SOURCE - Paix Liturgique - lettre n°683 - 19 février 2019
Le MJCF, Mouvement de la Jeunesse Catholique de France, crée en 1967 est devenu dans les années 70 du siècle dernier un élément important de la résistance aux reformes liturgiques et un acteur majeur de la défense de la liturgie traditionnelle. Nous avons demandé à Christian Marquant de nous exposer les étapes et les raisons de ce choix.
Le MJCF, Mouvement de la Jeunesse Catholique de France, crée en 1967 est devenu dans les années 70 du siècle dernier un élément important de la résistance aux reformes liturgiques et un acteur majeur de la défense de la liturgie traditionnelle. Nous avons demandé à Christian Marquant de nous exposer les étapes et les raisons de ce choix.
Quel était la situation liturgique en France en 1967 au moment où est né le MJCF?
Christian MARQUANT – Dès la fin du Concile, et même quelques années avant, la liturgie a commencé à être célébrée, au moins en France, très diversement selon les lieux et les paroisses (la réforme liturgique a commencé en 1964). Par exemple au sein du patronage de la paroisse Saint-Pierre de Montrouge où nous suivions nos activités scoutes, à partir les années 1964, la messe était dite largement en français pour toutes ses prières publiques. Mais ces premières innovations ne nous choquaient pas, car, au moins dans cette paroisse, elles étaient vécues d’une manière en rien blessante pour notre foi catholique. Nous nous mettions à genoux pendant le canon encore récité en silence par l’officiant, et bien sûr nous recevions la communion à genoux sur les lèvres. Lorsque je servais la messe matinale du curé de la même paroisse, celle-ci était semblable à celle à laquelle nous assistons aujourd’hui dans nos chapelles traditionnelles.
Le Concile n’eut il pas de conséquences immédiates?
Le Concile Vatican II qui se termina en 1965, entraina très vite une période de grande instabilité, et de luttes entre, d’une part, les tenants du « vrai Concile » (dont faisaient partie les catholiques les plus conservateurs, car personne ne s’opposait vraiment au Concile à ce moment et la plupart des décisions de Vatican II furent approuvées in fine par les prélats les plus traditionnels, comme Mgr. Lefebvre, etc.), qui pensaient pouvoir « bien interpréter » le Concile, et d’autre part, ceux du terrifiant « esprit du Concile ». Le fait est que ces derniers semblaient plus autorisés que les premiers, qui menaient un combat d’arrière-garde : il fallait s’y faire, Vatican II n’était pas le Concile de Trente.
La situation se détériora profondément à partir de 1968, non seulement à cause de l’accélération de la réforme, que par l’addition de débordements surtout politique aux délires ecclésiaux : ce fut alors à Paris un déchainement de folie, où nous vîmes les célébrations changer du tout au tout, non seulement dans les formes de la liturgie, mais aussi à cause du bouleversement général de l’Eglise qui interférait avec le chamboulement de la liturgie. Nous avons de nombreux souvenirs de cette période, par exemple, celui des Scouts de France prirent parti pour la révolution de 68. Ou encore, l’épisode d’une veillée de prière – ce n’était pas un phénomène isolé – dans la paroisse Saint-Eloi, où l’on a magnifié Che Guevara. A cette époque, l’Office catholique du Cinéma prima Théorème, le film de Pasolini, prétendument « spirituel », mais en fait on ne peut plus charnel, et le sulfureux Catéchisme hollandais influençait la catéchèse française.
Existait-il des résistances à cette évolution?
Il existait bien sur quelques prêtres qui ne se satisfaisaient pas de ces évolutions par exemple les membres de l’Opus sacerdotale du chanoine Catta qui, bien que réunissant de nombreux prêtres, n’était ni écouté ni respecté. En fait, la plupart des prêtres n’avaient pas été préparés à vivre de tels événements. Et s’ils en comprenaient la nocivité, ils manquaient du tempérament et du courage pour s’y opposer. Certains arrivaient cependant à aller à contre-courant. L’abbé de Nantes fut l’un des premiers, par ses Lettres et ses conférences, à rendre publique une critique de ces dérives. Je me souviens aussi de l’abbé Coache, alors curé de Montjavoult dans le diocèse de Beauvais, avec son bulletin, Le Combat de la Foi, qui remit en honneur les processions traditionnelles de la Fête-Dieu dans sa paroisse, au moment où elles disparaissaient à peu près partout. Un petit livret, qu’il rédigea avec le P. Noël Barbara, en 1968, le Vade mecum du catholique fidèle, rappelant les points essentiels concernant la messe, le catéchisme, la morale, signé par 400 prêtres, se vendit à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.
A cette époque nous avions plus de proximité, via les scouts d’Europe parisiens, avec l’Alliance Saint-Michel de Bernard Prud’homme, qui interrompait des cérémonies scandaleuses, distribuait des tracts, etc.
Aviez-vous une compétence particulière pour vous commencer à vous investir ainsi dans le domaine religieux?
Nous étions de simples fidèles catholiques qui certes avions reçu de nos parents et maîtres une solide formation catéchétique, mais sans avoir, à ce moment-là, aucune formation profonde en liturgie ou en théologie. Cependant, les excès, et les scandales qui se perpétraient devant nous justifiaient pleinement nos réactions. D’autant qu’on nous rebattait les oreilles sur le droit et même le devoir des laïcs à intervenir et à s’exprimer, cependant qu’on jetait aux orties les fameux « mandats » qui soumettaient les mouvements d’Action catholique à la hiérarchie. Nous avons saisi cette opportunité : on demandait aux laïcs de participer à la vie de l’Eglise ? Nous avons donc participé ! Et nos bons clercs se sont retrouvés en face de laïcs, parfois très jeunes, qui contestaient les orientations du Concile…au nom de l’esprit du Concile!
Comment s’est imposée la nouvelle messe?
Brutalement. On est passé de 1964 à 1969, en cinq ans d’un univers dans un autre. L’étape définitive a été l’entrée en vigueur, le 30 novembre 1969, c’est-à-dire le premier dimanche de l’Avent, d’un missel complètement nouveau. Chaque conférence épiscopale pouvait fixer des délais pour assurer une entrée en vigueur progressive. Mais en France les évêques l’imposèrent avec une violence morale inouïe à tous les membres du clergé en proscrivant l’ancien rite. Ceux qui voudraient se rendre compte de ce qu’a été cette violence pourraient lire avec intérêt un opuscule intitulé Face à Face, qui est la publication des échanges de correspondance entre Mgr François Ducaud–Bourget et le cardinal Marty, entre 1970 et 1977. Cette violence et ce manque étonnant de charité constituèrent certainement le terreau sur lequel émergea notre attachement de plus en plus vif vis-à-vis à la messe traditionnelle.
C’était une réaction du sens de la foi : entre une messe que nous avions toujours connue et qui portait notre foi catholique et une nouvelle liturgie indigente et sur laquelle se greffaient abus et des scandales, le choix semblait simple.
Mais vous avez trouvé des éléments qui ont ensuite soutenu la réaction d’«instinct de la foi»?
Les voix théologiques autorisées furent nombreuses. C’est la publication, en 1970, de l’ouvrage de Louis Salleron, La nouvelle messe, aux Nouvelles éditions latines, dans la collection « tinéraires», qui nous fit comprendre avec clarté et précision le caractère véritablement révolutionnaire de cette nouvelle liturgie et les raisons de ne pas y adhérer. La lecture de ce livre constitua pour nous pendant plusieurs années une étape essentielle dans la réflexion qui nous fit évoluer vers la messe traditionnelle. Ce combat liturgique, en 1970, n’était pas encore prioritaire pour tous. Par exemple, l’assemblée des « Silencieux de l’Eglise », de Pierre Debray, qui se tint à Versailles les 7 et 8 novembre 1970, s’était donné pour objet la résistance au nouveau catéchisme, mais ne parlait à propos de la messe que des abus qui scandalisaient le peuple de Dieu. D’ailleurs, la messe célébrée au Palais des Congrès pour les silencieux était selon le nouvel Ordo missæ…
Cependant, vous n’aviez pas encore fait le choix de la messe traditionnelle?
C’est vrai. Cela peut paraitre étrange aujourd’hui, mais il nous était le plus souvent impossible, à l’époque, d’assister à d’autres messes que la messe nouvelle. Il se trouvait bien ici ou là quelques prêtres résistants, mais qui souvent célébraient en cachette, parfois sans fidèles ! De fait, nous avons-nous-même continué à assister pendant plusieurs années à la nouvelle messe célébré par l’Abbé Jean-François Guérin.
Racontez-nous votre rencontre avec l’abbé Guérin?
L’abbé Guérin qui était un peu comme le chapelain de la Cité catholique de Jean Ousset, devenue en 1963, « L'Office international des œuvres de formations civiques et d'action doctrinale selon le droit naturel et chrétien » - ouf !
Lorsqu’éclata la crise de la messe, l’abbé Jean-François Guérin, prêtre du diocèse de Tours, oblat de l’abbaye de Fontgombault, s’éloigna de cette abbaye, car elle conservait la messe traditionnelle et que lui-même pensait qu’il fallait accueillir la nouvelle liturgie avec obéissance, tout en l’« interprétant » le mieux possible. Il s’était installé à Paris comme délégué général de l’Œuvre d’Orient. Lors du congrès de Lausanne de Paques 1970, organisé par l’Office international, il participa à l’élaboration d’un compromis peu glorieux : pour éviter des censures ecclésiastiques, les offices furent tous célébrés selon divers rites orientaux.
L’abbé Guérin accepta de célébrer une messe de Paul VI en latin pour des étudiants, le mercredi, dans la chapelle des Sœurs du Bon-Secours de la rue N-D des Champs. Très vite cette messe, qui avait conservé au maximum les apparences de la liturgie traditionnelle attira tous les jeunes mal à l’aise dans les nouveautés liturgiques de la capitale.
Vous ressentez donc une dette envers l’abbé Jean-François Guérin?
Oui, nous sommes immensément redevables à l’abbé Jean-François Guérin. Comme je l’ai dit, avant lui nous ignorions à peu près tout de la liturgie et que nous avions jusqu’alors plutôt réagit contre les nouveautés. Eh bien, rue ND des Champs, à travers un rite qui nous paraît aujourd’hui bien imparfait, nous avons pu entrevoir les trésors du culte traditionnel. Grâce en quelque sorte à la « copie », nous avons commencé à comprendre l’« original », la messe traditionnelle, à l’aimer et à la servir, avant de pouvoir vraiment la défendre. C’est l’abbé Guérin qui nous permis de nous familiariser avec le service de l’autel et le chant grégorien. C’est lui qui nous fit découvrir les richesses de la liturgie de la semaine sainte, lors de sessions en Suisse. C’est lui qui nous initia à la liturgie des Heures et à la récitation de complies du petit Office de la Sainte Vierge, qui devint une des prières les plus répandu au MJCF.
Mais l’abbé Guérin dut interrompre son apostolat parisien?
En effet, car accepter le nouvel Ordo, mais en lui donnant toutes les apparences et surtout l’esprit de la liturgie ancienne, était insuffisant pour les autorités de l’époque. Le cardinal François Marty, archevêque de Paris, le convoqua pour lui dire son mécontentement de le voir continuer à célébrer la messe traditionnelle. Pour dire vrai, le cardinal lui reprochait surtout son insupportable succès auprès des jeunes. Devant les dénégations respectueuses de l’abbé, qui lui affirma célébrer la nouvelle messe, le cardinal s’emporta et – nous le tenons de l’abbé Guérin lui-même – lui rétorqua avec son accent rocailleux : « Ne me prenez pas pour un couillon, je sais que vous célébrez l’ancienne messe ! » L’abbé Guérin dut cesser son apostolat parisien fécond. On sait la suite. Grand directeur spirituel et éveilleur de vocations, il fonda en 1976 la Communauté Saint-Martin, accueillie par le cardinal Siri dans le diocèse de Gènes. La Communauté se verra confier des ministères en France à partir des années 80. Ses prêtres, toujours en soutane, pratiquent en paroisse une liturgie non latine, mais délibérément classique.
Quelle fut votre réaction?
Il est paradoxal que ce cher abbé qui était un homme d’ordre, peu préparé à la résistance, se soit vu admonesté par le cardinal Marty pour ne pas avoir obéi, alors qu’il obéissait, mais pas dans l’esprit nouveau. Eh bien, c’est parce qu’il a été persécuté pour une messe moderne qui n’était pas assez moderne, que nous nous sommes tournés vers la messe ancienne. En effet, la persécution contre l’abbé Guérin nous montrait que l’intention des novateurs ne voulaient pas changer la forme, tout en gardant le fond, mais qu’ils voulaient bien changer le fond. Il s’agissait bien d’une tentative de subversion de la foi de la part de pasteurs. Voilà comment obéissant à en mourir, Jean-François Guérin nous amena à refuser d’obéir pour vivre pleinement note foi catholique.
A désobéir apparemment. Mgr Guérin est mort deux ans trop tôt, en 2005, pour savoir, par le motu proprio Summorum Pontificum de 2007, que la messe ancienne n’avait jamais été abolie. Il avait donc obéi à une obligation inexistante. Mais il avait trop souffert de s’être ainsi contraint pour revenir à la messe traditionnelle. Avant même le texte de Benoît XVI, lorsque l’interdiction de célébrer la messe traditionnelle avait été partiellement levée, en 1984 et 1988, Jean-François Guérin n’avait pas voulu se dédire et en profiter…
C’est donc à ce moment que Le MJCF s’orienta et évolua vers une adhésion claire et nette en faveur de la liturgie traditionnelle?
Tout à fait. Pour nous, et sans doute pour d’autres, cet épisode fut fondateur d’une décision claire en faveur de la messe traditionnelle. En effet, si pour les autorités, lorsque l’on obéissait en célébrant le Nouvel Ordo, mais d’une manière conforme à la foi de toujours, on devenait « désobéissant », c’était donc bien cette foi de toujours qui était contestée. Ainsi l’avaient compris les cardinaux Bacci et Ottaviani, comme ils l’expliquaient dans leur Bref examen critique du nouvel Ordo Missæ, de 1969.
C’est donc à ce moment que le MJCF s’orienta vers une nette adhésion à la liturgie traditionnelle. Si bien qu’à Noel 1974, lorsque décédèrent dramatiquement deux animatrices nationales du MJCF, ce fut la liturgie traditionnelle que nous choisîmes pour leurs funérailles, au risque d’attirer sur nous les foudres du cardinal Marty . Il ne nous fut d’ailleurs pas facile de trouver un prêtre qui acceptât de célébrer cette liturgie en public dans une église paroissiale et en présence du curé du lieu. Cependant les temps étaient en train de changer, notamment par le fait qu’en 1970, Mgr Lefebvre avait fondé son séminaire d’Ecône, où il allait commencer à ordonner ses premiers prêtres, ce qui allait modifier profondément le paysage sacerdotale français
Cette orientation fut-elle suivie par tout le MJCF ?
On peut dire que oui. Ensuite, la plupart des nombreuses vocations sacerdotales et religieuses qui émergèrent au sein du mouvement s’orientèrent vers les communautés traditionnelles naissantes, il y eut cependant quelques garçons qui crurent que – même dans les années de plomb – il était encore possible d’agir à l’intérieur au sein des églises diocésaines. Ils sont restés nos amis, même si leur choix ne permit pas le rétablissement liturgique et doctrinal qu’ils avaient souhaité.
Et maintenant ?
La semence a germé. Cette orientation prise dans les années 70 enracina des générations de militants comme défenseurs de la liturgie traditionnelle, qui se retrouvent encore aujourd’hui dans les combats et les œuvres structurés par cette liturgie, le pèlerinage de Chrétienté à Chartres, Renaissance Catholique, Paix Liturgique et bien sûr dans la toutes ces maisons sacerdotales et religieuses traditionnelle féminines et masculines qui se sont développées depuis 50 ans
Que diriez-vous pour conclure ?
Je dirais qu’on peut affirmer que le MJCF n’a pas adopté la messe traditionnelle par nostalgie, ni pour des motifs esthétiques, ni par amour du latin, mais simplement parce qu’elle nous est apparue, au fur et à mesure que nous la découvrions et que nous assistions aux attaques dont elle était l’objet, comme le vecteur de notre foi Catholique