats qui ont un autre objectif ou d’autres thèmes à traiter. Je pense, par exemple, au dernier synode sur la jeunesse où le sujet a été évoqué pour la énième fois. Cela manifeste que la hiérarchie n’a pas encore trouvé une solution satisfaisante et cela est inévitable, du moment que le problème est insoluble.

En effet, la collégialité met l’Eglise dans une situation permanente de quasi-concile, avec l’utopie de pouvoir gouverner l’Eglise universelle avec la participation de tous les évêques du monde. Cela a provoqué, de la part des conférences épiscopales nationales, une revendication de décentralisation systématique et insatiable, qui n’aura jamais de terme. On est devant une sorte de lutte de classes de la part des évêques, ce qui a produit, dans certaines conférences épiscopales, un esprit que l'on pourrait définir de pré-schismatique. Je pense encore ici à l’épiscopat allemand, qui offre bien l’exemple de toutes les déformations actuelles. Rome est dans une impasse. D’un côté, vis-à-vis des épiscopats nationaux, elle doit essayer de sauver quelque peu son autorité minée. De l’autre, elle ne peut pas renoncer à la doctrine conciliaire, ni à ses conséquences, sans mettre en discussion l’autorité du Concile et par conséquent le fondement de l'ecclésiologie actuelle. De fait tout le monde continue à marcher dans le même sens, quoiqu’à des vitesses différentes.

Les débats qui se poursuivent manifestent ce malaise latent, et surtout le fait que cette doctrine révolutionnaire est foncièrement contraire à la nature monarchique de l’Eglise. On ne pourra jamais trouver de solution satisfaisante, tant que l’on ne la rejettera pas définitivement.

C’est paradoxal, mais il n’y a que la Fraternité qui pourra aider l’Eglise, en rappelant aux papes et aux évêques que Notre-Seigneur a fondé une Eglise monarchique et non pas une assemblée moderne chaotique. Le jour arrivera où ce message sera écouté. Pour l’instant, c’est notre devoir de garder ce sens profond de l’Eglise et de sa hiérarchie, malgré le champ de bataille et les ruines que nous avons sous les yeux.
La Porte Latine– Comment l’Eglise pourrait-elle corriger les erreurs du Concile ? Après cinquante ans, est-ce réaliste de penser ainsi ?
D’un point de vue purement humain, il n’est pas réaliste de penser ainsi, car nous avons devant nous une Eglise complètement réformée, dans tous les aspects de sa vie, sans exception. C’est une nouvelle conception de la foi et de la vie chrétienne qui a engendré de façon cohérente une nouvelle manière de concevoir l’Eglise et d’y vivre au quotidien. Humainement, revenir en arrière est impossible.

Mais nous oublions peut-être trop souvent que l’Eglise est foncièrement divine, quoiqu’elle s’incarne en des hommes et dans l’histoire des hommes. Un jour, un pape, contre toute attente et contre tout calcul humain, reprendra les choses en mains et tout ce qu’il y a à corriger sera corrigé, car l’Eglise est divine et Notre-Seigneur ne l’abandonne pas. De fait, il ne dit pas autre chose, lorsqu’Il promet solennellement que « les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle » (Mt 16, 18). L’éclat de la divinité de l’Eglise sera d’autant plus fort qu’actuellement la situation paraît irréversible.
La Porte Latine– Cette année 2018 fut celle du trentième anniversaire des sacres épiscopaux conférés à Ecône par Mgr Lefebvre, véritable opération « survie de la Tradition ». Estimez-vous que cette opération était par nature unique, et qu’elle a aussi été un succès en ce sens qu’aujourd’hui, des évêques acceptent de conférer les ordinations et les confirmations dans le rite traditionnel, ou estimez-vous que, les années passant, de nouveaux sacres risquent de devoir être envisagés ?
L’avenir de la Fraternité est dans les mains de la Providence. C’est à nous d’en discerner les signes, de la même manière que notre Fondateur l’a fait, fidèlement, sans jamais vouloir ni devancer la Providence, ni l’ignorer. Nous avons là la plus belle leçon de Mgr Lefebvre, et beaucoup de ceux qui ne l’ont pas comprise en son temps peu à peu sont revenus sur leur jugement.
"Le véritable esprit de notre Fondateur : un esprit d’amour pour la foi et pour la vérité, pour les âmes, pour l’Eglise, dans un esprit de charité authentique entre membres."
La Porte Latine – Le District de France est le plus ancien et le plus important même s’il est d’ores-et-déjà « talonné » par celui des USA. Quelles sont les priorités humaines, matérielles ou apostoliques que vous avez fixées à son nouveau supérieur, M. l’abbé de Jorna, qui a été pendant 22 ans le Directeur du séminaire d’Ecône ?
Toutes les priorités peuvent se résumer en très peu de mots. Le nouveau supérieur de District a la tâche très belle de veiller à ce que l’on garde dans toutes nos maisons et chez tous les membres de la Fraternité le véritable esprit que notre Fondateur nous a légué : un esprit d’amour pour la foi et pour la vérité, pour les âmes, pour l’Eglise, et surtout ce qui découle de tout cela, un esprit de charité authentique entre les membres. Dans la mesure où nous gardons cet esprit, nous aurons une bonne influence sur les âmes, et la Fraternité attirera encore de nombreuses vocations.
La Porte Latine – Beau et enthousiasmant programme que voilà ! Mais il faudra aussi que les fidèles s’y associent pleinement. Vous les avez vus venir par milliers au récent pèlerinage de Lourdes au cours duquel vous avez célébré la messe solennelle du dimanche du Christ-Roi. Que leur demandez-vous ? Que leur proposez-vous ?
J’ai été profondément touché en voyant à Lourdes des pèlerins de tout âge et, en particulier, beaucoup de familles et d’enfants. Ce pèlerinage est vraiment remarquable et aussi très significatif. Il nous rappelle que l’avenir de l’Eglise et des vocations se trouve dans les familles où les parents ont planté la Croix de Notre-Seigneur. En effet, c’est seulement la Croix de Notre-Seigneur et la générosité qui en découle, qui produit des familles nombreuses. Devant notre société égoïste et apostate, châtiée par sa propre stérilité, il n'y pas de témoignage plus noble et plus précieux que celui d’une jeune mère entourée d'une couronne d'enfants. Le monde peut choisir de ne pas écouter nos sermons, mais il ne peut pas s'empêcher de voir ce spectacle. Et cela aussi représente la Fraternité. En fin de compte, c'est le même idéal de la Croix -je le répète encore -qui fait qu’une âme se consacre au Bon Dieu et qui fait qu’une mère se consacre généreusement et sans réserve à l'éducation et sanctification de tous les enfants que la Providence veut lui confier.

Enfin, ce pèlerinage nous rappelle aussi et surtout que toute renaissance ne pourra se faire que sous le manteau de la Très Sainte Vierge car, dans le désert actuel, il n'y a aucun lieu au monde qui continue à attirer les âmes autant que Lourdes.

Aux fidèles de France, je dis très simplement ceci : n’oubliez pas que ceux qui vous ont précédés ont été des combattants et des croisés, miles Christi, et que la bataille actuelle pour la défense de la foi et de l’Eglise est sans doute la plus importante que l’histoire ait jamais connue.

Bonne et Sainte Année 2019!