SOURCE - Paix Liturgique - lettre 697 - 4 juin 2019
Depuis bientôt 20 ans Paix Liturgique a entrepris de réaliser des enquêtes d’opinion auprès du peuple catholique pour cerner ses préférences et vœux en matière liturgique.
Depuis bientôt 20 ans Paix Liturgique a entrepris de réaliser des enquêtes d’opinion auprès du peuple catholique pour cerner ses préférences et vœux en matière liturgique.
Ces sondages ont été réalisés en France (3 sondages nationaux + 18 sondages diocésains + 6 sondages « paroissiaux ») mais aussi en Europe (7 sondages) et dans diverses régions plus lointaines (Brésil en 2016, Corée et USA en 2019).
Ce qui a le plus surpris les organismes de sondages (et nous-mêmes d’ailleurs…) ce fut l’importance et la permanence du socle des amoureux de l’antique liturgie en Latin et grégorien que révélaient ces études.
Partout ce sont de 25 à 45 % des catholiques pratiquants qui souhaitent vivre leur foi catholique au rythme de la liturgie traditionnelle si cela leur était permis dans leurs paroisses et plus de 60 % d’entre eux qui considèrent comme « Normal » que cohabitent les deux formes du rite, l’Usus antiquor et la messe nouvelle de Paul VI en usage depuis maintenant 50 ans.
Ce qui nous est apparu le plus surprenant c’est l’autisme du monde ecclésiastique face à ces documents « Pour les Sciences humaines et pour l’Histoire ». Par exemple pas une seule fois en France la presse dite catholique ne s’est faite l’échos de ces études même pour les contester ! Peut-être parce ce qu’elles sont incontestables car réalisées chaque fois par des instituts professionnels indépendants et de ce fait certainement assez objectif sur des sujets qui leur sont tout à fait étrangers.
Pour l’anecdote, évoquons seulement une historiette. Lorsqu’en 2001 nous avons publié notre premier sondage réalisé par IPSOS, quelques personnes ayant reçu notre lettre ont contacté Paix Liturgique pour nous accuser de mensonge et de falsification. Comme nous leur avons immédiatement communiqué la copie intégrale de l’étude réalisée par IPSOS le silence se fit. Il ne fut rompu quelques semaines plus tard que par un appel d’un hiérarque d’IPSOS qui souhaitait revenir en arrière, nous rembourser les frais du sondage de sorte que celui-ci n’ait jamais existé, ce que bien sur nous refusâmes ! L’on peut penser qu’il avait subi des pressions de la part de ceux qui par ailleurs utilisent très largement la technique des sondages pour faire avancer leurs propres innovations… Bien sûr nous ne pûmes ni ne voulûmes continuer à utiliser les services de cet institut lors de nos études suivantes…
Cet autisme intellectuel qui sévit encore aujourd’hui espère sans doute que les actions du petit David qu’incarne aujourd’hui le minuscule Paix Liturgique seront bientôt broyées, écrasées et donc oubliées grâce au Mastodonte Goliath que constitue assez bien le monde médiatique et universitaire « catholique » français contemporain.
Et pourtant, cet autisme ne peut pas être expliqué par la simple négligence ou le manque de temps ou d’information de nos « intellectuels et médias catholiques » qui ont déjà été confrontés à cette réalité car en 1976, en plein cœur de l’été, au paroxysme de ce qui était nommé alors « L’affaire Lefebvre », le « Progrès de Lyon » avait publié un sondage et réalisé une étude approfondie qui constituait une rigoureuse radioscopie du catholicisme français du moment repris par tous les médias français et européens ainsi que par la majeure partie des membres de l’épiscopat d’alors… Or, ce que révélait cette étude était à quelques détails près identique à ce que nous découvrons lors des études que nous réalisons 15 ans, 20 ans, 25 ans, 30 ans ou 35 ans après…
L’intérêt que Le Progrès, journal « généraliste » régional typique, portait à ce qui se déroulait dans l’Eglise en 1976 était symptomatique. Les médias ont joué, à partir de Vatican II, un rôle considérable de caisse de résonnance pour la mutation interne de l’Eglise. Ils se montraient, la plupart du temps, favorables à la modernisation entreprise, qui avait a priori leur sympathie (voir, en France, l’écho et la place dans les colonnes donnés par La Croix, mais aussi par Le Monde – ce qui serait impensable aujourd’hui – aux débats conciliaires). Cependant, tant parce qu’une part de son public était mal à l’aise avec cette évolution, que parce que tout événement d’opposition provoque immanquablement l’intérêt des lecteurs, la presse a aussi largement rendu compte des manifestations de grogne, voire de révolte, quitte à les traiter, du haut de son magistère, de « schismatiques ». A cet égard, les enquêtes d’opinion sur l’état du catholicisme, qui vont désormais fleurir, sont un des aspects de la symbiose de l’Eglise avec la modernité. Paradoxalement, l’ouverture que sa hiérarchie pratique en direction des organes d’orchestration de l’opinion se retourne aussi contre elle dans la mesure où l’opposition à cette ouverture bénéficie d’une très grande publicité.
Nous allons donc, pour alerter de nouveau les hommes de bonne volonté, publier au cours de nos prochaines lettres ce que furent les résultats de ce coup de tonnerre de 1976. Merci de nous communiquer vos réactions et vos souvenirs !
Notre dossier comprendra quatre parties
- 1 ère Partie publiée dans cette lettre : le contexte de l’Eglise de France en 1976,
- 2 ème Parie : les résultats de l’enquête de 1976,
- 3 ème Partie : les réactions à l’enquête de 1976,
- 4 ème Partie : que dire de cette étude en 2019 ?
Première Partie : Le contexte de l’Eglise de France en 1976
Le contexte à moyen terme du sondage de 1976 : l’après-Concile
Ce contexte était celui de l’onde de choc produite par le deuxième concile du Vatican qui s’était achevé onze ans plus tôt, en 1965. Quelles qu’aient été les intentions des protagonistes de l’assemblée, ses effets ont été – on n’en discute plus aujourd’hui – immédiatement dévastateurs (effondrement des vocations, chute de la pratique, sécularisation de la vie religieuse). La réforme a dilapidé les richesses de l’Eglise, dans une atmosphère d’euphorie du côté des clercs, de stupéfaction et de marasme du côté des fidèles. Nombre de fidèles n’ont retenu que l’affaiblissement des normes et la sécularisation de la vie des clercs et religieux et se sont eux-mêmes sécularisés, c’est-à-dire ont abandonné la pratique. En fait, ce catholicisme nouveau – une énième tentative libérale pour se rapprocher du monde moderne en tentant de le séduire – avait un caractère nettement élitiste, plein de mépris pour tous les aspects de la « religion populaire », d’une part, et pour tout ce qui pouvait ressembler à l’« intégrisme » dans lequel était supposé s’être enkystée l’Eglise sous Pie XII. Un ensemble de clercs, de la base aux plus hauts niveaux, ont voulu ainsi faire avancer à marche forcée l’ensemble des fidèles vers un catholicisme censément plus « pur », plus intellectuel, en même temps que mieux adapté « aux hommes de ce temps ». Mais les troupes se sont éclaircies. Et ceux qui restaient ne suivaient que de mauvais gré, notamment du point de vue liturgique.
Car pour les fidèles du rang, c’est la refonte hâtive, entre 1964 et 1970, de la messe du dimanche, ce moment structurant pour les catholiques, qui leur fit connaître sensiblement un événement dont ils n’avaient pas nécessairement perçu la portée doctrinale : le Concile pris au sens d’événement global avait été une sorte de Mai 68 ecclésiastique, avec quelques années d’avance sur le Mai 68 politique. Les fidèles ne comprenaient guère les discussions théologiques sur l’œcuménisme et la liberté religieuse. En revanche, ils voyaient de leurs yeux leurs prêtres abandonner l’habit ecclésiastique, les religieux ouvrir les portes de leurs couvents à tous vents, de la psychanalyse des novices à la télévision au réfectoire, mais surtout on les faisait entrer tous les dimanches, de gré ou de force, dans une réforme liturgique qui bouleversait d’un coup toutes les formes anciennes.
Un malaise diffus s’exprimait par des pétitions, suppliques, articles, mais cela restait le fait de personnalités littéraires ou artistiques (voir, par exemple, en France, en 1967, une pétition de laïcs protestait contre l’appauvrissement liturgique, eut pour premiers signataires Louis Salleron, Henri Massis, Gustave Thibon, Roland Mousnier, Jacques de Bourbon-Busset, Stanislas Fumet, François Mauriac). Dans le même registre, avait eu lieu, en 1964, la création d’une association pour « la sauvegarde et le développement de la liturgie latine, du chant grégorien et de l’art sacré », qui prit le nom d’Una Voce.
Mais on sentait que le peuple lui-même était prêt à manifester son mal être. Avant même la fin du Concile, s’était levée une première protestation sous la forme de fondations d’associations contre les désordres, notamment liturgiques. Ainsi Pierre Debray (1922-1999), issu du catholicisme de gauche et passé au monarchisme, avec Les Silencieux de l’Église, multipliait rassemblements, conférences, ouvrages (Dossiers des nouveaux prêtres, 1965, Schisme dans l’Église, 1966, et À bas la calotte rouge, 1968, tous publiés à La Table Ronde).
Mais surtout, en France spécialement, mais peu à peu en d’autres pays, se constituait un réseau de messes traditionnelle, dans lesquelles les assistants « votaient avec leurs pieds » en ne se rendant plus aux messes nouvelles et en recherchant, parfois loin de chez eux, des messes de Saint Pie V. En France, il n’y avait pas de diocèse sans un ou deux curés, généralement ruraux, et de ce fait éloignés de l’administration épiscopale, qui conservaient la messe traditionnelle. Selon les cas, les évêques toléraient la situation ou, au contraire, exerçaient des pressions contre les récalcitrants, engageant parfois des actions canoniques jusqu’à la révocation, au risque de soulever les populations attachées à leurs pasteurs. On vit des curés demeurer dans leur église contre la décision de l’évêque, ou chassés de la paroisse, célébrant la messe dans un lieu de fortune. On entrait ainsi lentement dans l’établissement de « messes sauvages ». Emblématique fut le cas de l’abbé Louis Coache (1920-1977), canoniste, curé de Montjavoult, dans le diocèse de Beauvais. Conservant la messe ancienne, il remit en honneur les processions traditionnelles de la Fête-Dieu dans sa paroisse, qui attirèrent des foules importantes de 1969 à 1975.
Mais ces prêtres, devenus célèbres ou restés inconnus, auraient été les soldats d’un baroud d’honneur, qui aurait pu durer au mieux plusieurs dizaines d’années, si une relève ne s’était pas manifestée. Cette relève sacerdotale a été découverte par le grand public, précisément en 1976, ce qui constitue le contexte immédiat du sondage IFOP.
Le contexte immédiat : l’affaire Lefebvre
L’entrée en scène de Mgr Lefebvre et de son œuvre a donné au refus de la réforme liturgique le moyen de se perpétuer sur le long terme. En effet, un pas de plus dans l’opposition fut franchi lorsque, outre les messes « sauvages », intervinrent des ordinations « sauvages », à partir de 1976. Mgr Marcel Lefebvre (1905-1991), ancien archevêque de Dakar, archevêque-évêque de Tulle le 23 janvier 1962, pour quelques mois, puis nommé supérieur général des Pères du Saint-Esprit le 26 juillet, avait été l’un des animateurs de la minorité conciliaire d’opposition. Au Séminaire français, via Santa Chiara, à Rome, dont étaient chargés les Pères du Saint-Esprit, un certain nombre de séminaristes formaient autour de leur supérieur général, durant le Concile, un groupe de disciples. Il démissionna de sa charge de supérieur de sa congrégation le 30 septembre 1968, et fonda un « convict » (un foyer religieux) en Suisse, à Fribourg, en octobre 1969, dans lequel il reçut des séminaristes de Santa Chiara et d’autres se joignant à eux, qui poursuivaient leurs études à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Puis, en octobre 1970, il fonda un séminaire à Ecône, dans le diocèse de Sion. Il obtint, à cet effet, les autorisations successives de Mgr Charrière, évêque de Fribourg et de Mgr Adam, évêque de Sion.
Mais, une Commission cardinalice désignée par Paul VI, organisa en novembre 1974, une visite canonique, du séminaire de la fondation dite « Fraternité Saint-Pie-X », avec pour but évident de faire fermer ce séminaire. Mgr Lefebvre brusqua les événements et publia un manifeste le 21 novembre 1974 : « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues ». Du coup, Mgr Mamie, nouvel évêque de Fribourg, déclara caduc le décret d’érection, le 6 mai 1975 : Ecône entrait dans l’illégalité, essentiellement par fidélité à l’ancienne liturgie.
Puis, le 12 juin 1976, Paul VI interdisait à Mgr Lefebvre de procéder à des ordinations. Passant outre, il ordonna des prêtres le 29 juin 1976. Le 22 juillet il était frappé 1976, d’une suspense a divinis (interdiction de célébrer la messe et de donner les sacrements). En réponse, l’ancien supérieur Mgr Lefebvre laissa ses amis organiser une messe, à Lille, dans les locaux de la Foire commerciale, le 29 août 1976, devant au moins 6.000 fidèles. Sa Fraternité reçut dès lors de plus en plus de séminaristes (elle avait déjà ouvert un séminaire aux États-Unis et un autre en Allemagne), commençant à devenir un réservoir de prêtres de rite traditionnel.
C’est dans ce climat, peu avant la messe de Lille, le 13 août, que Le Progrès avait publié le sondage dont nous republions les résultats. Cette constatation faite en 1976 va désormais constamment se vérifier : celle d’un décalage profond entre une hiérarchie de l’Eglise passée – spécialement avec la liturgie – aux modernes, d’une part, et le peuple catholique, d’autre part. C’est d’ailleurs ce qui ressort aujourd’hui même – au-delà de notre propos sur la question liturgique – de l’ouvrage de Yann Raison du Cleuziou, Une contre-révolution catholique, aux origines de la Manif pour tous (Seuil, 2019) : non seulement le renouveau attendu des avant-gardes des années 1960 n'est pas arrivé, mais actuellement, ce qui reste de catholiques pratiquants (les « observants », dit Yann Raison) s’avère conservateur, au sens de favorable à un « conservatoire », à la différence d’une bonne part des élites gouvernantes du catholicisme.
Ainsi, sur le point qui nous intéresse particulièrement, le débat sur les réformes, spécialement sur celle de la liturgie, le sondage d’août 1976 constitue un borne historique importante : quelques dix ans après le début de la réforme liturgique, près de la moitié des pratiquants se disaient rétifs au réformes, et plus du tiers restaient favorables à la liturgie « d’avant ».
A suivre...