SOURCE - Lettre à nos frères prêtres n°40 - Lettre trimestrielle de liaison de la Fraternité Saint-Pie X avec le clergé de France - mise en ligne par La Porte Latine - Décembre 2008
Mgr Maurice Gaidon est évêque émérite de Cahors. Sous le titre Un évêque français entre crise et renouveau de l’Église (éditions de l’Emmanuel, 2007), il a récemment publié un livre de souvenirs et de réflexions dont la caractéristique est d’échapper à une assommante « langue de buis ».
Le chapitre XIII, intitulé « Une traversée du désert », a spécialement retenu notre attention. Mgr Gaidon affirme en commençant : « Quel regard privilégier pour échapper aux reproches des optimistes à tous crins ou des pessimistes tous azimuts ? Je tente de faire un bilan à frais personnels, sans forcer les traits critiques mais sans pour autant fermer les yeux sur mon Église aimée et souffrante » (p. 151). A la suite de quoi, il exprime avec clarté un certain nombre de ses interrogations, voire de ses critiques fraternelles. De ses notations, nous avons retenu les passages suivants.
La réforme liturgique
Il commence par la liturgie, sans mâcher ses mots.
« J’ai très mal vécu la “réforme liturgique” imposée au détour d’un dimanche et avec un autoritarisme clérical insupportable… L’histoire de l’Église m’avait appris qu’on ne touche pas impunément aux rites et au langage symbolique sans entraîner des réactions chez les fidèles et les conduire parfois au schisme… Le passage en force à la langue vernaculaire, la nouvelle disposition de l’autel, la place et le rôle du célébrant, la mise sur le marché de chants liturgiques composés à la hâte : que de bouleversements en peu de temps et quelles portes ouvertes aux improvisations des apprentis sorciers de l’heure, sous l’oeil paterne et parfois complaisant d’un épiscopat frappé d’aphasie !
« Nous savons maintenant que la manière dont a été conduite cette réforme nous vaut, quelques décennies plus tard, d’avoir à assumer et à gérer la présence en nos Églises diocésaines de jeunes prêtres ordonnés dans le rite tridentin et que Rome nous demande de traiter avec bienveillance. Quelle solution saurons-nous trouver pour y parvenir ? A mon humble place, je m’efforce d’entretenir des liens fraternels avec ces communautés “traditionalistes” (Fontgombault, Barroux, Gricigliano, Witzgradbad) que d’autres jeunes évêques aussi considèrent sans hargne et auxquelles ils ouvrent leurs diocèses. Il faudra longuement peiner et prier pour que se ferment les blessures et s’apaisent les polémiques qu’aura entraînées une réforme nécessaire mais conduite dans la précipitation et l’irrespect » (pp. 152-153).
Le gallicanisme
Mgr Gaidon pointe également les difficultés récurrentes entre Rome et l’Église de France, dont toute la responsabilité ne revient pas toujours à Rome…
« J’ai très mal vécu le gallicanisme de notre Église qui, se souvenant de son titre de “fille aînée”, se croit obligée de prendre ses distances par rapport au Siège romain qu’elle juge souvent sans complaisance et avec quelque suffisance… Je ne peux me sentir en communion avec mes frères lorsqu’ils entretiennent avec Rome des rapports de défiance en un temps où la communion avec le Siège de Pierre s’impose face aux vagues qui, de toutes parts, assaillent le navire-Église. J’ai coutume de dire que j’ai moins souffert de la Curie romaine que des bureaux parisiens et de leurs épigones provinciaux. Je tiens à préciser que ces tendances centrifuges se sont fortement atténuées depuis quelques années et que les liens avec le Pape s’affirment aujourd’hui sans réticences » (pp. 153-154).
La crise du clergé
La crise sacerdotale des années 60-70, que Maurice Gaidon a vécue comme directeur de séminaire à Dijon, et sur laquelle il apporte quelques exemples proprement hallucinants, mérite sous sa plume le commentaire suivant :
« J’ai très mal vécu les courants de “déclergification” et de “sécularisation” qui ont atteint le clergé de plein fouet et l’ont livré à tous les caprices et à toutes les modes diffusées par des maîtres-penseurs irresponsables, issus des milieux intellectuels de nos facultés catholiques ou appartenant à des ordres religieux heureux de sacrifier à la “modernité”. Sur ces sujets, la littérature abonde : il suffit d’y puiser pour comprendre comment les prêtres se sont trouvés livrés au décapage de discours contestataires jetant le soupçon sur le ministère et son statut dans le monde actuel ; remettant en cause le célibat et sa signification ; soulignant les droits de tout prêtre au travail salarié, au mariage et à l’engagement politique…
« De telles idées ont toujours droit de cité et refont surface régulièrement dans la presse ou la radio. Cette campagne fragilise le sacerdoce et décourage les vocations… alors qu’elle encourage, par effet de boomerang, les courants les plus conservateurs dans l’Église d’aujourd’hui » (p. 154).
Le mépris des dévotions populaires
Mgr Gaidon plaide pour l’enracinement populaire de notre foi, en dépit des discours de « purification » qui ont eu cours notamment au cours de cette grande crise des années 60-70, et qui ont entraîné tant de destructions et tant de ruptures.
« J’ai très mal vécu la mise à mal de la “religion populaire” dans les années qui ont suivi le Concile. Il était alors de bon ton de se gausser des processions, du culte des saints et des pèlerinages, au scandale ”des petits et des pauvres” de nos communautés.
« Le vent a tourné quand est arrivé à Rome un pape polonais qui a connu d’expérience le rôle joué par les sanctuaires dans son pays d’origine et qui a encouragé toutes les formes dévotionnelles jetées aux oubliettes il y a peu de temps encore. Il convient d’ajouter qu’il n’a cessé de proposer à la vénération des fidèles des saints et des saintes comme autant d’expressions de l’unique visage du Christ. Les choix de Jean-Paul II n’ont pas eu l’heur de plaire aux faiseurs d’opinion mais ils ont eu l’approbation du plus grand nombre dans le peuple de Dieu » (pp. 154-155).
Entre crise et renouveau
Achevant la part critique de sa réflexion, l’évêque émérite marque ses nuances et ses espérances, sans renier toutefois ce qu’il vient de dire, et qu’il convient d’entendre…
« Qu’on me pardonne ces quelques aveux qui peuvent apparaître comme une mise en accusation d’un temps et d’une Église que Dieu me donne d’aimer et de servir. Mais je manquerais à ma vérité profonde si je m’efforçais de taire ces observations, fruit de mes doutes et de mes souffrances.
« Qu’on se rassure : je sais voir les pousses printanières qui, depuis la fin du Concile, sont le signe de l’Esprit-Saint et de son travail dans les coeurs des membres du peuple de Dieu. L’efflorescence de multiples communautés nouvelles ; la montée en puissance d’un laïcat fervent ; les retrouvailles fraternelles entre chrétiens désunis ; le rayonnement d’un pape universellement admiré ; l’arrivée des jeunes Église d’Afrique et d’Asie : autant de signes des temps qui ont accompagné et suivi l’événement conciliaire. Comment n’en rendrais-je pas grâce de toute mon âme ?
« Mon jugement actuel est celui d’un homme tiraillé entre un passé qu’il ne condamne pas et dont il a beaucoup reçu, et un présent ecclésial dont il perçoit les fragilités et les failles ! (…) Il restera aux évêques nouvellement nommés et à la nouvelle génération de prêtres dont beaucoup sont venus au monde après Vatican II à trouver les moyens de rejoindre les prêtres de leur âge restés fidèles au rite tridentin afin de travailler de concert à l’évangélisation du monde du XXIe siècle. Le chemin sera semé d’obstacles mais ils sauront, dans la prière et la charité, les franchir pour la plus grande joie de l’Église. J’en ai l’intime conviction ! » (pp. 155-156).
Le chapitre XIII, intitulé « Une traversée du désert », a spécialement retenu notre attention. Mgr Gaidon affirme en commençant : « Quel regard privilégier pour échapper aux reproches des optimistes à tous crins ou des pessimistes tous azimuts ? Je tente de faire un bilan à frais personnels, sans forcer les traits critiques mais sans pour autant fermer les yeux sur mon Église aimée et souffrante » (p. 151). A la suite de quoi, il exprime avec clarté un certain nombre de ses interrogations, voire de ses critiques fraternelles. De ses notations, nous avons retenu les passages suivants.
La réforme liturgique
Il commence par la liturgie, sans mâcher ses mots.
« J’ai très mal vécu la “réforme liturgique” imposée au détour d’un dimanche et avec un autoritarisme clérical insupportable… L’histoire de l’Église m’avait appris qu’on ne touche pas impunément aux rites et au langage symbolique sans entraîner des réactions chez les fidèles et les conduire parfois au schisme… Le passage en force à la langue vernaculaire, la nouvelle disposition de l’autel, la place et le rôle du célébrant, la mise sur le marché de chants liturgiques composés à la hâte : que de bouleversements en peu de temps et quelles portes ouvertes aux improvisations des apprentis sorciers de l’heure, sous l’oeil paterne et parfois complaisant d’un épiscopat frappé d’aphasie !
« Nous savons maintenant que la manière dont a été conduite cette réforme nous vaut, quelques décennies plus tard, d’avoir à assumer et à gérer la présence en nos Églises diocésaines de jeunes prêtres ordonnés dans le rite tridentin et que Rome nous demande de traiter avec bienveillance. Quelle solution saurons-nous trouver pour y parvenir ? A mon humble place, je m’efforce d’entretenir des liens fraternels avec ces communautés “traditionalistes” (Fontgombault, Barroux, Gricigliano, Witzgradbad) que d’autres jeunes évêques aussi considèrent sans hargne et auxquelles ils ouvrent leurs diocèses. Il faudra longuement peiner et prier pour que se ferment les blessures et s’apaisent les polémiques qu’aura entraînées une réforme nécessaire mais conduite dans la précipitation et l’irrespect » (pp. 152-153).
Le gallicanisme
Mgr Gaidon pointe également les difficultés récurrentes entre Rome et l’Église de France, dont toute la responsabilité ne revient pas toujours à Rome…
« J’ai très mal vécu le gallicanisme de notre Église qui, se souvenant de son titre de “fille aînée”, se croit obligée de prendre ses distances par rapport au Siège romain qu’elle juge souvent sans complaisance et avec quelque suffisance… Je ne peux me sentir en communion avec mes frères lorsqu’ils entretiennent avec Rome des rapports de défiance en un temps où la communion avec le Siège de Pierre s’impose face aux vagues qui, de toutes parts, assaillent le navire-Église. J’ai coutume de dire que j’ai moins souffert de la Curie romaine que des bureaux parisiens et de leurs épigones provinciaux. Je tiens à préciser que ces tendances centrifuges se sont fortement atténuées depuis quelques années et que les liens avec le Pape s’affirment aujourd’hui sans réticences » (pp. 153-154).
La crise du clergé
La crise sacerdotale des années 60-70, que Maurice Gaidon a vécue comme directeur de séminaire à Dijon, et sur laquelle il apporte quelques exemples proprement hallucinants, mérite sous sa plume le commentaire suivant :
« J’ai très mal vécu les courants de “déclergification” et de “sécularisation” qui ont atteint le clergé de plein fouet et l’ont livré à tous les caprices et à toutes les modes diffusées par des maîtres-penseurs irresponsables, issus des milieux intellectuels de nos facultés catholiques ou appartenant à des ordres religieux heureux de sacrifier à la “modernité”. Sur ces sujets, la littérature abonde : il suffit d’y puiser pour comprendre comment les prêtres se sont trouvés livrés au décapage de discours contestataires jetant le soupçon sur le ministère et son statut dans le monde actuel ; remettant en cause le célibat et sa signification ; soulignant les droits de tout prêtre au travail salarié, au mariage et à l’engagement politique…
« De telles idées ont toujours droit de cité et refont surface régulièrement dans la presse ou la radio. Cette campagne fragilise le sacerdoce et décourage les vocations… alors qu’elle encourage, par effet de boomerang, les courants les plus conservateurs dans l’Église d’aujourd’hui » (p. 154).
Le mépris des dévotions populaires
Mgr Gaidon plaide pour l’enracinement populaire de notre foi, en dépit des discours de « purification » qui ont eu cours notamment au cours de cette grande crise des années 60-70, et qui ont entraîné tant de destructions et tant de ruptures.
« J’ai très mal vécu la mise à mal de la “religion populaire” dans les années qui ont suivi le Concile. Il était alors de bon ton de se gausser des processions, du culte des saints et des pèlerinages, au scandale ”des petits et des pauvres” de nos communautés.
« Le vent a tourné quand est arrivé à Rome un pape polonais qui a connu d’expérience le rôle joué par les sanctuaires dans son pays d’origine et qui a encouragé toutes les formes dévotionnelles jetées aux oubliettes il y a peu de temps encore. Il convient d’ajouter qu’il n’a cessé de proposer à la vénération des fidèles des saints et des saintes comme autant d’expressions de l’unique visage du Christ. Les choix de Jean-Paul II n’ont pas eu l’heur de plaire aux faiseurs d’opinion mais ils ont eu l’approbation du plus grand nombre dans le peuple de Dieu » (pp. 154-155).
Entre crise et renouveau
Achevant la part critique de sa réflexion, l’évêque émérite marque ses nuances et ses espérances, sans renier toutefois ce qu’il vient de dire, et qu’il convient d’entendre…
« Qu’on me pardonne ces quelques aveux qui peuvent apparaître comme une mise en accusation d’un temps et d’une Église que Dieu me donne d’aimer et de servir. Mais je manquerais à ma vérité profonde si je m’efforçais de taire ces observations, fruit de mes doutes et de mes souffrances.
« Qu’on se rassure : je sais voir les pousses printanières qui, depuis la fin du Concile, sont le signe de l’Esprit-Saint et de son travail dans les coeurs des membres du peuple de Dieu. L’efflorescence de multiples communautés nouvelles ; la montée en puissance d’un laïcat fervent ; les retrouvailles fraternelles entre chrétiens désunis ; le rayonnement d’un pape universellement admiré ; l’arrivée des jeunes Église d’Afrique et d’Asie : autant de signes des temps qui ont accompagné et suivi l’événement conciliaire. Comment n’en rendrais-je pas grâce de toute mon âme ?
« Mon jugement actuel est celui d’un homme tiraillé entre un passé qu’il ne condamne pas et dont il a beaucoup reçu, et un présent ecclésial dont il perçoit les fragilités et les failles ! (…) Il restera aux évêques nouvellement nommés et à la nouvelle génération de prêtres dont beaucoup sont venus au monde après Vatican II à trouver les moyens de rejoindre les prêtres de leur âge restés fidèles au rite tridentin afin de travailler de concert à l’évangélisation du monde du XXIe siècle. Le chemin sera semé d’obstacles mais ils sauront, dans la prière et la charité, les franchir pour la plus grande joie de l’Église. J’en ai l’intime conviction ! » (pp. 155-156).