SOURCE - Présent - Anne Le Pape - Abbé de Tanoüarn - 21 septembre 2019
Des élections viennent de se dérouler à l’Institut du Bon Pasteur pour choisir le nouveau supérieur général. L’abbé de Ta- noüarn, l’un des fondateurs de l’institut créé en 2006, com- mente l’actualité de l’IBP et par ricochet celle du rite tradi- tionnel.
Des élections viennent de se dérouler à l’Institut du Bon Pasteur pour choisir le nouveau supérieur général. L’abbé de Ta- noüarn, l’un des fondateurs de l’institut créé en 2006, com- mente l’actualité de l’IBP et par ricochet celle du rite tradi- tionnel.
— Monsieur l’abbé, le nouveau supérieur général de l’IBP, l’abbé Barrero, est originaire d’Amérique du Sud. Comment expliquez-vous ce change- ment de continent pour la tête de votre institut ?
— L’abbé Barrero est Colombien. La
Colombie est connue pour le narcotrafic
malheureusement, mais elle est aussi
l’un des pays les plus catholiques du
monde. Mgr Marcel Lefebvre se référait
souvent à la Colombie comme étant un
pays reconnu comme catholique dans sa
constitution. Il a fallu attendre les ré- formes du concile Vatican II pour que
l’Eglise catholique elle-même (au nom
de la liberté religieuse) fasse cesser cette
exception (que l’on trouvait aussi dans
le Valais suisse). Notre abbé Barrero est
aussi un compatriote du cardinal Dario
Castrillón Hoyos, un grand cardinal qui
fut à Rome un combattant de la foi et un
défenseur de la tradition. A l’heure où ce
qui reste de la catholicité est en train de
perdre le nord et de douter de son iden- tité – entre scandales pédophiles et synode amazonien.
— Les maisons érigées par l’IBP en Amérique du Sud sont plus nombreuses en Amérique latine qu’en France. Comment l’expliquez-vous ?
— Les évêques y sont, sans doute,
somme toute plus accueillants car moins
idéologues. En France, la doctrine officieuse face aux communautés traditionnelles, c’est : ne pas leur donner plus,
institutionnellement, que ce qu’elles ont
obtenu sous Benoît XVI. Ne donner
qu’aux communautés qui acceptent de
concélébrer, car la concélébration – à
une époque où les fois sont aléatoires –
représente aujourd’hui (contrairement à
ce qui s’est fait dans le passé) tout ce qui
reste de la communion ecclésiastique. Il
y a par ailleurs un vrai problème : autrefois tous les ecclésiastiques connaissaient le rite traditionnel. Aujourd’hui
beaucoup d’évêques ne l’ont vu célébrer
que très circonstanciellement et ne se
rendent tout simplement plus compte de
la charge mystique, de la puissance spirituelle qu’il représente. Le dialogue entre les évêques et la tradition catholique
n’en est pas facilité.
— Quelle est la muraille de Chine qui « bloque » les évêques français vis-à-vis de l’IBP ? Est-ce la même situation dans les autres pays d’Europe, en Italie, par exemple ?
— La muraille de Chine, c’est un peu
vieux jeu. Il y a, pour reprendre une métaphore politique à la mode, un véritable
plafond de verre qui empêche les ex-sans-papiers de l’Eglise que nous
sommes de nous intégrer normalement
dans l’institution. C’est toujours plus fa- cile de prêcher aux Etats, en leur deman- dant d’accueillir des migrants, que de
faire l’effort de vivre cette même ouver- ture à l’intérieur de la communauté ec- clésiale, en accueillant les sans-papiers
de l’Eglise trop récemment régularisés.
Dans les autres pays d’Europe, il me
semble que la situation est la même,
mais que le clivage est moins saillant.
Comme toujours, la France a le génie
spirituel de la radicalité.
— Les évêques ont-ils la même réaction vis-à-vis des autres instituts Ecclesia Dei ?
— Absolument, avec, entre ces instituts,
toutes les nuances de gris que vous pouvez imaginer.
— Pourquoi accepter la liturgie rénovée est-il si important aux yeux des évêques français ?— Il y a deux aspects dans votre question : il faut reconnaître la légitimité du rite rénové qui, parce qu’il a été promul- gué par un pape qui a cherché à en ren- dre la célébration obligatoire, présente extrinsèquement les caractéristiques juridiques d’un rite catholique. C’est ce que j’appelle sa légitimité. A moins de tomber dans le sédévacantisme, on ne peut pas nier ce point. Les évêques, le pape même auraient raison d’insister sur ce point, ils ne le font malheureusement pas. Cela étant dit, reconnaître la légitimité du rite rénové, cela ne signifie pas que l’on soit obligé de le célébrer. Il n’a jamais été question d’imposer à tous la célébration du même rite. Jamais dans l’Eglise romaine une telle obligation n’a été manifestée. Il suffit de célébrer un rite catholique, un rite traditionnel, pour être catholique, M. de La Palice en aurait dit autant. Saint Pie V avait maintenu l’existence de rites qui pouvaient prouver une ancienneté de plus de deux siècles, le rite lyonnais, le rite mozarabe, le rite ambrosien et quantité d’autres. On n’aurait jamais obligé un prêtre célébrant le rite lyonnais à célébrer, même une fois, le rite romain. Cette notion de rite propre existe toujours dans le droit canon. Elle permet de comprendre ceux qui, comme nous, revendiquent la célébration exclusive de ce rite. Il y a un deuxième aspect, c’est l’ecclésiologie de communion, s’inspirant de la pratique des chrétiens orthodoxes, qui de manière très classique font ainsi le lien entre le corps mystique du Christ (son Eglise) et le corps eucharistique du Seigneur. Les orthodoxes insistent sur la célébration commune comme signe de l’unité. Les catholiques, qui ne sont toujours pas sortis des turbulences de l’après-concile, trouvent dans la célébration le dernier signe capable d’exprimer une unité devenue problématique. La théorie classique des « tria vincula » (les trois liens) semble devenue trop exigeante, embrassant classiquement la profession de foi, le culte et l’obéissance. Elle est aujourd’hui remplacée en pratique par la concélébration… l’acte cultuel, indépendamment de sa signification profonde. Bien évidemment, si cette tendance se confirmait, ce serait un indicatif grave, un signal pour l’avenir de l’Eglise.
— Ce que Benoît XVI a accordé aux traditionalistes est donc resté lettre morte ?
— Non… Mais la fameuse théorie des
groupes stables, profondément réformiste parce qu’elle tendait à reconnaître
un droit aux laïcs (le droit à la messe tra- ditionnelle), n’a pas fonctionné. Le
conservatisme de l’institution l’a emporté provisoirement. Les évêques dé- fendent leur pré carré et y admettent, à
leurs conditions, des tradis au comptegouttes. Et les jeunes tradis se lassent et
vont fredonner les mélodies et cantiques
de l’Emmanuel, pensant (à tort, à mon
avis) que la piété suppléera à tout. Reste
tout de même, pour l’Eglise du
XXIe siècle, l’intuition prophétique du
pape Benoît, tentant de donner une
forme canonique à l’expression du cardinal Castrillón Hoyos : « Tous les catholiques ont droit de cité dans
l’Eglise. » Ce sont les traditionalistes
qui portent aujourd’hui la question fon- damentale pour l’avenir de l’Eglise du
droit des fidèles, face aux mutations de
l’institution. Il appartient aux congrégations issues de la défunte commission
Ecclesia Dei de faire valoir ce droit.