SOURCE - Youna Rivallain - La Vie - 3 juillet 2019
L’abbaye de Fontgombault, dans l’Indre, héberge depuis le 28 juin le quintuple assassin en liberté conditionnelle. Une coopération avec la justice fidèle à la tradition de l’accueil monastique.
L’abbaye de Fontgombault, dans l’Indre, héberge depuis le 28 juin le quintuple assassin en liberté conditionnelle. Une coopération avec la justice fidèle à la tradition de l’accueil monastique.
Après 26 ans de réclusion à la maison centrale de Saint-Maur, dans l’Indre, Jean-Claude Romand est accueilli, depuis le 28 juin dernier, en liberté conditionnelle à l’abbaye bénédictine de Fontgombault. En 1996, celui qui s’était fait passer pour un médecin de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) auprès de ses proches avait été condamné à perpétuité pour avoir assassiné sa femme, leurs deux enfants et ses parents en 1993.
Décrit comme un détenu modèle et converti au catholicisme lors de sa détention, il habitera pendant au moins deux ans dans cette abbaye, muni d’un bracelet électronique. Il vivra aux côtés des 60 moines de la congrégation de Solesmes, qui célèbrent selon la forme extraordinaire du rite romain (la « messe en latin »). L’ex-détenu ne sera pas autorisé à quitter l’abbaye pendant la nuit, ni à certaines heures de la journée.
Un intermédiaire entre prison et vie civile
Ce n’est pas la première fois qu’une abbaye accueille un détenu en liberté conditionnelle. En 1978, Guy Desnoyers, surnommé le curé d’Uruffe, condamné pour double assassinat, avait été hébergé après 22 ans de prison par l’abbaye de Kergonan, dans le Morbihan. La même communauté, qui reçoit déjà des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général, a hébergé en 2016 un détenu condamné pour meurtre. Les clarisses de Malonne, en Belgique, ont accueilli quant à elles, en 2012, Michelle Martin, ex-épouse et complice du tueur en série Marc Dutroux, provoquant l’ire des habitants de cette petite ville du sud du pays.
Ces liens entre la justice et les communautés religieuses concernant l’accueil des détenus en fin de peine ne sont pas institutionnels. « Mais cela fait partie de la tradition monastique, rappelle le bénédictin Jean-Pierre Longeat, ancien président de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France). L’abbaye, comme lieu retiré avec une forme de vie autonome, présente plus de protection que des lieux à ciel ouvert. » Le monastère serait ainsi une mesure prudente, un intermédiaire entre la prison et la vie civile. Si des prêtres en attente de jugement peuvent être placés dans une communauté avant ou après leur suspension de tout ministère, la décision est -souvent une demande particulière du détenu. « Certains repris de justice éprouvent même le besoin de changer de vie, jusqu’à parfois devenir moines », ajoute-t-il.
Le cas Romand fait écho à ces changements de vie. En prison, il aurait connu un réveil spirituel, au contact de ses visiteurs, catholiques pratiquants, comme le rapporte le média chrétien Aleteia. Après sa rencontre avec des membres des Équipes Notre-Dame, il serait devenu intercesseur pour l’association, s’engageant à se lever la nuit au moins une fois par mois afin de prier pour leurs intentions. La décision de vivre dans un lieu spirituel et retiré viendrait de lui. Avant de se diriger vers l’abbaye traditionaliste de Fontgombault, il avait cherché à intégrer une communauté Emmaüs.
Les moines de Fontgombault, soumis par la justice au silence médiatique, n’ont pas souhaité donner plus d’informations au sujet de leur hôte. Cependant, au regard de certaines affaires comme celle de Michelle Martin, dernière criminelle en date ayant été accueillie par un couvent, il semblerait que de telles dispositions soient parfois davantage dictées par la nécessité. « Pour obtenir une libération conditionnelle, vous devez témoigner d’un logement et d’une occupation, mais, après des années en prison, vous êtes -socialement mort, résume Emmanuel Pierrat, avocat membre de l’Observatoire international des prisons. Pour les détenus croyants, l’abbaye est une option parmi d’autres. L’Église fait simplement partie de cette chaîne de solidarité pour faciliter la réinsertion. »
L'accueil de l'ex-épouse de Marc Dutroux
Socialement morte, c’est ainsi que se retrouve Michelle Martin lorsqu’elle obtient sa libération sous conditions en juillet 2012, après 16 ans de prison. « Quand le temps fut venu pour Mme Martin de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle, en vue d’une réinsertion sociale, nous espérions que les instances prévues à cet effet allaient lui procurer un lieu d’accueil, expliquent les sœurs clarisses de Malonne dans un communiqué de presse en 2012. Mais il n’a pas été possible de trouver ce lieu. Il faut savoir que Mme Martin n’a pas de famille et qu’elle n’a pas trouvé en Belgique de lieu de réinsertion prévu pour des femmes. »
En prison, l’ex-épouse de Marc Dutroux correspond avec une des sœurs clarisses depuis plusieurs années, « comme cela se fait beaucoup chez les contemplatives », explique sœur Francine. Ne trouvant pas de lieu d’accueil, elle demande de venir habiter au couvent. Contactée par les avocats de Michelle -Martin, la communauté se réunit pour discuter la décision. « Ce fut un défi pour nous, bouleversées que nous étions par l’horrible souffrance des victimes et de leurs familles, relate le communiqué de presse de l’époque. Nous avons cherché à vivre au mieux cette tension : comment porter ces deux réalités à la fois ? Ce ne fut pas facile... Nous avons choisi d’accueillir en nous ces deux souffrances qui ne sont en rien comparables l’une avec l’autre. »
Le désir de vivre l’Évangile jusqu’au bout
Sept ans après leur choix contesté – une vague de protestations et d’apostasies a suivi la décision des religieuses –, sœur Francine se souvient : « Notre décision prise à l’unanimité était en fidélité à l’Évangile, ce qui signifie être humain et croire en l’humain à la manière de Jésus. Nous voulions donner à Mme -Martin une nouvelle chance de repartir dans la vie. » Vivant dans un petit studio aménagé par les sœurs et soumise comme elles au silence, Michelle Martin a bénéficié d’un accompagnement psychologique et juridique tout en participant à la vie communautaire. Sortie de l’abbaye en 2015, l’ex-femme de Marc Dutroux a ensuite trouvé refuge chez un ancien juge et universitaire qui avait accepté de l’héberger dans un appartement indépendant. Elle se serait alors lancée dans des études de droit. Sœur Francine de confier : « Elle nous rend visite de temps en temps.»
Jean-Claude Romand, quant à lui, devrait rester au moins deux ans à Fontgombault, où les frères bénédictins cultivent la terre, font de l’élevage et de la poterie artisanale. Là, comme Michelle Martin, il espérera retrouver une vie presque) normale.