SOURCE - Abbé Philippe Laguérie, ibp - 7 janvier 2008
Monsieur l’abbé,
Depuis plusieurs mois circulent des tirés à part de vos citations du « Chardonnet » juxtaposant habilement vos propos d’alors avec votre attitude actuelle.
Le premier de ces écrits était signé de M. l’abbé de Champeaux, Prieur de la Fraternité pour le Périgord et plus récemment c’est M. l’abbé Chautard, vicaire à saint Nicolas du Chardonnet, qui vous a attaqué directement sur votre commentaire du document du Pape de juillet dernier concernant le célèbre « subsistit in » de Lumen Gentium.
Vous sous-estimez peut-être le dégât de ces brûlots et le plus étonnant dans tout cela est votre silence qui semble accréditer la thèse de vos adversaires : l’abbé Laguérie aurait-il changé ? Je crois que c’est notre ami Brigneau qui vous avait appelé un jour « le curé qui tire plus vite que son ombre ».
Soit que vous regrettiez vos propos d’alors (tous tirés de votre livre célèbre « Avec ma bénédiction ») soit que vous composiez aujourd’hui en tenant un discours lénifiant en direction des évêques : vos adversaires se donnent libre cours pour introduire une dialectique entre le curé sauvage de saint Nicolas et le curé légitime de saint Eloi. Il est grand temps de nous dire lequel vous êtes !
Très respectueusement,
Rémi Augustin- Sartrouville
Cher ami,
Il est vrai que plusieurs jeunes, très jeunes, abbés de la Frat se relaient, à grand renfort de citations du prévenu, pour expliquer que l’abbé Laguérie de Saint Nicolas du Chardonnet était super tandis que celui de Saint Eloi est un misérable. Tout aussi exagéré ex utroque ; c’est d’ailleurs l’indice que leurs affirmations d’aujourd’hui sur mon compte sont aussi suspectes que celles d’alors ! « Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait Talleyrand. Nous avions eu l’abbé de Champeaux (Bergerac-Perrigueux) mon ancien vicaire à Bordeaux et c’est aujourd’hui le tour de l’abbé Chautard (actuel vicaire de saint Nicolas) de juxtaposer d’innombrables textes pour horrifier dans les chaumières. L’un et l’autre relayés par l’actuel Prieur de Bordeaux qui puise ici sa manne et croit devoir trouver sa survie à démontrer sans cesse à ses fidèles que ma belle paroisse est une voie de perdition. Ce qu’aucun ne croit vraiment nonobstant le « politiquement correct » sanitaire établi ce faisant. Quand un défunt nous est commun, mes (intelligents) paroissiens se rendent à ses obsèques chez eux, tandis que les leurs (endoctrinés) ne mettent pas les pieds chez nous. « C’est à peine croyable ! » dirait mon neveu…
Qu’ils sachent tous que je ne leur en veux nullement et leurs souhaite un très joyeux Noël dans la paix du Gloria in Excelsis Deo. Je dirais même que cela m’amuse plutôt : parce que nombre d’évêques me reprochent exactement le contraire : « Laguérie, il est comme avant ». Et puis j’ai eu trente ans avant vous et, au moins, je ne me contentais pas alors de juxtaposer les citations. Je défendais bec et ongle, aux côtés de mes supérieurs, la survie de la Tradition et si quelqu’une de mes diatribes d’alors a le bonheur de vous toucher encore, vous me faites beaucoup d’honneur et forcez ma gratitude. Sachez tout de même que je ne regrette aucune de ces lignes, au contraire ; ils n’étaient pas si nombreux que ça, les prêtres, à défendre publiquement les sacres auxquels vous devez votre sacerdoce ! Et je crois que, malgré leur jeunesse et leurs interminables citations, ces jeunes font du bon boulot. Quant à cette fameuse jeunesse, ça leur passera avant que ça me reprenne. « Mes chers messieurs, Patience » aurait dit notre bon Père Barriel, en glissant son pouce sous ses index-majeurs. Pardon, vous ne pouvez pas savoir.
Mais assez badiné : les choses sont sérieuses. Et leur compréhension peut éclairer plus d’une lanterne : c’est le seul motif de cette intervention qui ne manquera pas d’apparaître (faussement) comme un plaidoyer pro domo. Je m’en moque bien, d’ailleurs. Un anachronisme funeste et un décalage explosif pour l’avenir : tels sont le motif et la portée de ces attaques répétées (et unilatérales, notez-le) qui témoignent de nos différents.
1/ Un anachronisme funeste.
Si vos innombrables citations portaient sur des questions de Foi, de doctrine, de morale, alors vous auriez raison de dire que l’abbé Laguérie a retourné sa veste. Et s’il avait raison alors (ce que vous semblez lui concéder, n’est-ce pas ?) qu’il serait devenu, selon, un hérétique, un libéral, un impie…Vous n’en arrivez pas à ces noms d’oiseaux, merci. Et voici pourquoi.
Toutes vos citations sont du domaine politique, sans exception. Je parle ici de la politique au sens aristotélicien, du gouvernement de la cité, de Dieu en l’occurence. Il s’agit toujours d’une question de positionnement par rapport à ce que le Cardinal Benelli appelait (à tort, je l’ai dit ici) l’église conciliaire. En vérité, il s’agit de bien plus : savoir quel comportement pratique il faut adopter vis-à-vis d’une Autorité, rien moins que celle de L’Eglise de Jésus-Christ qui, alors, nous interdisait de fait la messe, le catéchisme, l’Ecriture, comme dit Madiran. Et aussi l’accès à l’épiscopat : combien de génération de séminaristes, dont je suis, n’ont-elles pas tremblé à l’idée d’une mort prématurée de Mgr Lefebvre ! Ces questions étaient de vie ou de mort.
Alors laissez-moi vous dire très nettement et fortement s’il le faut : ou bien la situation pratique n’a en rien évolué depuis les années 70 et mon « changement » est funeste, en effet ; ou bien cette situation pratique a changé et c’est votre immobilisme tactique qui est funeste et va vous coûter très cher. Et parce que je pense évidemment que la situation pratique a changé du tout au tout (même s’il faudra quelques décennies pour ramener la paix doctrinale complète, comme dit si justement Mgr Fellay : j’y reviendrai) et que vous vous trompez complètement d’époque, alors vous allez droit dans le mur.
Car enfin : avons-nous des évêques ? Oui. Qui confirment et ordonnent dans la Tradition liturgique ? Oui. Vous interdit-on de dire la messe grégorienne ? Non. Vous dit-on qu’elle est interdite ? Non. Vous demande-ton de prendre le concile comme le super dogme qui éclipse Nicée ? Non. Avez-vous le droit d’en rejeter l‘esprit et d’en interpréter la lettre selon la Tradition ? Oui, et c’est même un devoir. Pouvez-vous administrer tous les sacrements avec le rituel de 1962, de réciter le bréviaire de la même année ? Oui. Qui vous empêche de donner un vrai catéchisme aux enfants et aux adultes ? Personne. Et qui vous empêche d’être en parfaite communion avec Rome et le Pape ? Prenez bien garde que ce ne soit pas votre orgueil ou quelque démon qui vous persuade du contraire…Ouvrez vos yeux fermés depuis 1988 : l’opération « survie » est terminée et vous n’y figurez même pas comme anciens combattants.
Tout n’est pas rose, certes, et loin de là. Ouvrir des églises n’est pas facile, soit. Mais êtes-vous sûr que c’était chose facile dans la Fraternité et à qui le dites-vous ? Avez-vous seulement essayé, comme à Amiens en ce moment ? Pas sûr. Nos évêques devraient sans doute non seulement nous laisser faire, mais nous monter l’exemple : c’est d’accord. Oui, il faudra du temps…
Mais pouvez-vous penser sérieusement que la situation n’a pas changé, sans mentir au fond de vous ? Que Paul VI et Benoît XVI sont identiques et interchangeables ? Que rien ne se passe dans l’Eglise et que, tant que vous y êtes, rien jamais ne s’y produira d’encourageant ? La confiscation de tous les biens spirituels et trésors de l’Eglise au profit d’une idéologie est terminée : rouvrez les yeux. Et si la situation politique a si profondément changé et que vous refusez d’y adapter votre jugement, qui de nous est dans le vrai ? Dois-je vous rappeler que la vérité se trouve dans le jugement et que c’est celui qui refuse de modifier son jugement sur une réalité changeante qui se trompe. Il peut bien se vanter de n’avoir pas changé et de refuser absolument de le faire : outre que ce n’est guère intelligent, il se trouve très vite dans l’erreur. Et une erreur d’autant plus tenace qu’il la chérit comme un critère de …vérité. « Et nous entretenons nos aimables remords comme les mendiants nourrissent leur vermine ». (Citation de Baudelaire à utiliser pour un prochain article). Le critère de la vérité doctrinale est bien dans le Canon de Lérins « eadem sententia, eodem sensu ». Mais faire de l’immobilisme le critère d’un jugement pratique du domaine politique, c’est détruire l’intelligence. Pas de quoi s’en vanter. C’est dire qu’il fait nuit à midi, parce que c’était vrai à minuit.
Un exemple récent de cet anachronisme funeste vient de nous être donné de haut parmi vos rangs. Dans la conférence qu’a donnée Tissier (je ne vois pas du tout pourquoi cet évêque aurait droit à un titre quelconque quand il se permet, dans l’indifférence générale et une honte sans précédent pour la Fraternité, de nommer le pape Benoît XVI « Ratzinger » sans exception et tout du long) les 9, 10 et 11 novembre dernier au symposium Pascendi à Paris.
Car, outre le scandale donné ainsi à l’Eglise toute entière et dans l’impunité générale de la Fraternité qui publie fièrement ces insultes sur le cite officiel du district de France (je suis le premier à relever le fait presque deux mois plus tard : j’attendais, mais en vain, qu’un responsable le fît) Tissier ne trouve, pour justifier toutes les épithètes qu’il décerne au Pape (rationaliste, libéral, moderniste etc.) que des citations de 40 ans. Quand M. l’abbé Ratzinger était le secrétaire du Père Rahner au concile. Nous savions déjà que la théologie hussites d’Ecône interdit à quiconque de s’améliorer, de se reprendre, a fortiori de se convertir (pensez-donc !). Mais qu’un évêque de la Fraternité commette, dans l’indifférence générale, un anachronisme aussi pervers est symptomatique de cette glaciation de la pensée.
Je ne veux pas entrer ici dans les présupposés psychiques qui président à une semblable dérive, qui doit faire se retourner Mgr Lefebvre dans sa tombe ! Qu’aurait fait Tissier avec Saint Pierre, même au soir de la résurrection ? Comment Tissier aurait traité le cas Saint Paul : il n’aurait été toute sa vie que le persécuteur des chrétiens, voilà tout. Si Tissier est sédévacantiste, qu’il ose le dire publiquement et quitte la Fraternité, qui ne l’est pas. Et s’il ne l’est pas, qu’il ait la décence et la politesse d’appeler le pape par son nom de pape ou par son titre. En attendant, trouvez-moi un texte de Mgr Lefebvre qui appelle le Pape Paul VI « Montini » ou Jean-Paul II « Woytila » et je recommencerai d’appeler Tissier (de Mallerais, s’il vous plait) « Monseigneur ». Vous n’avez pas assez souffert, non de non, quand les pires modernistes appelaient notre fondateur « Lefebvre » et avez-vous lu l’Evangile qui vous impose de ne jamais faire à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’il vous fasse ?
Quant à notre brave abbé Chautard qui s’étrangle dans son brûlot à constater que les orthodoxes constituent des « églises », pensée qu’il m’attribue d’ailleurs alors qu’elle est simplement celle du pape actuel, il devrait relire son histoire de l’Eglise. Sait-il, par exemple, que les 24 patriarches orthodoxes orientaux convoqués par le pape Eugène IV au Concile de Florence siégeaient comme nos évêques catholiques et avaient une voix délibérative ? Eh oui, ce que n’ont pas osé Jean XXIII et Paul VI à Vatican II, les papes de la renaissance l’ont fait et bien fait : sans Mahomet II, qui a imposé par la guerre, la torture et le viol, le schisme orthodoxe, l’Eglise Catholique avait réussi à unifier ses enfants depuis l’Espagne jusqu’à Moscou, en passant par Constantinople et Alexandrie…
2/ Un décalage explosif.
Qui a lu l’interview de Monseigneur Fellay dans le Présent du samedi 24 Novembre (donc 15 jours après la prestation Tissier) est tout de même rasséréné. « J’envisage la possibilité, relativement prochaine, de trouver des remèdes pratiques » (à la situation de la FSSPX dans l’Eglise) même si, avec autant de bon sens que de réalisme, le supérieur général affirme qu’il faudra plusieurs générations pour « la paix retrouvée par la solution de la crise doctrinale ». Je ne suis pas suspect d’une bienveillance excessive à l’égard de Mgr Fellay…mais j’applaudis bien fort à la lecture de ces lignes : « cela signifie que les remèdes pratiques arriveront bien avant la fin de la crise ».
Avouez que c’est exactement la position concrète qui a présidé à la création et à l’existence du Bon Pasteur. C’est aussi la matière d’un célèbre édito de Pacte, voila 10 ans, écrit par votre serviteur et titré par l’abbé de Tanoüarn : « Vers une solution pratique ». Il n’y a que les gens superficiel pour faire accroire que des situations juridiques concrètes signifieraient d’elles mêmes la fin de toute controverse ou opposition doctrinales. Allons-donc : nos ennemis les plus acharnés ne s’y trompent pas et l’agitation de cet argument misérable camoufle à l’évidence un refus de toute solution, même et surtout doctrinale ! On commence à mesurer combien une théologie déconnectée de la vie de l’Eglise recèle de périlleuse et le refus de solutions pratiques n’est qu’un paravent confortable. Il n’y a qu’à mesurer la réaction d’un abbé Chautard quand le Pape entreprend lui-même de donner l’interprétation catholique des textes du concile : à ce train-là, pense-t-il, on s’achemine vers une solution pratique. Il y aurait une belle psychanalyse à faire. Pas d’accords pratiques avant un règlement total des questions doctrinales ; mais aussi, pas de solutions doctrinales qui nous contraindraient à un accord pratique…il y a du refoulé là-dessous et vous n’êtes pas sortis de l’auberge ni entré dans le giron !
Le plus triste est cette distorsion grandissante au sein de la Fraternité saint Pie X entre des positions comme celles de son supérieur (qu’on doit créditer, je pense, à la plupart de ses membres) et quelques brûlots isolés mais fulgurants d’anachronisme, tels qu’on vient d’en rencontrer. Je ne veux pas croire que Mgr Fellay ignore ces textes ou les approuve. Encore moins qu’il puisse y avoir une communication à deux vitesses, l’une officielle et externe par l’Autorité et l’autre officieuse à usage des membres, par quelque commanditaire.
J’aurais sans doute préféré commencer l’année 2008 par des propos plus amènes. Je leur présente pourtant mes vœux les plus chaleureux, comme à tous les lecteurs, avec mes prières et mon amitié en Notre seigneur. Mais un œil avisé n’y verra que mon grand amour de la Fraternité, largement partagé à Rome. Et puis, je ne fais que me défendre d’attaques personnelles des abbés de Champeaux et Chautard qui, pour être bien jeunes et peut-être bien intentionnés, n’en sont pas moins dangereuses pour la Tradition en général.