15 décembre 2005

[Abbé P. de La Rocque - Lettre à Nos Frères Prêtres] Le discours de Benoît XVI à la Curie romaine - Vers une relecture de Vatican II?

Abbé P. de La Rocque - Lettre à Nos Frères Prêtres n°27 - décembre 2005

"La Lettre à nos frères prêtres" est la lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France --- Abonnement annuel: 8 euros (4 euros si on parraine un prêtre) --- Correspondance: Lettre à nos frères prêtres, 2245 avenue des Platanes, 31380 Gragnague

L’importance du discours que Benoît XVI prononça le 22 décembre devant la Curie ne saurait échapper à l’observateur un tant soit peu averti. Si le pape, comme de coutume, y résuma les principaux événements qui marquèrent l’année achevée, il consacra cependant l’essentiel de son propos à un domaine strictement théologique : la détermination des critères devant présider à l’interprétation du concile Vatican II. Pour parler clair, le pape invite à une véritable relecture du Concile. Parce que celui-ci a trop souvent été interprété en terme de rupture avec l’Eglise préconciliaire, dit Benoît XVI, il importe aujourd’hui de le relire dans sa continuité avec le passé. Bannissant explicitement le supposé esprit du Concile, Benoît XVI renvoie à sa lettre, pour tenter d’y retrouver, à travers des formulations choisies en fonction des exigences ponctuelles d’une époque (cf. discours d’ouverture de Jean XXIII) la pure doctrine de toujours qu’on suppose demeurée intègre.

Avant même de mesurer la portée et la possibilité d’une telle démarche, l’auditeur de ces propos ne peut éviter une question : doit-on faire de cette intervention le discours programmatique de Benoît XVI ? Un élément de réponse pourrait se trouver dans toute une série de publications récemment parues. Ainsi, l’Osservatore Romano vient de publier (éditions françaises des 6 et 13 décembre) deux longs articles, fort remarqués, où le père K.J. Becker, s.j. et F. Ocariz tentent de relire Lumen Gentium n° 8 à la lumière des enseignements antécédents. Selon eux, « l’unique Eglise du Christ est l’Eglise catholique. Le subsistit in doit trouver dans ce cadre son interprétation. » Quoique dans un autre registre, c’est toujours dans la même ligne herméneutique qu’il faut situer l’ouvrage que le père Charles Morerod, o.p. vient de faire publier, Tradition et unité des chrétiens (Parole et Silence 2005). Théologien proche de Benoît XVI, le dominicain y affirme par exemple que la hiérarchie des vérités mentionnée en Unitatis Redintegratio 11 ne doit s’entendre autrement que comme un moyen pédagogique destiné à faire professer l’intègre foi catholique à ceux qui en sont encore séparés.

A n’en pas douter, de tels efforts sont symptomatiques d’une volonté de pacification et de clarification théologique, préliminaire indispensable à toute sortie de crise. Il n’en reste pas moins que l’argumentation, si elle veut emporter la conviction, réclamera d’être enracinée et approfondie. Elle ne pourra d’abord se passer d’une réflexion préliminaire d’ordre critériologique, destinée à évaluer la portée exacte de l’autorité propre à chacun de ces textes. Seule cette démarche, qui déterminera d’autant la latitude laissée au théologien comme au magistère, permettra ensuite d’écarter toute justification indue qui pourrait alors s’avérer maladroite et par la même peu convaincante.
 
Il serait en effet regrettable que la démarche esquissée soit réduite à une apologie de telle ou telle pratique, supposée entérinée par des faits récents. Ce serait alors déduire la doctrine d’une praxis lorsqu’au contraire il importe de conformer des actes à une foi reçue. Afin d’éviter un tel écueil, il importera de respecter l’optique proposée par Be noît XVI puisque, selon le pape, de tels faits doivent être d’autant relativisés qu’ils relèvent du contingent.

Seuls les mois et années à venir diront l’importance de ce discours et son éventuelle portée programmatique. Une telle perspective, menée à bien en toute honnêteté, risque d’ébranler plus d’un pan de la théologie contemporaine. Aussi les observateurs les moins enthousiastes se contentent-ils pour l’heure de souligner que le pape n’a fait que préciser l’assertion faite aux mêmes cardinaux le lendemain de son élection, lorsqu’il affirmait sa volonté de poursuivre la réalisation du concile Vatican II, même si c’est « dans la fidèle continuité avec la tradition bimillénaire de l'Eglise. »

Abbé P. de La Rocque